Marchena se fiche complètement que les forces de police espagnoles aient malmené et matraqué nos grand-mères


Par : Josep Casulleras Nualart

Pour le tribunal, il n'est guère « important » que les corps de la police espagnole aient bafoué les droits fondamentaux : il se concentre sur les arguments accusatoires

Il y a eu ce moment où les avocats de la défense, Jordi Pina, Marina Roig et Andreu Van den Eynde ont demandé qu'une vidéo des charges policières contre les votants du 1-O soit projetée afin que l’ancien ministre Juan Ignacio Zoido et le colonel Diego Pérez de los Cobos puissent le regarder et se rendre compte de visu que leurs affirmations ne rendaient pas compte de la réalité, que la « grande virulence », la « force brutale » et les « murs humains » étaient en fait des gens qui se trouvaient dans les bureaux de vote et résistaient pacifiquement, que les agents de la police espagnole et de la Guardia civil avaient agi avec une grande violence, bafouant les bonnes pratiques de maintien de l'ordre par la police d'un Etat démocratique. C'est à ce moment-là que Manuel Marchena, le président du tribunal, les a interrompus : « Voyons Maîtres... ». Il leur a dit qu'il n'avait pas l'intention de faire projeter cette vidéo, autrement dit qu'il ne laisserait pas les avocats de la défense montrer aux témoins qu'il s'agissait bien de charges policières, même si ces témoins les avaient niées. Marchena leur a dit « non », « non » parce que « ce n'est juridiquement pas pertinent », parce que ce n'est pas un document fondamental pour les chefs d'accusation du procès. Tout au début du procès, il l'avait déjà fait remarquer : parmi les chefs d'accusation de ce procès ne figure pas le celui d'apprécier si la police espagnole, ses agents, ses chefs et ses responsables politiques avaient ou non exercé une répression condamnable. Le tribunal examinera si les pièces de l'accusation et si le récit sur la violence constitutive d'une rébellion ou d'une sédition peuvent être retenus. L'axe du procès est celui-là. Il ne faut pas démontrer la culpabilité, il faut démontrer l'innocence. On ne cherche pas à savoir si les droits fondamentaux ont été bafoués, le délit est un présupposé. Comment parvenir à leur démontrer le contraire ? C'est la raison pour laquelle Marchena se fiche complètement qu'une dame âgée ait eu le crâne ouvert au bureau de vote installé dans le collège de l'Enfant Jésus de Barcelone : car ce fait « n'est pas important » dans ce procès.

Machena a établi une liste de règles de tolérance destinées aux parties : la défense et l'accusation. Mais, par la suite, il les a utilisées comme il l'a voulu. Il a, par exemple, interdit à Joan Tardà, en tant que témoin, de développer le moindre discours politique dans ses réponses ; en revanche, il a laissé Sáenz de Santamaría et Mariano Rajoy exposer à satiété leur conception de la souveraineté nationale et la défense acharnée qu'ils ont livrée pour empêcher en permanence l'exercice du droit d'autodétermination dans le cadre constitutionnel. Quant aux procureurs, ainsi que les observateurs internationaux l'ont dénoncé, il les a laissés poser aux témoins des questions allusives, encadrer leurs réponses ou les exposer à un contexte pouvant leur porter préjudice mais s'emboitant parfaitement bien avec le récit accusatoire de ceux-ci. En revanche, il a dit aux différentes défenses : « Restons-en aux faits ». Marchena n'est pas l'arbitre, il est partie prenante au procès. C'est ainsi car le Tribunal suprême espagnol est une partie de cet Etat espagnol qui s'est senti menacé par l'indépendantisme ; Etat qui a, en conséquence, préparé une stratégie répressive à grande échelle et à tous les niveaux : judiciaire, policier, médiatique, politique... Il faut toujours avoir présent à l'esprit que Marchena est partie au procès et que c'est la raison pour laquelle il se fiche complètement que le 1-O, il y ait eu, à cause de la violence policière, une soixantaine de blessés de plus de soixante-cinq ans. Cliquer pour consulter l'article en catalan : una setantena de ferits més grans de seixanta-cinc anys.

Le piège tendu au major Trapero
Le juge Marchena argumente que le fait de la violence policière n'est pas juridiquement pertinent parce que d'autres tribunaux ont mené et mènent toujours leur enquête sur cette violence, comme par exemple les juges d'instruction des tribunaux n°7 de Barcelone, n°2 de Girona, ou n°1 de Lleida : enquêtes menées malgré les continuels obstacles du ministère public, y compris les menaces adressées aux blessés demandant l'ouverture d'une instruction sur les blessures qu'ils ont eux-mêmes subies et malgré le manque de collaboration de la police espagnole, de la Guardia civil et du ministère de l'intérieur au moment de fournir documentation et éléments supplémentaires, comme l'a d'ailleurs dénoncé Amnesty international. Marchena fait semblant de ne pas entendre, il fait la sourde oreille. C'est l'une des grandes anomalies de ce procès, le fait que cette grande cause contre l'indépendantisme se retrouve totalement morcelée, que des accusations soient ouvertes au tribunal n°13 de Barcelone depuis deux ans et que, depuis un an et demi, y soient inclus les délits de rébellion et de sédition. Mais l'irrégularité la plus scandaleuse vue ces derniers jours est celle qui touche le major du Corps des Mossos d'Esquadra, Josep Lluís Trapero, devenu le principal objet des attaques des hauts commandements policiers espagnols qui ont déjà témoigné. Le scandale, c'est que Trapero ne se trouve pas dans la salle puisque mis en examen par l'Audiencia nacional espagnole, sous l'accusation de rébellion : il devra attendre que soit rendu le verdict contre les accusés du Tribunal suprême pour être, à son tour, jugé. Trapero ne peut se défendre, même son avocate ne peut se trouver dans le prétoire. C'est une situation flagrante de déni de justice. Et bien qu'une autre procédure judiciaire soit en cours contre Trapero, Marchena n'a absolument pas empêché les procureurs et les témoins à charge de s'acharner sur lui. A l'inverse, le fait que des personnes âgées se trouvant dans les bureaux de vote aient été rudoyées et matraquées n'a absolument pas semblé le déranger.

Ce qui s'est passé à Aiguaviva a-t-il de l'importance ?
Me Pina a voulu demander au colonel Pérez de los Cobos si l'intervention de dizaines de policiers en uniforme, armés, se ruant en rangs serrés sur des personnes aux mains levées et à l'attitude pacifique pouvait être qualifiée, ou non, de « charge policière ». Le colonel avait en effet nié qu'il y ait eu des charges policières. Marchena a prié l'avocat de ne pas insister, de cesser d'ergoter sur le concept de charge policière et d'arrêter de perdre du temps, parce que cela n'avait aucune importance. Aujourd'hui, le président du tribunal a demandé à Me Solà, l'avocat de Jordi Cuixart, de cesser de demander avec insistance à Ángel Gozalo, le chef de la Guardia civil au moment du 1-O, quels étaient les hauts-gradés responsables de l'ordre donné aux agents d'utiliser, probablement de manière irrégulière, des gaz contre des gens qui faisaient une paella à Aiguaviva le jour du référendum. Il l'a prié de ne pas insister, « cela n'ayant aucune pertinence juridique dans la qualification des faits, car les faits ne se trouvent pas là ».

Qu'est-ce qui, dans ce cas, est juridiquement pertinent ? Marchena et les autres magistrats veulent, à travers les témoignages et les documents, recueillir des preuves qui les aideront à bâtir une situation de violence s'ajustant parfaitement aux accusations de rébellion ou de sédition. La première des difficultés auxquelles sont confrontées les accusations c'est celle de démontrer qu'il y a effectivement eu des violences de la part des votants. Le fil conducteur c'est que les magistrats adhèrent à tous ces récits inventés, comme, par exemple, ceux que le commissaire de la police espagnole, Sebastián Trapote, et le chef de la Guàrdia civil, Ángel Gozalo, ont fait aujourd'hui. Qui se trouvait dans les bureaux de vote le Premier Octobre ? Trapote a dit : « Il y avait en effet quelques enfants et des personnes âgées ; mais, surtout, toute une série d'individus au comportement violent et à l'agressivité véhémente. Et puis tout était parfaitement bien organisé : ils savaient de quelle manière résister, faisaient des chaînes humaines, nous bousculaient, nous agressaient et essayaient par tous les moyens d'empêcher notre intervention ».

Si cette description est vraiment digne de foi, comment peut-elle s'adapter au délit de rébellion qui exige, lui, une violence armée et organisée, comme, par exemple, celle du 23-F, si l'on se réfère à l'unique interprétation faite par le Tribunal constitutionnel espagnol de ce délit ? Il semble donc compliquer d'emboiter tout cela. Cependant, le parquet l'a fait, de manière continue, de même que le juge Pablo Llarena au moment de l'instruction. Il y a longtemps que le champ sémantique et argumentaire pouvant justifier des condamnations comme celles-là est ouvert. C'est le seul champ dans lequel veulent aller et venir, à chaque instant, le ministère public, l'avocate générale et l'extrême-droite. C'est également dans ce champ, et uniquement dans ce champ, que le tribunal acceptera de se mouvoir. Les défenses, de leur côté, essayent d'ouvrir un autre champ, celui de la violation des droits et de la brutalité policière, mais Marchena, lui, n'y pénétrera pas. Les avocats des accusés doivent donc, qu'ils le veuillent ou non, se déplacer sur l'autre terrain de jeu, celui où jouent les accusations, le Tribunal suprême ainsi que tout l'appareil médiatique et politique espagnol, le terrain de l'Etat.

La « défense technique », celle de l'analyse et des faits contradictoires, permet de montrer que tout ce que le commissaire Trapote a décrit aujourd'hui à propos du collège FEDAC du quartier d'Horta, l'1-O, n'est que mensonge. « Nous avons essayé d'y entrer et nous avons dû y renoncer car il y avait une telle violence que les conséquences de notre entrée auraient été très graves, autant pour les policiers qui intervenaient que pour les citoyens ». Dans ce bureau de vote, toute une documentation graphique dément ces propos : par exemple, cette photographie d'Albert Salamé prise ce jour-là, dans cet endroit-là, montre l'une des attitudes que Trapote a qualifiées de «virulentes » mais qu'il n'a cependant voulu qualifier, en répondant aux questions de Me Solà, ni de « résistance pacifique » ni non plus de « résistance passive ».

Des vidéos comme celle-là démentent également ces propos ; en revanche on y voit très bien comment des agents bousculent des personnes âgées et les font tomber par terre.

La défense technique dans ce sens est essentielle, au moins pour démontrer que les faits de ces jours-là ne peuvent être qualifiés ni de rébellion ni de sédition, du moins à nos yeux et aux yeux de nombre de personnes. Comment une déposition comme celle faite hier par la greffière Montserrat del Toro au Tribunal suprême peut-elle être crédible et déterminante pour fonder ces délits ? Comment est-ce possible ? Elle s'est contredite, elle a menti sur des détails importants, elle a été incapable de démentir certaines irrégularités lors de la perquisition du ministère de l'économie et elle a montré une volonté flagrante de s'adapter au récit accusatoire (elle a répété à maintes reprises le mot « tumultes ») parce que son profil idéologique est, de toute évidence, hostile à l'indépendance. Il serait raisonnable de penser, son témoignage dans une main et, dans l'autre, l'expérience directe des faits, que celui-ci ne peut, en aucune façon, être pertinent, ni pour la sédition, ni pour la rébellion. Cependant, en jetant un coup d'oeil rapide sur les principaux journaux de Madrid, nous voyons qu'ils titrent : « La greffière démonte le faux pacifisme des Jordi » (El Mundo) ; « Assiégée alors et maintenant » (ABC) ; « 20-S : la preuve de la violence » (La Razón). L'ancien secrétaire d'Etat à la sécurité, José Antonio Nieto, parlait cette semaine, d'une « réalité parallèle ». Il s'agit, effectivement, d'une réalité parallèle.

La réalité parallèle
La question est donc de savoir dans quelle réalité vit le Tribunal suprême. La réponse est immédiate. Nous nous trouvons à un moment extrêmement délicat et dangereux qui pourrait affecter le maintien des droits fondamentaux et des droits civils, non seulement de ceux des Catalans, mais aussi de ceux des Espagnols. Le commissaire Sebastián Trapote s'est plaint aujourd'hui que « les Mossos d'Esquadra avaient organisé un dispositif [pour le 1-O] qui permettait de préserver la sécurité collective, rendant par là même impossible l'application de l'ordonnance du juge ». Il a dit également que les forces de police n'avaient songé à aucune mesure de médiation avant de charger. « Médiation avec qui ? », a-t-il répondu à Me Van den Eynde qui l'interrogeait. José Antonio Nieto a dit que les situations les plus dures, les plus violentes qu'ils avaient trouvées dans les bureaux de vote c'était là où les gens s'étaient assis par terre, en s'accrochant par les bras. Il y a une criminalisation alarmante de la résistance pacifique et de la protestation dans leur réalité, réalité qu'ils imposent médiatiquement et juridiquement.

Il y a un moment déjà que certains des avocats des personnes poursuivies, prisonniers et exilés, le signalent. C'est un moment dangereux : cette semaine, nous avons finalement pu constater comment le concept de violence avait été reconfiguré, même sur le terrain de la justice. Qualifier de personnes violentes Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, par exemple, dénature le concept même de violence, le banalise. Si cela se traduisait dans le verdict du Tribunal suprême, le droit de manifestation, le droit de la liberté de réunion, d'expression et de protestation de tous les citoyens de l'Etat espagnol seraient en danger. Dans ce cas, tous les coups de matraque que pourraient recevoir les hommes, femmes, grands-mères et grand-pères qui manifesteraient ou protesteraient contre l'exécution d'ordonnances judiciaires qu'ils considéreraient comme injustes, se trouveraient à tout jamais justifiés. Tous risqueront alors d'être poursuivis par la justice pour des délits très graves. Et ni Marchena, ni aucun juge, ne se souciera du fait que des gens auront eu le crâne ouvert.

Vu et entendu
La Vanguardia et la violence
La déposition, mardi, d'Enric Millo comme témoin dans le procès contre « el procès » a eu d'énormes conséquences et a fait l'objet de nombreuses critiques : de celles de Gerard Piqué, le joueur du Barça, à celles de La Vanguardia. Hier, ce quotidien a publié des informations et, surtout, un éditorial (editorial à consulter en catalan) très critique envers l'ancien délégué du gouvernement espagnol en Catalogne (équivalent d'un préfet en France) pour avoir décrit un « climat de violence » en Catalogne, pour avoir présenter l'indépendantisme comme un mouvement violent. Dans l'éditorial, il y avait la critique directe d'une phrase de Millo, reprise textuellement, « on ne peut nier la violence dans l'indépendantisme », après tant et tant d'années de grandes manifestations pacifiques. Le quotidien El Punt Avui a publié exactement la même phrase sur son site web, phrase que Millo les a obligés à rectifier. En réaction, le lendemain de ces critiques à Millo, La Vanguardia a accordé une légitimité et une grande importance à la déposition de la greffière qui a perquisitionné le ministère de l'économie, malgré le peu de rigueur de son récit. La chronique s'intitule : ‘Un dur relat dels escorcolls del 20-S reforça les tesis de la fiscalia‘.

Plus d'informations :
Hier soir, le journaliste de VilaWeb, Josep Rexach a publié une chronique de la présentation à Madrid du documentaire Causa especial 20907/2017 (dossier juridique 20907/2017), réalisé et produit par Jaume Roures, émis il y a plusieurs mois par TV3 [la télévision catalane]. Lors du débat qui a suivi, un individu a tenté d'agresser Josep Rexach au moment où il enregistrait un incident causé par ce même individu. D'autres participants au débat l'ont défendu et ont réussi à éviter l'agression. Vous pouvez lire la chronique de cet événement en cliquant sur les liens suivants :
Documentaire 'sectaire': Causa especial 20907/2017 (catalan)
Gerard Piqué accuse Enric Millo de menteur pour avoir partagé une vidéo manipulée (catalan)
Le TSJC cite Baños et Reguant pour les informer de la pénalité pour non réponse aux questions de Vox (catalan)

Que se passera-t-il la semaine prochaine ?
La phase des dépositions des témoins du procès contre « el procès » se poursuivra la semaine prochaine avec plusieurs noms connus. C'est le cas du major du Corps des Mossos d'Esquadra, Josep Lluís Trapero, qui fera sa déposition jeudi 14 mars. Ce même jour, le tribunal entendra les dépositions de Josep Maria Jové, ancien secrétaire général de la vice-présidence, de l'économie et des finances, de l'ancien juge Santi Vidal, et de Carles Viver Pi i Sunyer, ancien directeur de l'Institut d'études du gouvernement autonomique [catalan]. Le major Trapero attend d'être jugé par l'Audiència nacional espagnole, alors que les autres témoins sont mis en cause dans le cadre de l'enquête ouverte par le juge d'instruction du tribunal 13 de Barcelone, de sorte qu'il est à peu près certain qu'ils se refuseront tous à déclarer. Jeudi toujours, seront entendues les dépositions d'Antoni Molons, secrétaire de la communication du gouvernement et des moyens de communication, de Teresa Prohias, directrice du service des politiques digitales et d'administration publique, de Felipe Martínez, ancien sous-secrétaire du ministère des finances espagnol, et de David Badal, secrétaire du Bureau de la diffusion du département de la Présidence.

Mercredi 13 mars, seront entendus : Jaume Mestre, ancien directeur général du département « Diffusion et aide à la citoyenneté » de la Présidence, Amadeu Altafaj, ancien représentant permanent de la Generalitat de Catalogne devant l'Union européenne et délégué du gouvernement catalan à Bruxelles, Albert Royo, ancien secrétaire général de Diplocat, ainsi que deux observateurs internationaux qui avaient participé au référendum.

Les témoins entendus lundi et mardi seront les suivants :

- lundi 11 mars : Albert Jaime, employé d'Unipost ; Francisco Juan Fuentes, employé d'Unipost, Antonio Manuel Santos, employé d'Unipost, et David Palanques, responsable de la transformation digitale du ministère [catalan] du travail ;

- mardi 12 mars : José Oriol González, gérant de l'entreprise Buzoneo Directo SL ; Rosa María Sans, du service de programmation des activités de la Generalitat ; Enric Vidal, coordinateur de l'action politique d'Esquerra republicana de Catalunya (ERC) ; et Enrique Mary Iriarte, employé d'Artyplan SL de Vic.

Source
Per què a Marchena no li importa que peguessin a les nostres àvies?

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