Marchena, de plus en plus irascible, commence à commettre d'importantes erreurs


Cynique et intransigeant, le juge a voulu éviter de parler des agents de la Guardia civil qui avaient craché et uriné sur des habitants de Calella

Il y a des jours où l'air est lourd, où parler hors sujet ou au mauvais moment peut déchaîner la tempête, où le personnel ne songe qu’à faire son boulot, et où on traverse l’épreuve comme on peut, sans chercher des poux. C’est une sensation, certes, mais c’est l'impression qu’a bel et bien rendu, cette semaine au Tribunal suprême, le procès contre le procès. Le juge Manuel Marchena est plus irritable que jamais ; lundi il a vertement passé un savon à Me Marina Roig quand elle a voulu poser une question tout à fait pertinente à un témoin qui décrivait l'esprit démocratique de la mobilisation du 3-O. Aujourd'hui il a traité avec mépris et cynisme trois témoins affirmant qu’ils ne répondraient aux questions de Vox que s’ils y étaient obligés. Sa causticité a culminé cet après-midi. Manifestement, il veut à tout prix couvrir l’action de la police espagnole et de la Guardia civil lors de ces journées, pour déplorable qu’elle ait été. Ce fut particulièrement grave quand il s’est opposé aux questions posées à Josep Grima, habitant de Calella, par Me Ana Bernaola, avocate de Jordi Turull, Josep Rull et Jordi Sanchez. Il a fini par s’en rendre compte et a tenté de rectifier son comportement.

Josep Grima expliquait : « Les jours précédant le 1-O, il y avait de la nervosité. Les agents de la Guardia civil étaient logés dans un hôtel au centre de la ville. Ils ont déchargé leur matériel et leurs armes en plein jour, sur le chemin de l'école. Cela faisait peur, beaucoup d'enfants passent par là ». Marchena l’interrompt, coupe le microphone et dit à Me Bernaola de passer à une autre question.


- Me Ana Bernaola: Et les jours qui ont suivi le 1-O ?
- Josep Grima : Le 1-O, une fois les écoles fermées, il y a eu une fête place de la Mairie, et quand nous avons commencé à nous disperser, un groupe de gens a voulu aller protester contre ce qu’avaient fait les agents de la Guardia civil dans les villages voisins. Nous nous sommes rassemblés en criant, en chantant, jusqu'à ce qu'à un moment donné, alors que les Mossos faisaient barrage, un agent de la Guardia civil, habillé en civil, a sorti une matraque télescopique et s’est mis à courir... D’autres ont alors surgi, faisant tomber au sol les Mossos et frappant tous ceux qu’ils trouvaient, moi y compris.
- Combien de personnes étiez-vous ?
- Cinquante ou soixante.
- Et quelle était votre attitude ?
- C'était un rassemblement comme les autres.
-Y a-t-il eu une tentative de prise d’assaut de l'hôtel ?

Marchena interrompt le témoin et demande à Me Bernaola de se concentrer sur le jour du vote, que tout cela « dépassait » l’objet du procès. Le témoin tient à dire sa vérité sur ce qu'avait été le 1-O, mais le juge lui dit: « je ne vous ai pas posé cette question ». Me Bernaola dit à Marchena que si elle a posé cette question c’est que le ministère public, lui, s'était appuyé sur les témoignages à charge de policiers qui se trouvaient à l'hôtel à Calella. Mais Marchena ne veut rien entendre et répète que ce que le témoin a dit n'a rien à voir avec le procès. Me Bernaola formule sa protestation, et ne pose plus d'autre question.

Lorsque les accusations ont fini d'interroger Josep Grima, Marchena, de façon tout à fait inattendue, propose à Me Bernaola de poser la question qu’il lui avait auparavant interdit de poser. « Me Bernaola, si vous le voulez, vous pouvez poser la question que j’avais précédemment jugée non pertinente. » Le témoin a pu enfin expliquer l'attitude violente et humiliante des agents de la Guardia civil contre les gens de Calella et contre les Mossos qui cherchaient à calmer les esprits. Grima a dit: « Cette nuit-là, devant l’hôtel Vila, on chantait et on criait que nous avions voté. J'ai reçu un crachat envoyé par l'un des agents de la Guardia civil depuis les balcons de l'hôtel. Ils fanfaronnaient, jouaient avec leurs armes, leurs matraques, montraient des armes, et nous ont même uriné dessus. C’étaient eux les provocateurs, pas nous. »

Dans cette vidéo, publiée le 2 Octobre 2017, on voit des Guardias civiles partir à la chasse des gens de Calella:



Grima a continué en expliquant que plusieurs personnes avaient déposé plainte contre les agents de la Guardia civil, dont une jeune femme qui y avait joint un rapport de son vétérinaire parce qu'elle se promenait avec son chien et qu’ils avaient également matraqué le chien. La plainte a été classée sans suite provisoirement et elle a fait appel pour la faire réouvrir. Le procurer Fidel Cadena était sidéré par le récit de Grima que Marchena avait été sur le point d'interdire. Ce qui s’est passé à Calella, les principaux médias espagnols n’en ont jamais parlé, comme de tant d’autres choses dont ont parlé les électeurs du 1-O victimes de violences policières. Cela leur semble incroyable, au point de les mettre en doute car, depuis tout ce temps, ils n’avaient jamais vu ces images et personne ne leur en avait rien dit.

Mais pour Marchena et pour le tribunal, cela n’a rien à voir avec le procès. Ces témoignages montrent que c’était la police qui était violente et non pas les votants. Mais la brutalité policière n’a rien à voir avec le procès. Le juge, finalement, a autorisé la question de Me Ana Bernaola, se rendant compte qu'il allait trop loin, qu’interdire de poser des questions sur le comportement de la Guardia civil aurait fait trop de bruit alors que les agents ayant participé aux événements avaient pu, eux, dire tout ce qu'ils voulaient.

L'humiliation des urnes non trouvées

Ces derniers jours, les électeurs du 1-O que Me Jordi Pina avait appelés à la barre ont fait une toute autre description que celle des policiers espagnols qui ont déposé le mois dernier. Et surtout, ils ont fait revivre, dans l'une des institutions les plus emblématiques de l'Etat espagnol, le Tribunal Suprême, devant le ministère public, l'humiliation suprême des policiers espagnols à l'automne 2017 : avoir été incapables de trouver une seule urne.

Ils ont tous expliqué comment un inconnu, tôt le matin, était descendu de voiture, avait déposé un colis contenant des urnes dans les bureaux de vote, où les gens s’organisaient et les mettaient en place pour le scrutin, puis comment il était reparti et que personne ne l'avait plus jamais revu. Ce récit, répété maintes et maintes fois, a énervé de plus en plus les procureurs qui n’arrivaient pas à comprendre que le référendum, la distribution des urnes… aient pu se faire sans le recours à du personnel de l’administration ou de l’exécutif catalan. Ils sont incapables de concevoir cette solidarité de la société catalane, cette solidarité qui s'est mise en place spontanément lors du référendum de 2017. C’est un tout autre état d'esprit.

Carles Vallès est un électricien de Hostalets Balenyà (Osona). Son témoignage a laissé sans voix le tribunal et les accusations, comme s'ils avaient entendu parler un martien. Il a été interrogé par le procureur Jaime Moreno.


-Jaime Moreno : Vous étiez à la porte de l'école ?
-Carles Vallès: Oui, oui. J'étais là-bas. Dès que nous avons commencé à recevoir des images de personnes tabassées dans différents bureaux de vote, ceux qui venaient voter restaient dans le bureau de vote.
-C’est vous qui avez réceptionné les urnes ?
- Oui, une voiture est venue, on a pris quelques colis sans savoir ce qu'ils contenaient et entre Santi, Alexis et moi ...
- Connaissiez-vous cette personne ?
- On était tous du village.
- La personne des urnes ?
- Non, non, celle des urnes pas du tout.
- Qui étaient ceux qui apportaient les urnes ?
- Je l’ai faite entrer dans le bureau de vote.
- Mais qui était dans la voiture qui les a apportées ?
- Je n’en sais rien. Je ne me souviens même pas du modèle de la voiture.

L'ambiance dans la salle devenait pesante. Tous les témoignages contredisaient le récit officiel. La façon dont les témoins s’exprimaient, les choses qu'ils disaient, les droits qu’ils revendiquaient, le ruban qu’ils arboraient, dérangeaient, et Marchena a fini par s’en rendre compte. Joan Torres est un habitant d’Anglesola (Urgell), préretraité, la soixantaine. Au moment où Marchena lui demandait s’il avait déjà été mis en examen ou jugé, s’il connaissait les accusés... Torres lui demande: « Puis-je faire une remarque ? J’avais demandé à pouvoir déposer en catalan ». Marchena n’était au courant : « Oui, effectivement il y a une demande, mais sachez que tout ici fait l’objet d’un règlement précis, même l’endroit où vous êtes assis. Et l'une des choses définies c’est la langue. Bien que nous ayons le plus grand respect pour la langue catalane, la loi exige que les séances se déroulent en castillan. C’est la raison pour laquelle vous avez l'obligation de répondre en castillan. »

L'incident n'est pas allé plus loin : une demande suivie d’un refus. Mais plus tard, ce même témoin, Joan Torres, a fait une autre observation, la même qu’avaient faite d’autres témoins sans trop de problème. Cette fois-ci, lorsque l’avocat de Vox a posé sa première question, Joan Torres a dit qu'il voulait qu’on note qu’il ne répondait à l'accusation populaire que par obligation légale. La moutarde est montée au nez de Marchena qui, avec une pointe de cynisme a répondu : « Figurez-vous, don Joan [n.d.t. : « don » devant le prénom est un traitement de respect typiquement espagnol !], que tout ce qui se passe ici est une obligation légale. Vous avez répondu aux questions de l'avocat parce que vous avez l'obligation de témoigner, et vous avez aussi l'obligation de répondre à celles du ministère public... Nous sommes tous ici par obligation légale. Mais si vous voulez le préciser, vous faites bien de le faire. »

Il est arrivé la même chose à Alfonso Barceló, un informaticien à la retraite d’Alforja (Baix Camp), qui a demandé que soit fait mention de son « rejet absolu des idées de l'extrême-droite fasciste que Vox exprime dans ce tribunal », et à Josep Marimon, un ancien employé d'une caisse d’épargne de Vilanova del Valles, qui a fini par être traité comme un délinquant en plein prétoire. Marchena l’a réprimandé, presque humilié, parce qu’il avait voulu exprimer son rejet de la présence de Vox au procès. Il n'a pu dire un mot. En sortant il a voulu saluer les prisonniers assis au banc des accusés mais trois huissiers l’en ont empêché, ils l’ont pris par le bras et l’ont fait sortir de la salle rapidement. Voir ici:



C’était comme si la nervosité de Marchena s'était propagée partout. Le bruit qui court dans les couloirs du tribunal suprême, c’est que cette nervosité est la conséquence des recours présentés par les défenseurs d’Oriol Junqueras, Raul Romeva, Jordi Sanchez, Jordi Turull et Josep Rull demandant leur mise en liberté provisoire afin de pouvoir exercer leur fonction de députés aux Cortes (n.d.t. : Chambre des députés espagnole). C’est un casse-tête majeur pour Marchena, qui doit veiller à ce que les violations des droits politiques des accusés ne soient pas trop flagrantes ; une contrainte de plus dans un procès qu'il ne voulait pas trop prolonger et qu’il craint de ne pouvoir contrôler jusqu'au bout.

Mais parfois, il semble que ce soit lui qui devienne incontrôlable, comme aujourd'hui avec Me Bernaola, ou comme lundi avec Me Marina Roig. Plus le procès avance, plus Marchena franchit les lignes rouges et s’éloigne de plus en plus de l'image d'impartialité que l'on est en droit d'attendre d’un juge. Son attitude envers les avocats, la façon dont il les interrompt, dont il limite leurs interrogatoires, le mépris qu'il affiche à leur égard, comme lorsqu'il avait demandé à Me Jordi Pina qui avait protesté parce qu'il ne le laissait pas poser une question, s'il ne voulait pas lui-même jouer les témoins… Cela fait déjà longtemps qu'il ne se comporte plus guère en juge impartial. Cependant, ces détails, ces attitudes pourraient constituer des erreurs importantes dont les avocats prennent bonne note en vue d’un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg. Mais le président Marchena en a-t-il vraiment cure ?

Plus d'informations

Information complémentaire concernant la demande déposée par Me Jordi Pina et Me Andreu Van den Eyne au Tribunal suprême de lever la mesure de détention provisoire contre les prisonniers politiques élus le 28-A jusqu'à la prise d'une décision concernant leur nouvelle situation : 'Les prisonniers élus le 28-A demandent au Suprême la suspension de la détention provisoire» (catlaan).

Une autre information concernant un autre des accusés : 'Le Tribunal suprême refuse la demande de remboursement des 50 000 € de caution versés par Santi Vila'.

QUE SE PASSERA-T-IL DEMAIN ?

Une seule séance demain matin, au cours de laquelle témoigneront les derniers électeurs du 1-O cités par Me Jordi Pina. Parmi eux, un ancien policier espagnol, Nemesio Fuentes, qui s'était opposé à la violence de ses ex-collègues lors du référendum. La semaine prochaine nous entendrons les témoins cités par la défense de Jordi Cuixart.

Source :

Marchena, de plus en plus irascible, commence à commettre d'importantes erreurs (catalan)

Commentaires

Articles les plus consultés