Lettre de Jordi Cuixart à Pablo Hasél

Entre prisonniers politiques

"La prison n'est pas le pire lieu
du monde pour qui ose penser
par lui même"
Nadia Tolokonnikova
(Pussy Riot)



Carissimo Pablo,

Avec ce superlatif, Gramsci commença toutes les lettres à Tatiana; c'est l'une des premières choses que j'ai découvertes à Soto del Real il y a plus de trois ans. Je t’embrasse depuis la cellule, convaincu qu'ils ne t’ont pas mis en prison dans ton intérieur.

Ponent (note de traduction : Prison de LLeida où est incarcéré P Hasel) est à 120 kilomètres de Lledoners (note de traduction : Prison de Barcelone où est incarcéré J Cuixart), mais au fond, toutes les prisons du monde sont au même endroit, dans la partie la plus obscure du système, où personne ne veut regarder, car c'est là que réside la mère de toutes les injustices. Mais c’est ici aussi qui se rassemblent des tonnes d'humanité, presque impossibles à trouver au-delà des murs.

En 2018, lorsque nous avons présenté « Demà pots ser tu » note de la traduction : « Demain c’est peut-être toi), les avocats d'Òmnium m'ont expliqué que tu participais à la campagne. Et je me souviens que j'étais très excité, car pour l'aîné de mes deux enfants, tu as toujours été l'un des rappeurs référents, et cela nous a un peu plus unis.

La prison regorge d'apprentissages, et je suis convaincu que cela vous rendra encore plus rebelle de savoir de première main comment les inégalités s’acharnent sur de bon nombre de nos compagnons de module. Assumer les conséquences de ses propres actes pour dénoncer ceux qui emprisonnent la protestation et la dissidence politique (et culturelle) est aussi une raison pour donner un sens à nos vies. Pour transformer la frustration en lutte pour l'espoir.

La liberté d'expression est défendue en l'exerçant. En plein XXIe siècle, quand l'État espagnol se consolide en menant le classement de la répression artistique, devant l'Iran et la Turquie, comme le souligne Freemuse, tu as décidé d'utiliser ta situation comme un hautparleur, et cela mérite une reconnaissance absolue.

La police entre à l'université pour arrêter et emprisonner un chanteur, pendant que le fascisme suscite aviva la haine dans les rues, devant les tribunaux, sur les réseaux sociaux et dans les parlements, en même temps que les crimes de haine contre les personnes LGTBI se multiplient, comme le rapporte l'Observatoire contre l'homophobie. Xavier Vinader (note de traduction : journaliste d’investigation) l'a déjà dit: "L'Etat ne voit pas l'extrême droite comme un danger, mais comme une collaboration nécessaire".

Le fonctionnement des pouvoirs de l'État contre la dissidence est permanent et ne s'arrête malheureusement pas à ton emprisonnement. En fait, des condamnations comme celle de la Cour suprême du 1er octobre donnent carte blanche pour la persécution des droits et libertés de tous les citoyens. Ton emprisonnement, comme celui de Dani Gallardo ou des camarades d'Altsasu, sont les mêmes visages d'une vague qui somme également environ 3000 poursuivis dans la lutte pour l'autodétermination.

Mais que personne ne l'oublie: cette répression vient de loin. Parce que le dictateur est mort au lit et, tant que justice n'est pas rendue aux crimes du régime franquiste, l'État est condamné à vivre avec ses propres fantômes. Aujourd'hui, le fascisme n'a pas quitté les structures du pouvoir étatique et, pour commencer, Felipe VI représente l'héritage franquiste et est prêt à tout pour ne pas perdre les privilèges hérités de son père et du régime de 1978.

“Nous agissons plus en condamnant les injures à la couronne que condamner les injures de la couronne”, a reconnu l'actrice Ana Milán alors que la voiture t’emmenait. Il est clair qu’il serait imprudent d’accepter docilement la crise démocratique et sociale que nous traversons, ainsi que l'urgence climatique, le patriarcat et les ravages d'une pandémie mondiale. Car en plus d'être le seul état de l'Union européenne auquel Amnesty International réclame la libération des militants, l'Etat espagnol mène aujourd'hui un autre triste classement, celui de 40% de chômage des jeunes. Ils croient que les jeunes resteront chez eux et renonceront à se battre pour leur avenir?

Lorsque le droit fondamental à une vie digne est violé, nous n'avons d'autre choix que de cultiver le respect des droits humains, même en dehors de la loi. Après tout, souligner ses lacunes est le meilleur service que nous puissions rendre en démocratie. La pression citoyenne est avant tout une garantie contre l'immobilité de l'état de droit, car aucune société n'est libre sous des lois auxquelles elle ne reconnaît aucune légitimité.

Et, comme l'a expliqué Howard Zinn, si nous obéissons tous à la voix de la conscience, le chaos ne se produit pas, mais ceux qui répriment le font déjà en suivant leur propre conscience. Précisément pour cette raison, au lieu de préserver la création, qui nous stimule et nous donne du pouvoir, au milieu d'une spirale régressive, l'état se consacre à emprisonner la culture.

Ainsi, face à la peur des rappeurs, des urnes ou des militants culturels, la seule réponse est de recommencer. Tout comme font l’ami Abel Azcona ou la journaliste Helena Maleno après instructions et plaintes; nous devons continuer à exercer les droits poursuivis chaque fois que cela soit nécessaire et où que ce soit.

Mon cher Pablo, résiste. Tu sais que tu as le soutien de milliers et de milliers de personnes qui ne cesseront jamais d'exiger ta libération immédiate. Et, de plus, tu as fait que beaucoup de gens, et quelques artistes qui regardaient ailleurs pendant trop longtemps, élèvent leur voix contre la loi du bâillon.

Le seul combat qui est perdu est celui qui est abandonné, alors, quoi qu'il arrive, n'oublie pas de respirer et que liberté intérieure, même s’ils nous enferment longtemps dans la cellule, personne ne pourra jamais nous l'enlever. Et c'est aussi notre victoire.

Reste libre et ayons du courage.

Siempre hacia adelante !

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