L'instant de panique du président Marchena face à Jordi Cuixart
Par : Josep Casulleras Nualart
Jordi
Cuixart et Carme Forcadell défendent avec force le libre exercice
des droits civils et politiques avec des stratégies et des styles
différents
Aujourd'hui est assis sur le banc des accusés un responsable de la société civile à la trajectoire de pacifisme et d'organisation de mobilisations sociales non violentes incontestable. Aujourd'hui est assise sur le banc des accusés la présidente d'un parlement démocratique. Les photos de Jordi Cuixart et de Carme Forcadell déclarant aujourd'hui devant le tribunal suprême espagnol poursuivront longtemps l'Etat espagnol. Tous deux encourent de lourdes peines de prison sous le chef d'accusation de rébellion. Voilà pourquoi la session d'aujourd'hui entrera dans l'histoire ; mais elle y entrera également par le contenu de l'intervention de Jordi Cuixart, indubitable bond en avant dans la défense politique de ce procès politique. Le président d'Omnium a été à l'origine d'une situation insolite dans le prétoire : pendant un instant les accusateurs sont devenus les accusés. Le président du tribunal en a perdu son calme et tous, magistrats, avocats, greffiers, habitants de Santa Perpètua de Moguda, Roger Español et le reste du public qui se trouvait là ainsi que la foule des gens qui était rassemblée devant un écran géant à côté du siège d'Omnium à Barcelone et tous ceux qui regardaient la retransmission du procès, ont pu voir, pour la première fois, comment le juge Marchena perdait son sang-froid.
L'intervention de Jordi Cuixart a tout changé : parce qu'elle a mis à jour la personnalité de Marchena, parce qu'elle l'a amené à commettre une erreur. Pendant un instant, il a semblé que le président du tribunal était victime d'une crise de panique. Depuis plus de trois heures et demie, Jordi Cuixart déclarait avec passion en faveur du droit de manifestation, du droit à la liberté d'expression et du droit à la désobéissance civile, accusant l'Etat espagnol d'avoir des attitudes peu démocratiques, plus proches de celles de gouvernements comme le gouvernement turc. Jusqu'à cet instant où le procureur Moreno a eu l'idée de lui poser cette question : « Avez-vous su que, lors de certains affrontements, des agents de police avaient été blessés ? ». Ce à quoi Jordi Cuixart a répondu : « Ce que je sais, moi, c'est que le 1-O, comme l'ont affirmé plusieurs organisations comme Amnesty international, l'Organisation mondiale contre la torture, Human Rights Watch, Intermon Oxfam, le porte-parole de l'ONU ou l'Assemblée du Conseil de l'Europe, il y a eu un millier de blessés parmi les votants et qu'environ quatre-vingt-dix membres des corps et des forces de sécurité de l'Etat ont souffert de lésions multiples que l'on attribue dans leur grande majorité à la frénésie avec laquelle ils ont agi. Quand on agit avec cette démesure dans la violence, il est facile de comprendre, même si je ne le justifie pas du tout, qu'ils aient pu souffrir de capsulites ou qu'ils aient eu un doigt cassé : ils matraquaient les gens de toutes leurs forces. Il y a des images. Regardons les images ! »
Cuixart intensifie et élargit son accusation, depuis les policiers sur le terrain jusqu'au chef de l'Etat. « On voit bien sur les images comment des policiers, qui ne suivent aucun protocole, agressent des citoyens, assis sur les marches d'un escalier dans une attitude de résistance pacifique non violente, pour parvenir coûte que coûte à leur l'objectif : des boites en plastique ! La plupart du temps, la police est repartie et les citoyens ont continué à voter. Autrement dit, certains policiers sont arrivés, ont matraqué des citoyens sans défense dans l'exercice d'un de leurs droits fondamentaux et, finalement, n'ont pas pu empêcher la tenue du référendum. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Les citoyens ont eu le sentiment d'être en danger. Sur ces entrefaites, apparaît le roi d'Espagne, le 3 octobre 2017, et il nous demande ce que nous, les Catalans, avons fait. Ah ça non !!! ». A cet instant, Marchena dit déjà « Assez ! », il se rend compte qu'il ne contrôle plus la session. Il entend citer le nom du roi espagnol, le même qui, la semaine dernière, s'est ingéré de façon insolite dans le procès et il coupe la parole à Cuixart, mais s'adresse au procureur. Il lui dit : « Voyons, pourrions-nous essayer de poser des questions à l'accusé qui, disons ... ne lui permettent pas de répéter de nouveau ce qu'il a déjà répété à plusieurs reprises ? ».
« Ma priorité n'est plus de sortir de prison »
Autrement dit, Marchena demande au procureur d'empêcher le discours accusatoire de Cuixart et dit qu'il en a déjà assez entendu. Mais comment en sommes-nous arrivés à nommer Felipe VI ? Le juge et le procureur échangent un regard entendu sur la façon dont doit se dérouler un procès et sur la nécessité d'empêcher les défenses de l'entraîner sur ce terrain où Cuixart l'avait maintenu toute la matinée. Sa déclaration a été remarquable, voire même révélatrice. Il a en effet renoncé à toute prudence, toute précaution et toute circonspection dans ses affirmations. « Mes déclarations devant le juge d'instruction étaient liées à ma volonté de sortir de prison à tout prix. Mais ce n'est plus ma priorité. Ma priorité a changé. Je suis un prisonnier politique ». Il est allé bien plus loin qu'aucun des autres prisonniers politiques n'a été. « Après 500 jours de détention provisoire, ma priorité n'est pas de sortir de prison. Ma priorité c'est de pouvoir dénoncer les attaques et les atteintes aux droits et aux libertés en Catalogne, mais aussi dans l'ensemble de l'Etat espagnol ». Le procureur Jaime Moreno est resté avec sa question sur les lèvres. « Mes déclarations devant le juge d'instruction ont été conditionnées par l'impact émotionnel, énorme, que tu ressens lorsque tu entres en prison, convaincu de ton innocence, comme je continue de l'être aujourd'hui ».
Cette déclaration change tout parce qu'elle place le procès dans la sphère exclusivement politique. Il n'y a, dans cette déclaration, ni renoncement, ni aucune parole dite dont le but serait qu'ils ne puissent plus l'accuser de ceci ou de cela. Elle a été la revendication de la désobéissance civile avec un grand D. Jordi Cuixart a présenté l'1-O devant le tribunal comme « l'exercice de désobéissance civile le plus grand qui ait jamais eu lieu en Europe ». Pendant toute la matinée, il a tiré profit de toutes les questions de l'accusation pour envoyer une pluie ininterrompue de flèches qui ont fini par embraser le juge Marchena qui avait bien du mal à maintenir l'apparente garantie de neutralité qu'il s'était lui-même imposée, apparente neutralité qui quelques heures plus tard allait montrer qu'elle n'était en effet qu'apparence. Jordi Cuixart a dénoncé que l'Espagne célèbre, le 12 octobre, le « Jour de la Race », que le tribunal qui le juge soit incompétent d'un point de vue linguistique puisque les accusés sont dans l'incapacité de déclarer en catalan, que Ciutadanos et le Partido popular (PP) manifestent avec l'extrême-droite, que le siège d'Omnium, perquisitionné une seule fois pendant le franquisme, l'ait été deux fois récemment au cours de cette procédure judiciaire, que leurs sites web et leurs domaines internet aient été fermés sans aucun ordre judiciaire, comme le fait la Turquie, qu'ils aient effectué des perquisitions dans des journaux, comme celle faite au journal El Vallenc, comme le fait également la Turquie...
Ces déclarations ont amené le procureur Moreno à des positions caricaturales, comme celle de tenter d'argumenter une rébellion, rébellion pour laquelle il a requis 17 années de prison, au moyen de toute une série de tweets dans lesquels Cuixart aurait appelé à « protéger, remplir et défendre » les bureaux de vote et à se mobiliser pacifiquement, d'une part, et, d'autre part, en présentant un courriel de 2017 qui envisageait de destiner cinq cents mille euros à l'achat de saucisses sèches. Il semblait faire référence à des réunions au cours desquelles pouvaient être organisés des « botifarrades » (barbecues de saucisses). La fragilité évidente du récit accusatoire nous a conduits jusqu'ici. L'avocate de Jordi Cuixart, Me Marina Roig, a fait projeter une vidéo sur laquelle on peut voir et entendre le discours que son client a fait le 20-S en soirée où il appelait très clairement les manifestants à isoler les personnes violentes et à se comporter de manière pacifique. La tête que fait la procureure Consuelo Madrigal quand elle regarde son collègue Jaime Moreno est un livre ouvert de leur ressenti.
« Et maintenant quoi ? » semblait dire Madrigal. C'est elle qui, immédiatement après, a interrogé Carme Forcadell, d'une manière très agressive, presque insultante, avec un total manque de respect, sans que Marchena ne la rappelle à l'ordre. Le président du tribunal laisse la bride sur le cou aux procureurs, il les laisse formuler aux accusés des questions insidieuses sur leur réflexion et leur pensée politique, comme si celles-ci pouvaient représenter des circonstances aggravantes. Les procureurs peuvent faire le procès politique. Consuelo Madrigal, l'ancienne procureure générale, membre du PP, a par exemple demandé à Carme Forcadell si cette dernière la voyait comme l'interprète suprême du Tribunal constitutionnel et si elle pensait que c'était elle-même qui définissait quels droits étaient des droits humains et lesquels ne l'étaient pas. Ce n'est pas seulement insultant sur la forme, ça l'est également sur le fond. Carme Forcadell a commencé avec une voix tremblante et peu sûre, les lèvres serrées et très sérieuse. Elle a développé une stratégie de défense solide, basée sur la défense de ses droits fondamentaux, ceux-là mêmes que Madrigal voulait ridiculiser. Tout ce que la procureure avait méprisé, Forcadell le mettait en valeur, l'ennoblissant et lui rendant sa dignité : l'inviolabilité parlementaire, le droit au pluralisme politique et à la liberté d'expression. Des droits qu'elle avait voulu, en tant que présidente du Parlement catalan, faire respecter et qu'elle avait placés au-dessus de tout, autrement dit, qu'au Parlement catalan il était possible de débattre de tout, et en particulier de débattre sur le processus constituant.
Carme Forcadell a montré très clairement qu'elle n'avait participé ni à la direction ni à la définition d'aucune stratégie politique. « Je me suis limitée à exercer ma fonction de présidente du Parlement catalan ». En se défendant aujourd'hui, elle a défendu également la dignité de la fonction de président du Parlement, en particulier quand Madrigal a voulu la coincer par une comparaison insolente. La procureure lui a demandé, puisqu'elle disait qu'il ne devait pas y avoir de limites dans le débat parlementaire, si elle serait capable d'en permettre un sur l'esclavage des êtres humains. Carme Forcadell lui a sèchement coupé la parole en lui disant que la limite se trouvait dans le respect des droits humains.
La défense de la dignité à travers deux positions et deux styles différents : celui de Jordi Cuixart et celui de Carme Forcadell ; du verbe haut et du geste ample de Cuixart à la rigueur réglementaire de Forcadell. Les droits humains au centre, de nouveau. Une journée qui entrera dans l'histoire pour la plus grande honte de l'Etat espagnol.
Vu et entendu
Un journaliste menacé et insulté par des policiers
Ce matin, dans la salle de presse et dans les couloirs du tribunal suprême on a entendu un véritable tumulte quand on a su que Aitor Álvarez, journaliste de la chaîne Ser, avait dénoncé publiquement que des agents de la police espagnole l'avaient insulté, menacé et molesté quand il essayait d'entrer dans la zone sécurisée du tribunal. Aujourd'hui il avait voulu y accéder par la place des Salesas, par l'entrée qu'il avait toujours empruntée, et les policiers s'y étaient opposés. « Je leur ai répondu que ce n'était pas possible car je devais commencer un direct... Ils ont alors commencé à m'insulter, à me molester et à me dire que je devais avoir des problèmes mentaux. Ils m'ont arraché le téléphone des mains et l'ont éteint », a expliqué Aitor Álvarez. (Plus d'informations)
Plus d'informations
Crònica d’Andreu Barnils: El dia que Jordi Cuixart ens va alliberar (Chronique d'Andreu Barnils Le jour où Jordi Cuixart nous a rendu notre liberté)
Que se passera-t-il demain ?
Avec Jordi Cuixart et Carme Forcadell a pris fin la phase des déclarations des accusés. Demain commencera la longue phase des déclarations des témoins. Il y en a cinq cents. Les politiques seront les premiers à déclarer, en commençant par ceux cités par Vox (l'accusation populaire). La première déclaration sera celle de Joan Tardà (10h00), suivie de celle de Roger Torrent (10h30), bien qu'il ait fait savoir au tribunal suprême qu'il ne pourra pas venir car il doit présider la session plénière du Parlement catalan qui aura lieu demain. Viendront ensuite à la barre : Artur Mas (11h00), Soraya Sáenz de Santamaría (11h30) et Cristóbal Montoro (12h00). L'ex-président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy ouvrira, en principe, les déclarations de l'après-midi (16h00), suivi de Marta Pascal (16h30), Núria de Gispert (17h00), Eulàlia Reguant (17h30) et Antonio Baños (18h00).
Source:
La importància de l’instant de pànic de Marchena amb Cuixart (Josep Casulleras Nualart, Vilaweb, 26/02/2019)
Aujourd'hui est assis sur le banc des accusés un responsable de la société civile à la trajectoire de pacifisme et d'organisation de mobilisations sociales non violentes incontestable. Aujourd'hui est assise sur le banc des accusés la présidente d'un parlement démocratique. Les photos de Jordi Cuixart et de Carme Forcadell déclarant aujourd'hui devant le tribunal suprême espagnol poursuivront longtemps l'Etat espagnol. Tous deux encourent de lourdes peines de prison sous le chef d'accusation de rébellion. Voilà pourquoi la session d'aujourd'hui entrera dans l'histoire ; mais elle y entrera également par le contenu de l'intervention de Jordi Cuixart, indubitable bond en avant dans la défense politique de ce procès politique. Le président d'Omnium a été à l'origine d'une situation insolite dans le prétoire : pendant un instant les accusateurs sont devenus les accusés. Le président du tribunal en a perdu son calme et tous, magistrats, avocats, greffiers, habitants de Santa Perpètua de Moguda, Roger Español et le reste du public qui se trouvait là ainsi que la foule des gens qui était rassemblée devant un écran géant à côté du siège d'Omnium à Barcelone et tous ceux qui regardaient la retransmission du procès, ont pu voir, pour la première fois, comment le juge Marchena perdait son sang-froid.
L'intervention de Jordi Cuixart a tout changé : parce qu'elle a mis à jour la personnalité de Marchena, parce qu'elle l'a amené à commettre une erreur. Pendant un instant, il a semblé que le président du tribunal était victime d'une crise de panique. Depuis plus de trois heures et demie, Jordi Cuixart déclarait avec passion en faveur du droit de manifestation, du droit à la liberté d'expression et du droit à la désobéissance civile, accusant l'Etat espagnol d'avoir des attitudes peu démocratiques, plus proches de celles de gouvernements comme le gouvernement turc. Jusqu'à cet instant où le procureur Moreno a eu l'idée de lui poser cette question : « Avez-vous su que, lors de certains affrontements, des agents de police avaient été blessés ? ». Ce à quoi Jordi Cuixart a répondu : « Ce que je sais, moi, c'est que le 1-O, comme l'ont affirmé plusieurs organisations comme Amnesty international, l'Organisation mondiale contre la torture, Human Rights Watch, Intermon Oxfam, le porte-parole de l'ONU ou l'Assemblée du Conseil de l'Europe, il y a eu un millier de blessés parmi les votants et qu'environ quatre-vingt-dix membres des corps et des forces de sécurité de l'Etat ont souffert de lésions multiples que l'on attribue dans leur grande majorité à la frénésie avec laquelle ils ont agi. Quand on agit avec cette démesure dans la violence, il est facile de comprendre, même si je ne le justifie pas du tout, qu'ils aient pu souffrir de capsulites ou qu'ils aient eu un doigt cassé : ils matraquaient les gens de toutes leurs forces. Il y a des images. Regardons les images ! »
Cuixart intensifie et élargit son accusation, depuis les policiers sur le terrain jusqu'au chef de l'Etat. « On voit bien sur les images comment des policiers, qui ne suivent aucun protocole, agressent des citoyens, assis sur les marches d'un escalier dans une attitude de résistance pacifique non violente, pour parvenir coûte que coûte à leur l'objectif : des boites en plastique ! La plupart du temps, la police est repartie et les citoyens ont continué à voter. Autrement dit, certains policiers sont arrivés, ont matraqué des citoyens sans défense dans l'exercice d'un de leurs droits fondamentaux et, finalement, n'ont pas pu empêcher la tenue du référendum. Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Les citoyens ont eu le sentiment d'être en danger. Sur ces entrefaites, apparaît le roi d'Espagne, le 3 octobre 2017, et il nous demande ce que nous, les Catalans, avons fait. Ah ça non !!! ». A cet instant, Marchena dit déjà « Assez ! », il se rend compte qu'il ne contrôle plus la session. Il entend citer le nom du roi espagnol, le même qui, la semaine dernière, s'est ingéré de façon insolite dans le procès et il coupe la parole à Cuixart, mais s'adresse au procureur. Il lui dit : « Voyons, pourrions-nous essayer de poser des questions à l'accusé qui, disons ... ne lui permettent pas de répéter de nouveau ce qu'il a déjà répété à plusieurs reprises ? ».
« Ma priorité n'est plus de sortir de prison »
Autrement dit, Marchena demande au procureur d'empêcher le discours accusatoire de Cuixart et dit qu'il en a déjà assez entendu. Mais comment en sommes-nous arrivés à nommer Felipe VI ? Le juge et le procureur échangent un regard entendu sur la façon dont doit se dérouler un procès et sur la nécessité d'empêcher les défenses de l'entraîner sur ce terrain où Cuixart l'avait maintenu toute la matinée. Sa déclaration a été remarquable, voire même révélatrice. Il a en effet renoncé à toute prudence, toute précaution et toute circonspection dans ses affirmations. « Mes déclarations devant le juge d'instruction étaient liées à ma volonté de sortir de prison à tout prix. Mais ce n'est plus ma priorité. Ma priorité a changé. Je suis un prisonnier politique ». Il est allé bien plus loin qu'aucun des autres prisonniers politiques n'a été. « Après 500 jours de détention provisoire, ma priorité n'est pas de sortir de prison. Ma priorité c'est de pouvoir dénoncer les attaques et les atteintes aux droits et aux libertés en Catalogne, mais aussi dans l'ensemble de l'Etat espagnol ». Le procureur Jaime Moreno est resté avec sa question sur les lèvres. « Mes déclarations devant le juge d'instruction ont été conditionnées par l'impact émotionnel, énorme, que tu ressens lorsque tu entres en prison, convaincu de ton innocence, comme je continue de l'être aujourd'hui ».
Cette déclaration change tout parce qu'elle place le procès dans la sphère exclusivement politique. Il n'y a, dans cette déclaration, ni renoncement, ni aucune parole dite dont le but serait qu'ils ne puissent plus l'accuser de ceci ou de cela. Elle a été la revendication de la désobéissance civile avec un grand D. Jordi Cuixart a présenté l'1-O devant le tribunal comme « l'exercice de désobéissance civile le plus grand qui ait jamais eu lieu en Europe ». Pendant toute la matinée, il a tiré profit de toutes les questions de l'accusation pour envoyer une pluie ininterrompue de flèches qui ont fini par embraser le juge Marchena qui avait bien du mal à maintenir l'apparente garantie de neutralité qu'il s'était lui-même imposée, apparente neutralité qui quelques heures plus tard allait montrer qu'elle n'était en effet qu'apparence. Jordi Cuixart a dénoncé que l'Espagne célèbre, le 12 octobre, le « Jour de la Race », que le tribunal qui le juge soit incompétent d'un point de vue linguistique puisque les accusés sont dans l'incapacité de déclarer en catalan, que Ciutadanos et le Partido popular (PP) manifestent avec l'extrême-droite, que le siège d'Omnium, perquisitionné une seule fois pendant le franquisme, l'ait été deux fois récemment au cours de cette procédure judiciaire, que leurs sites web et leurs domaines internet aient été fermés sans aucun ordre judiciaire, comme le fait la Turquie, qu'ils aient effectué des perquisitions dans des journaux, comme celle faite au journal El Vallenc, comme le fait également la Turquie...
Ces déclarations ont amené le procureur Moreno à des positions caricaturales, comme celle de tenter d'argumenter une rébellion, rébellion pour laquelle il a requis 17 années de prison, au moyen de toute une série de tweets dans lesquels Cuixart aurait appelé à « protéger, remplir et défendre » les bureaux de vote et à se mobiliser pacifiquement, d'une part, et, d'autre part, en présentant un courriel de 2017 qui envisageait de destiner cinq cents mille euros à l'achat de saucisses sèches. Il semblait faire référence à des réunions au cours desquelles pouvaient être organisés des « botifarrades » (barbecues de saucisses). La fragilité évidente du récit accusatoire nous a conduits jusqu'ici. L'avocate de Jordi Cuixart, Me Marina Roig, a fait projeter une vidéo sur laquelle on peut voir et entendre le discours que son client a fait le 20-S en soirée où il appelait très clairement les manifestants à isoler les personnes violentes et à se comporter de manière pacifique. La tête que fait la procureure Consuelo Madrigal quand elle regarde son collègue Jaime Moreno est un livre ouvert de leur ressenti.
« Et maintenant quoi ? » semblait dire Madrigal. C'est elle qui, immédiatement après, a interrogé Carme Forcadell, d'une manière très agressive, presque insultante, avec un total manque de respect, sans que Marchena ne la rappelle à l'ordre. Le président du tribunal laisse la bride sur le cou aux procureurs, il les laisse formuler aux accusés des questions insidieuses sur leur réflexion et leur pensée politique, comme si celles-ci pouvaient représenter des circonstances aggravantes. Les procureurs peuvent faire le procès politique. Consuelo Madrigal, l'ancienne procureure générale, membre du PP, a par exemple demandé à Carme Forcadell si cette dernière la voyait comme l'interprète suprême du Tribunal constitutionnel et si elle pensait que c'était elle-même qui définissait quels droits étaient des droits humains et lesquels ne l'étaient pas. Ce n'est pas seulement insultant sur la forme, ça l'est également sur le fond. Carme Forcadell a commencé avec une voix tremblante et peu sûre, les lèvres serrées et très sérieuse. Elle a développé une stratégie de défense solide, basée sur la défense de ses droits fondamentaux, ceux-là mêmes que Madrigal voulait ridiculiser. Tout ce que la procureure avait méprisé, Forcadell le mettait en valeur, l'ennoblissant et lui rendant sa dignité : l'inviolabilité parlementaire, le droit au pluralisme politique et à la liberté d'expression. Des droits qu'elle avait voulu, en tant que présidente du Parlement catalan, faire respecter et qu'elle avait placés au-dessus de tout, autrement dit, qu'au Parlement catalan il était possible de débattre de tout, et en particulier de débattre sur le processus constituant.
Carme Forcadell a montré très clairement qu'elle n'avait participé ni à la direction ni à la définition d'aucune stratégie politique. « Je me suis limitée à exercer ma fonction de présidente du Parlement catalan ». En se défendant aujourd'hui, elle a défendu également la dignité de la fonction de président du Parlement, en particulier quand Madrigal a voulu la coincer par une comparaison insolente. La procureure lui a demandé, puisqu'elle disait qu'il ne devait pas y avoir de limites dans le débat parlementaire, si elle serait capable d'en permettre un sur l'esclavage des êtres humains. Carme Forcadell lui a sèchement coupé la parole en lui disant que la limite se trouvait dans le respect des droits humains.
La défense de la dignité à travers deux positions et deux styles différents : celui de Jordi Cuixart et celui de Carme Forcadell ; du verbe haut et du geste ample de Cuixart à la rigueur réglementaire de Forcadell. Les droits humains au centre, de nouveau. Une journée qui entrera dans l'histoire pour la plus grande honte de l'Etat espagnol.
Vu et entendu
Un journaliste menacé et insulté par des policiers
Ce matin, dans la salle de presse et dans les couloirs du tribunal suprême on a entendu un véritable tumulte quand on a su que Aitor Álvarez, journaliste de la chaîne Ser, avait dénoncé publiquement que des agents de la police espagnole l'avaient insulté, menacé et molesté quand il essayait d'entrer dans la zone sécurisée du tribunal. Aujourd'hui il avait voulu y accéder par la place des Salesas, par l'entrée qu'il avait toujours empruntée, et les policiers s'y étaient opposés. « Je leur ai répondu que ce n'était pas possible car je devais commencer un direct... Ils ont alors commencé à m'insulter, à me molester et à me dire que je devais avoir des problèmes mentaux. Ils m'ont arraché le téléphone des mains et l'ont éteint », a expliqué Aitor Álvarez. (Plus d'informations)
Plus d'informations
Crònica d’Andreu Barnils: El dia que Jordi Cuixart ens va alliberar (Chronique d'Andreu Barnils Le jour où Jordi Cuixart nous a rendu notre liberté)
Que se passera-t-il demain ?
Avec Jordi Cuixart et Carme Forcadell a pris fin la phase des déclarations des accusés. Demain commencera la longue phase des déclarations des témoins. Il y en a cinq cents. Les politiques seront les premiers à déclarer, en commençant par ceux cités par Vox (l'accusation populaire). La première déclaration sera celle de Joan Tardà (10h00), suivie de celle de Roger Torrent (10h30), bien qu'il ait fait savoir au tribunal suprême qu'il ne pourra pas venir car il doit présider la session plénière du Parlement catalan qui aura lieu demain. Viendront ensuite à la barre : Artur Mas (11h00), Soraya Sáenz de Santamaría (11h30) et Cristóbal Montoro (12h00). L'ex-président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy ouvrira, en principe, les déclarations de l'après-midi (16h00), suivi de Marta Pascal (16h30), Núria de Gispert (17h00), Eulàlia Reguant (17h30) et Antonio Baños (18h00).
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La importància de l’instant de pànic de Marchena amb Cuixart (Josep Casulleras Nualart, Vilaweb, 26/02/2019)
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