Aujourd'hui, dans le prétoire, éclate au grand jour l'une des actions les plus honteuses de la justice espagnole



L'interrogatoire de Jordi Sànchez pendant le procès contre le « procès » dévoile à tous un procureur irritable, nerveux et en manque de preuves

La semaine prochaine cela fera 500 jours que Jordi Sànchez et Jordi Cuixart sont en prison préventive. Le procureur Zaragoza, qui a demandé 17 ans de prison contre Jordi Sànchez, a gardé pour la fin de son interrogatoire une preuve qu'il pense irréfutable pour l'accuser de rébellion. Depuis plusieurs heures il l'interroge de manière agressive, voire impertinente, regardant constamment l'accusé avec suspicion, par dessus ses lunettes qui glissent sur le bout de son nez. Il a fait projeter sur les écrans de la salle d'audience un courrier électronique que Sànchez aurait prétendument reçu et que la Guardia civil aurait prétendument obtenu quand elle avait saisi et fouillé son ordinateur. Ce courriel est envoyé par un certain Xabi Strubell. Cependant, aucune trace de cet individu n'apparaît sur les réseaux sociaux ; seul un musicien porte ce nom mais il ne donne pas l'impression d'être Catalan ou indépendantiste. « Peut-être Miquel Strubell ? », demande Sànchez. « Non, non, l'envoyeur est Xabi Strubell », lui répond le procureur Zaragoza qui passe alors à l'attaque. L'échange entre les deux hommes est destructeur pour le procureur et atteint, par ricochet, le juge Marchena à cause de l'affaire des Whatsapp envoyés par [le sénateur PP] Ignacio Cosidó qui laissaient entendre que la nomination de celui-ci à la tête du Consejo General del Poder Judicial (Conseil général du pouvoir judiciaire) permettrait au PP et au PSOE d'exercer un contrôle politique sur la justice. Cet échange change la donne.

— Le procureur : Savez-vous qui est Xabi Strubell ?
— Jordi Sànchez (J. S.) : Non, je ne le sais pas.
— Le procureur : Vous avez pourtant reçu un courriel de cette personne dans lequel est évoquée la possibilité d'élaborer une stratégie qui fermerait, à l'aide de véhicules, les rues adjacentes autour des bureaux de vote, comme cela avait été fait avec les tracteurs.
— Jordi Sànchez (J. S.) : Oui, c'est ce que je suis en train de lire. C'est la première fois que je lis ce courriel.
— Le procureur : Il est daté du 28 septembre, trois jours avant le référendum.
— Jordi Sànchez (J. S.) : Oui, je viens de le lire. Et il n'y a pas de réponse de ma part. Je crois, de toute manière, qu'il aurait été intéressant de citer comme témoin Xavi Strubell afin que le Parquet puisse l'interroger.
— Le procureur : Bien, mais l'avez-vous reçu ?
— Jordi Sànchez (J. S.) : Excusez-moi, je ne voudrais pas être impertinent, mais je voudrais évoquer certains messages envoyés par Whatsapp qui avaient compromis la réputation et la dignité du président de ce tribunal. Il avait alors affirmé qu'il ignorait tout de ces messages. En somme, c'est ce qui se passe ici. Je crois que ce courriel est le fruit de la demande du juge d'instruction qui souhaitait accéder à ma messagerie électronique. J'imagine que dans le rapport il est mentionné s'il a été ou non ouvert. On pourra donc facilement vérifier qu'il n'a pas été ouvert.
— Le procureur : Je n'ai plus de questions.



Cet exemple constitue une bonne illustration de la rigueur des arguments que le ministère public a présentés aujourd'hui contre Jordi Sànchez prétendant, en s'appuyant sur eux, l'accuser d'un délit de rébellion. Pendant plus de cinq heures, Sànchez a développé, dans un argumentaire très détaillé et précis, les événements du 20 septembre 2017 devant le ministère catalan de l'économie ainsi que le rôle qui a été le sien le 1-O. Devant cet argumentaire, les chefs d'accusation du procureur Zaragoza ne pouvaient que tomber, de même que sa tentative frustrée de criminaliser le rôle de l'ancien président de l'ANC. Le procureur n'a pas joué franc-jeu. Il a fait toutes sortes d'insinuations sur ce que Sànchez aurait dit, comme par exemple que les agents de police eux-mêmes auraient saccagé les voitures de la Guardia civil. Mais ni Jordi Sànchez, ni son avocat Me Pina, ne sont tombés dans aucun de ses pièges : ils les ont tous écartés. Sànchez a démoli la totalité de l'acte d'accusation construit pendant plus d'un an, et à cause duquel il est en prison préventive depuis presque 500 jours. Tout à coup, le voile que certains journalistes espagnols avaient devant les yeux s'est déchiré et ils ont vu comment l'homme qui déclarait à la barre démontait toutes ces affabulations pour la plus grande honte de la justice espagnole, déclenchant de nombreuses discussions car la plupart d'entre eux ne voyaient pas ce qui pouvait permettre d'accuser Sànchez de rébellion ou de sédition. Mais ils n'avaient encore entendu que la première déclaration de Jordi Sànchez. La seconde, après le déjeuner, allait être encore plus destructrice.

Le procureur perd la partie, obsédé par son idée fixe et vindicative
Le procureur aurait pu tourner plus vite la page de l'interrogatoire et attendre l'heure des témoignages des policiers pour se complaire de nouveau de son propre récit. Il aurait pu accélérer le rythme mais son obsession a été plus forte. Laisser mener les interrogatoires par le procureur le plus caractériel pose un véritable problème car il lui est extrêmement difficile de se modérer, de se réfréner ou d'évaluer les conséquences de ses propos et il est dominé par sa vindicative idée fixe. Tout cela n'a pas joué en faveur du Parquet, bien évidemment. Zaragoza n'a cessé de mettre en avant de supposées preuves de mouvements violents que Sànchez aurait dirigés contre la brigade judiciaire venue perquisitionner le ministère catalan de l'économie, mais que l'on ne voit nulle part. Il revenait sans cesse au rôle d'interlocuteur que Sànchez avait eu avec les officiers de police et à la détérioration de quelques véhicules de la Guardia civil. Mais ça n'a pas marché.

Qu'est-ce qui prouve qu'il y ait eu des véhicules endommagés après quatorze ou seize heures de mobilisation massive continue ? Il n'y a eu aucune agression et il n'a servi à rien que la Guardia civil laisse volontairement des fusils dans les véhicules espérant qu'un drame se produise. Il n'y a pas eu non plus de drame. Jordi Sànchez a raconté par le menu comment il avait essayé sans relâche de s'entremettre. Au reste, l'interrogatoire a permis de faire ressortir un certain nombre d'éléments antidémocratiques au milieu desquels évolue le ministère public. Comment celui-ci peut-il criminaliser le droit de manifestation, demandant avec insistance à Sànchez s'il avait appelé les gens à se mobiliser le 20 septembre (20-S) ? Comment est-ce possible que ce même ministère public criminalise le droit de vote et de participation politique et la liberté d'expression accusant l'ancien président de l'ANC d'avoir distribué des bulletins de vote le 1-O. Des papiers pour voter. Depuis le début de ce procès, ce n'est pas la première fois que l'accusation demande, les yeux écarquillés, si des bulletins de vote se trouvaient à tel ou tel endroit.

Sànchez a enfoncé le clou grâce aux réponses qu'il a données à son avocat : il a réduit en miettes la validité et la crédibilité du fameux document « EnfoCATs » que le procureur ne cesse de brandir comme s'il démontrait par là même la participation de tous les accusés à la rébellion ; il a démontré à l'aide de photographies sans équivoque que les volontaires de l'ANC avaient dégagé un couloir qui permettait à la brigade judiciaire de sortir du ministère de l'Economie et que les agents de la Guardia civil circulaient très tranquillement à l'intérieur du hall d'entrée de l'édifice. Et pour la première fois on a pu voir une vidéo de quinze secondes sur la brutalité policière du 1-O avec la fameuse scène montrant un agent qui lance un coup de pied brutal sur une des personnes se trouvant dans l'escalier de l'IES Pau Claris de Barcelone. Peut-être y avait-il, dans la salle, quelqu'un qui voyait ces images pour la première fois. Dans la salle de presse, on a senti comme un vent de frayeur. Peut-être aussi que certains journalistes n'avaient pas souvent vu ces images.

Cette vidéo a explosé à la figure de tous ceux qui la regardaient, à celle des procureurs, des magistrats et des médias espagnols, dans l'ensemble de l'Etat, dans le prétoire du tribunal suprême, pendant le procès du siècle. Depuis deux jours, le quotidien El País publie en continu des articles dans lesquels il exprime une sérieuse inquiétude sur les erreurs commises par le ministère public et sur l'incapacité que celui-ci a à soutenir le principal chef d'accusation, celui de rébellion et de sédition. Que le ministère public ait des atouts cachés ne signifie pas que les procureurs ne soient pas nerveux, sinon ils n'auraient pas cherché si tôt à imposer par la force leur argumentaire, ils n'auraient pas « sorti le grand crucifix ». Aujourd'hui, ce récit inventé de toutes pièces leur a totalement échappé, tandis que se faisait jour l'une des actions les plus honteuses de cette justice : avoir maintenu en prison durant 500 jours deux dirigeants d'associations civiles qui avaient agit dans le cadre protecteur du droit de manifester et de protester pour la liberté d'expression et qui s'étaient démenés toute la journée pour que la situation ne se complique pas le 20-S, malgré les pièges. Malgré l'énorme piège tendu.

Vu et entendu
Santa Perpètua apporte son soutien à Jordi Cuixart à l'intérieur du tribunal suprême
Aujourd'hui un groupe nombreux de voisins, d'amis et de relations de Jordi Cuixart est venu de Santa Perpètua de Mogoda et d'autres communes avoisinantes jusqu'au Tribunal suprême espagnol. Ils ont passé la nuit sur la route, en direction de Madrid où ils sont arrivés à 5 h 15 du matin. Ils se sont rendus directement au tribunal suprême pour faire la queue et être sûrs de pouvoir entrer pour l'embrasser et lui apporter leur soutien en ce jour où il était prévu qu'il déclare. Mais il n'a pu le faire et il sera le premier à déclarer à la barre mardi prochain à 9 h 30 du matin. En revanche, ils ont pu assister aux interrogatoires de Santi Vila et de Jordi Sànchez et, pendant les pauses, ils ont pu serrer bien fort dans leurs bras un Jordi Cuixart, toujours souriant. Des embrassades brèves, ça oui, parce que les contacts physiques et l'expression d'émotions sont extrêmement limités dans ce lieu.

Plus d'informations
Que se passera-t-il la semaine prochaine ?
Les sessions de la semaine prochaine commenceront mardi matin à 9:30h par l'interrogatoire de Jordi Cuixart, qui répondra seulement aux questions du ministère public et à celles de son avocat. Ce sera ensuite le tour de Carme Forcadell qui devrait répondre aux questions du ministère public, de l'avocate générale et de son avocate. Les déclarations de l'ensemble des accusés seront ainsi closes. Il est vraisemblable que les dépositions des témoins commencent dès mercredi matin, avec, en premier lieu, celles des témoins politiques : Mariano Rajoy, Artur Mas, Joan Tardà, Roger Torrent, Sáenz de Santamaría et Juan Ignacio Zoido, entre autres. Le juge Manuel Marchena se réserve la possibilité d'autoriser la réunion exceptionnelle du tribunal vendredi prochain, 1er mars, afin de terminer l'audition de ce premier groupe de témoins.

Source : Avui esclata a la sala del Suprem la seva més gran vergonya (Vilaweb, Josep Casulleras Nualart, 21/02/2019)

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