Tentative de levée de l' immunité des 3 eurodéputés catalans -interview de Manon Aubry

Manon Aubry, dans une image d'archive (Photo : ACN)

Manon Aubry : "Nous sommes confrontés à une menace pour la démocratie"

Entretien avec l’eurodéputée de la France Insoumise, indignée par la tentative de levée de l'immunité à Puigdemont, Ponsatí et Comín.

Manon Aubry (1989) est eurodéputée de la France Insoumise et co-présidente du groupe de la Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne - Gauche verte nordique au Parlement européen. Aubry a fait partie de la commission [des Affaires juridiques] qui vient de recommander à la plénière du parlement de lever l'immunité parlementaire de Carles Puigdemont, Clara Ponsatí et Toni Comín. Si la plénière suit la commission, les trois devront se présenter devant les tribunaux belges et écossais pour faire face à une euroordre européenne jusque-là suspendue. Manon Aubry ne partage pas la recommandation et estime que les trois eurodéputés catalans font l’objet d’une persécution politique pour leurs idées, et que la décision de la commission n’est ni indépendante ni fondée sur des bases juridiques. Dans cet entretien téléphonique avec VilaWeb, l'eurodéputée est alarmée par le précédent qui pourrait créer cette affaire. Selon elle, les eurodéputés pourront désormais être persécutés pour leurs positions politiques. Elle y voit une menace pour la démocratie.

—Comment évaluez-vous la décision de la commission, qui recommande la levée de l'immunité des trois eurodéputés catalans ?

—Je pense que la décision est très problématique. La question n'est pas de savoir si la Catalogne doit être indépendante ou non. La question est de savoir si les personnes démocratiquement élues par des centaines de milliers de voix peuvent être entendues au parlement. Je pense que la décision de ne pas les vouloir au parlement est clairement politique. Et si vous regardez les poursuites judiciaires contre eux trois, vous voyez qu'en Espagne, elles ont également été initiées par l'extrême droite, contre l’avis des Nations Unies et d’Amnesty International, qui affirment que ce processus judiciaire peut être arbitraire. Depuis le début, l'Espagne a tenté de les empêcher de devenir eurodéputés. C'est une décision politique depuis le tout début. Et je crains que cela n’établisse un précédent. Ceci signifierait que nous ne sommes pas en mesure de protéger les membres du Parlement européen qui ont été élus démocratiquement. Vous pouvez être d'accord ou non avec Puigdemont, Ponsatí ou Comín, mais le fait est qu'ils ont été élus démocratiquement. Et la décision de la commission est erronée car elle est motivée par des positions politiques et non pas juridiques.

—Puigdemont, Ponsatí et Comín n'étaient pas eurodéputés lorsque les faits pour lesquels on veut les juger ont eu lieu.

—Le problème ici est que des poursuites sont intentées contre eux pour leur position politique. Ils sont persécutés pour des idées politiques, parce qu'ils défendent l'indépendance de la Catalogne et parce qu'ils ont organisé un référendum. Par conséquent, toute cette affaire a à voir avec leur positions politiques et leurs décisions politiques. Et c'est pourquoi ils doivent être protégés, car celui est précisément le rôle d'un membre du Parlement européen : avoir une position politique protégée.

—Il y avait de nombreux eurodéputés espagnols au sein de la commission. Est-ce courant ?

—Chaque groupe choisit qui il y envoie. Et dans l'ensemble, oui, il y avait beaucoup d'espagnols. Et cela a fait du débat un débat très espagnol, plutôt qu'un débat européen sur l'opportunité de lever ou non l'immunité. Par moments, je me suis certainement retrouvée pas à ma place. Bref, je pense qu'on peut dire que ce n'était pas une décision indépendante, celle de la commission.

—Le président de la commission était un eurodéputé de Ciudadanos.

—Oui. Des règles de confidentialité existent et affectent également la manière dont le débat s'est déroulé. Je n'ai pas le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet. Je veux respecter les règles, sachant que d'autres eurodéputés ne l'ont pas fait. Et ils ont été critiqués pour cela. Mais je peux vous dire que je ne suis pas certaine que cela ait été réalisé avec l'indépendance qui aurait été nécessaire. Cependant, je ne critiquerai personne en particulier.

—Celui qui a rédigé le rapport fait partie de l'extrême droite européenne. Surprenant.

—Comme je l'ai dit, je ne vais pas parler des gens. Je dis qu’une décision politique a été prise, et nous devons la considérer comme telle. Et c'est très dangereux.

—Le rapport a été divulgué à la presse espagnole.

—C'est une violation des règles de confidentialité que je vous ai déjà mentionnées. J'ai été encore plus surprise quand j'ai vu que le rapport avait été divulgué à la presse d'extrême droite. J'espère que la fuite sera rapportée au président du parlement. Et j'espère que nous découvrirons qui l'a faite. Et qu’il en paie le prix. Parce qu'il a enfreint les règles du Parlement européen.

—La commission recommande de lever leur immunité. Quel vote pouvons-nous attendre de la plénière ? Le même ?

—La majorité pour leur retirer l’immunité était suffisamment importante. Par conséquent, je soupçonne qu'en plénière, ce sera similaire. Je n’en ai pas la certitude, mais c’est très probable. Et je le regrette profondément. Et c'est pourquoi j'appelle mes collègues parlementaires à voter sans se fonder sur leur vision de la Catalogne ou de l'Espagne. Ce n'est pas le problème. La question est de savoir si nous sommes du côté de la démocratie ou non. Et je sais parfaitement de quel côté je suis. À côté de la démocratie. Je pense aux centaines de milliers de Catalans qui ont voté pour leurs représentants. Et maintenant, certains veulent qu'ils ne puissent plus les représenter. Ni que leur voix puisse être entendue. Ce qui est clairement du deux poids deux mesures : d'une part, nous désignons Orbán et d'autres autoritaires en Hongrie, mais nous devons défendre la démocratie dans le même sens en Espagne. C'est une question purement démocratique. C’est pourquoi je suis si préoccupée : si nous ne défendons pas les députés démocratiquement élus maintenant et laissons les systèmes judiciaires nationaux les persécuter, demain, ce sera peut-être moi. Si mon gouvernement n'est pas satisfait de ce que je fais, ce pourrait être moi. Ou un autre. Tout cela est très dangereux car cela signifie que chacun de nous peut être réduit au silence pour sa position politique. Nous sommes confrontés à une menace pour la démocratie. Une très grande menace.

—Votre groupe au parlement votera-t-il comme vous ?

—Les députés ont la liberté de vote, mais je suis convaincue que le groupe suivra la recommandation, car, peu importe ce que nous pensons de la Catalogne ou de l’Espagne, nous sommes tous du côté de la démocratie. Mais, malheureusement avec mon groupe ce ne sera pas suffisant pour atteindre la majorité. C’est pourquoi j’invite les eurodéputés des autres groupes à bien y réfléchir.

—Le grand doute est ce que feront les socialistes et les conservateurs.

—Je pense que la grande majorité voudra retirer l'immunité. Mais le vote en plénière sera secret. Nous ne saurons donc pas non plus ce que chacun a fait. Ce vote sera très important pour la démocratie, mais nous ne saurons pas qui a voté quoi. Ce sont les règles, et nous les respecterons, mais je pense que c’est un problème.

—Pour terminer, comment avez-vous connu personnellement le cas catalan ?

—En tant que citoyenne française, j'en entends parler depuis le premier jour. Je connais la Catalogne et j'ai une certaine connaissance de ce qui s'y passe. Je suis les événements. Mais je ne suis pas espagnole, et je n'ai pas besoin d'avoir un point de vue, ou une position, sur l'indépendance. J'essaie uniquement de défendre la démocratie.
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