Le Parlement européen se lave les mains de la question catalane

De gauche à droite, Toni Comín, ex-conseiller à la santé, Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité de Catalogne et de Clara Ponsatí, ex-conseillère à l’éducation, ce mardi, devant le Parlement européen. (Francisco Seco/AP)

Les eurodéputés ont voté lundi soir pour lever l’immunité de trois indépendantistes, dont Carles Puigdemont, ouvrant l’hypothèse d’un procès contre eux en Espagne. Le Parlement européen a refusé d’accorder sa protection à trois députés européens catalans recherchés par Madrid pour avoir participé à la proclamation de l’indépendance de la province espagnole, le 10 octobre 2017, à la suite du référendum illégal du 1er octobre. Par 400 voix contre 248 et 45 absentions (sur 705 membres), il a en effet décidé lundi soir (les résultats ont été proclamés mardi matin) de lever l’immunité parlementaire de Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité de Catalogne, de Toni Comín, ex-conseiller à la santé, et de Clara Ponsatí, ex-conseillère à l’éducation.

Article par Jean QUATREMER, correspondant à Bruxelles 9 mars 2021 (LIBERATION)

«C’est un jour triste pour le Parlement européen. Nous avons perdu notre immunité, mais le Parlement et la démocratie européens ont perdu plus que cela», a tranché Puigdemont qui dénonce un «cas clair de persécution politique» : la solution du conflit en Catalogne ne sera pas trouvée «en nous remettant aux mains de la justice espagnole». «Le Parlement européen donne carte blanche à la criminalisation des opposants politiques», a surenchéri Manon Aubry, eurodéputée de La France insoumise (LFI).

Un scrutin à bulletins secrets

L’affaire était en réalité entendue depuis que la commission des affaires juridiques du Parlement, massivement investie par les députés espagnols et présidée par Adrián Vázquez Lázara, membre de Ciudadanos, un parti libéral violemment opposé à l’indépendance catalane, a donné, en février, son feu vert à cette levée de l’immunité par 15 voix contre 8 et 2 abstentions. Le Groupe de la gauche au Parlement européen (GUE), où siège LFI, a bien tenté d’obtenir un débat en plénière avant le scrutin afin d’essayer de renverser la vapeur, mais aucun autre groupe politique ne l’a soutenu. Le suspens était d’autant plus limité que les trois principales formations politiques, les conservateurs du Parti populaire européen (175 élus), les Socialistes (145 élus) et Renaissance (97 élus, dont LREM), soit 417 des 705 eurodéputés, ont donné consigne de suivre l’avis de la commission des affaires juridiques.

Reste qu’il est impossible de savoir qui a voté quoi, le scrutin s’étant déroulé à bulletins secrets. Pour Pascal Durand, député LREM, «il y a eu de la déperdition en ligne» puisqu’il est douteux que les eurosceptiques de l’ECR ou l’extrême droite aient voté en bloc pour la levée de l’immunité. Il estime «qu’une centaine de députés des trois grands groupes n’ont pas suivi les consignes de vote». C’est sans doute le cas d’une partie de LREM ou des socialistes français. Puigdemont juge même qu’une majorité des 79 eurodéputés français ont voté contre la levée de son immunité, ce qui semble probable.

Résultat serré

Il ne faut cependant pas se tromper sur l’interprétation du vote : certes les élus espagnols qui, avec leurs collègues allemands, contrôlent le Parlement européen en étant massivement présents au PPE et chez les socialistes, sont parvenus à leurs fins. Mais le résultat final est incroyablement serré, puisque 43 % des eurodéputés ont refusé de lever l’immunité des Catalans, alors que ce type de décision donne traditionnellement lieu à des votes massifs dans un sens ou dans l’autre : ainsi, un député portugais et un élu croate ont été déchus de leur immunité lundi soir par 662 et 658 voix… Qu’une forte minorité du Parlement européen juge que les garanties d’un procès équitable ne sont pas réunies en Espagne constitue donc un sacré avertissement. De ce point de vue, Madrid a tort de proclamer que le vote du Parlement est une confirmation de «la solidité de l’Etat de droit» en Espagne, comme l’a fait Arancha González Laya, la ministre des Affaires étrangères espagnole, dès que le résultat a été proclamé.

Surtout, les trois députés catalans ne sont pas encore en Espagne. Puigdemont a déjà annoncé qu’il allait attaquer le Parlement européen devant la Cour de justice sise à Luxembourg en arguant que celui-ci a vidé de tout contenu l’immunité parlementaire.

Car, même si les faits qui lui sont reprochés ont eu lieu en 2017, son élection massive en mai 2019 aurait dû le mettre à l’abri de poursuites liées à son engagement politique, d’autant que le crime de «sédition» pour lequel les autres membres de son gouvernement ont déjà été condamnés à des peines de neuf à treize ans de prison ferme n’existe que dans le code pénal espagnol. C’est d’ailleurs pour cette raison que la justice allemande a refusé d’exécuter, en 2019, le mandat d’arrêt européen (MAE) lancé contre Puidgemont lorsqu’il a été arrêté en Allemagne, en 2018. Vite en besogne

Surtout, la levée de l’immunité parlementaire ne signifie pas que les députés catalans vont être remis aux autorités espagnoles. Elle va simplement permettre aux tribunaux belge, pour Puigdemont et Comín, et écossais, pour Ponsatí, de reprendre l’examen des MAE qu’ils avaient suspendu à la suite de leur élection. La sédition n’existant pas non plus en droit belge et écossais, il est peu probable qu’ils soient exécutés, la double incrimination étant un prérequis du MAE. Mieux, le 7 janvier, la cour d’appel de Bruxelles a refusé d’exécuter un mandat visant un autre ancien ministre régional indépendantiste, Lluis Puig, en jugeant qu’il y avait un «risque sérieux de violation» de son «droit à un procès équitable» en Espagne.

Une façon élégante de reconnaître que la justice espagnole est politique. Autant dire qu’Arancha González Laya a été une nouvelle fois un peu vite en besogne en affirmant que la preuve avait été faite que «les problèmes de la Catalogne se résolvent en Espagne, ils ne se résolvent pas en Europe». Même si le Parlement européen s’en lave les mains au risque de s’affaiblir face aux Etats, les justices européennes ont déjà montré qu’elles n’avaient pas l’intention d’abdiquer leur rôle de contrôle de l’Etat de droit espagnol. Ce qu’a refusé de faire une majorité de députés européens alors qu’ils n’hésitent pas à donner des leçons de démocratie aux pays d’Europe de l’Est…

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