Radiographie du sourire en coin de Soraya Sáenz de Santamaría



Les témoignages de Rajoy et de Santamaría permettent à la défense de les accuser des violences du Premier Octobre. Les gestes de Baños et de Reguant marquent fortement cette journée de procès.

Le Tribunal Suprême espagnol, où se déroule ce procès politique, a ressenti aujourd’hui une véritable secousse sismique. Pour la première fois, chacun a pu assister à un acte bien visible de désobéissance, lorsque deux témoins, Antonio Baños et Eulàlia Reguant, ont refusé de répondre aux questions de « l’accusation populaire » Vox [parti d’extrême-droite]. Ils s'y sont refusé par dignité démocratique. Le président Manuel Marchena les a donc expulsés en les menaçant de poursuites pénales. Leur geste donne encore plus de visibilité au caractère politique de ce procès et à l’anomalie juridique que constitue la présence d’un parti comme Vox, siégeant aux côtés de l’avocate générale et du Parquet pour accuser les responsables indépendantistes. Marchena s'évertue, depuis le début, à maquiller le procès, mais la réalité se fait de plus en plus pesante, non seulement à cause de cet incident en début de soirée, mais aussi à cause du débat politique qui s’est déroulé tout au long de cette journée de mardi, débat au cours duquel le Parquet a tiré profit des témoignages de Mas, Tardà, Sáenz de Santamaría et Rajoy pour faire passer ses propres considérations sur les négociations politiques entre gouvernements. Cela a été un débat politique sur les événements de 2017 mais aussi sur d'autres qui avaient eu lieu bien avant. Curieux procès que celui-ci, où c’est le Parquet qui propose un débat politique aux témoins à charge dans le but d’incriminer les accusés, alors que les défenses, elles, les font revenir aux faits concrets afin de démontrer que ce sont en réalité Santamaría et Rajoy qui devraient être assis sur les bancs des accusés.

L'ex-vice-présidente espagnole est arrivée au Tribunal suprême avec son air hautain, légèrement hérissée et tendue, récitant presque par-cœur, comme une automate, ses réponses aux questions de Vox et du Parquet, sans sourciller, se vantant de n’avoir jamais eu de discussion sur la possibilité de la tenue d’un référendum, ni avec Oriol Junqueras, ni avec aucun autre dirigeant catalan. Elle souriait chaque fois qu’elle réalimentait le récit des accusations sur la violence, répétant que « toute l’Espagne avait pu la voir à la télévision », ou affirmant qu’entre le 20-S et l’1-O il y avait eu un harcèlement massif et généralisé, des menaces et des entraves de la part de conseillers municipaux et d'autres élus. Mais son sourire s’est peu à peu effacé quand, les uns après les autres, les avocats de la défense ont déposé devant elle, sur la table, les faits concrets sur lesquels elle avait bâti ses réponses empoisonnées et accusatrices. Elle s’est sentie acculée, a tenté d’échapper à de nombreuses questions et a fini par répondre par monosyllabes, de façon évasive, se sentant basculer sur le banc des accusés, sous l'inculpation de faits bien plus graves que ceux qui ont été évoqués jusqu’à présent dans ce procès : à savoir la répression et la violence exercées par la police espagnole contre les votants du 1-O.

La face cachée du procès
C'est cette face cachée du procès qu’ont déposée ostensiblement devant Sáenz de Santamaría et Mariano Rajoy les avocats de la défense Van den Eynde, Pina, Roig, Melero et leurs collègues. L’ex-président du gouvernement espagnol s’est retrouvé dans la même impasse que sa vice-présidente, essayant de reproduire le même argumentaire qu’elle, c'est-à-dire qu'ils n’avaient jamais eu l’intention de négocier la possibilité d’un référendum, que l’article 155 [de la constitution espagnole] avait été bien appliqué, que des violences avaient eu lieu entre le 20-S et le 1-O et que la loi avait été respectée. Rajoy s’est présenté avec moins d’arrogance, engoncé et visiblement mal à l’aise de se trouver au beau milieu de cette grande salle, si proche de ceux qui avaient été ses interlocuteurs politiques et qui, depuis plus d’un an, sont en prison, en grande partie à cause de lui. Il ne les a même pas regardés. Il s’est présenté, a tiré profit des questions du Parquet et de « l’accusation populaire » pour répéter, et son habituel discours, et ses propres considérations politiques, sans que le juge Marchena ne le rappelle à l’ordre. Il a fini par s’irriter des questions de la défense, absolument pas habitué à répondre à des questions embarrassantes. Aujourd’hui, il ne pouvait ni abandonner son siège, ni interrompre les avocats de la défense. Et, finalement, il s’est trouvé, comme Sáenz de Santamaría l'avait été avant lui, obligé de parler du dispositif que, en tant que président du gouvernement, il avait fait mettre en place le 1-O, dispositif qui prévoyait d'envoyer des forces de la police espagnole contre les gens qui iraient voter. Mais, tout comme sa vice-présidente, il s’en est lavé les mains: ce n’était leur problème ni à elle, ni à lui.

Les déclarations de ces témoins sont d'une extrême gravité en ce sens qu'ils n'ont été capables, ni l’un ni l’autre, de décrire de réelles situations de violence en Catalogne entre le 20-S et l’1-O, violences qui auraient été seules à même de justifier les accusations de rébellion et de sédition. En outre, et surtout, parce que leurs déclarations respectives prouvent qu'en réalité ils sont les seuls responsables de l'élaboration d'une stratégie globale qui prétendait générer une situation de violence et de tension sociale en Catalogne qui servirait à justifier une répression comme celle qui allait avoir lieu, celle que nous avons vue et que nous reverrons dans ce prétoire. La pierre angulaire de cette stratégie est «l'opération Copèrnic» qui a permis au gouvernement espagnol d'envoyer en Catalogne, à l'automne 2017, six mille agents de la police espagnole et de la Guardia civil. L'interrogatoire de Sáenz de Santamaría a fini par les désigner, elle et le gouvernement dont elle était vice-présidente, comme accusés de facto.

Que prétendaient-ils réellement en envoyant toutes ces forces de l'ordre en Catalogne ? Renforcer le corps des Mossos d'Esquadra [police catalane] comme ils le mettaient en avant ou bien le remplacer ? Pourquoi le Premier Octobre a-t-il brisé le mécanisme de coordination qui existait entre la police espagnole et les Mossos ? Pourquoi n'ont-ils tenu compte ni de la condition essentielle qu'était le maintien de la cohésion citoyenne et du vivre-ensemble, ni de la proportionnalité de l'action des forces de l'ordre demandée par la juge qui avait ordonné la fermeture des bureaux de vote ? Pourquoi cet arrêt soudain des matraquages à une certaine heure de l'après-midi ? Pourquoi n'ont-ils pas demandé pardon aux citoyens agressés par la police ? Les méthodes employées par les forces de l'ordre étaient-elles conformes aux recommandations de l'OCDE ? Ni Rajoy, ni Santamaría n'ont voulu ou su répondre à aucune de ces questions : elle, lançant des regards furieux aux avocats de la défense, lui, le visage cramoisi, répétant sans cesse que les uniques responsables de tous ces blessés étaient ceux qui avaient mis en oeuvre le référendum. Tous deux se sont exonérés de la responsabilité du dispositif policier mis en place ce jour-là, ajoutant qu'ils en ignoraient la teneur, de même qu'ils ignoraient le nom de son responsable, seul susceptible d'informer le tribunal.

L’ex-président du gouvernement espagnol est reparti chez lui avec, imprimées au fond des yeux, les images de la brutalité des forces de l'ordre espagnoles contre les gens qui voulaient voter à Sant Carles de la Ràpita. Il a dû se résigner à voir la vidéo que Me Marina Roig avait réussi à faire projeter dans le prétoire, surmontant pour cela les objections et l'attitude condescendante, voire même cherchant à la ridiculiser et machiste du juge Marchena. La vidéo a finalement été projetée : une minute de coups, de sang, de larmes et de désespoirs causés par ce dispositif policier dont Mariano Rajoy s'était lavé les mains quelques instants auparavant. L’ex-président du gouvernement espagnol, qui était venu déclarer en tant que témoin à charge, est reparti après avoir été obligé de se défendre et après avoir dû supporter une fois encore ces images, devenues inévitables, dont ils sont incapables d'arrêter la diffusion. Ces images-là :
VU et ENTENDU Antonio Baños et Eulàlia Reguant ont refusé de répondre aux questions de Vox. La réponse du président du tribunal à leur deux refus a été percutante : une amende de 2500 euros et un délai de 5 jours pour reconsidérer leur décision. Marchena a ajouté que dans le cas où ils persisteraient dans leur décision, le tribunal déposerait auprès d'un tribunal de garde une plainte pour délit de désobéissance.

Une délégation de treize euro-députés et des députés de différents Etats membres de l’Union Européenne se rendront demain à Madrid pour assister au procès. La délégation est constituée d’un groupe d’euro-députés membres de la Plateforme de dialogue UE-Catalogne : José Bove (Greens- EFA), Mark Demesmaeker (ECR), María Lidia Senra (GUE – NGL), Jordi Solé (Greens- EFA), Indrek. Tarand (Greens- EFA), Josep-Maria Terricabras (Greens- EFA), Ramon Tremosa (ALDE) et Marie-Pierre Vieu (GUE / NGL) ; de députés du réseau des Groupes d’Amis de la Catalogne : Magni Arge (Dinamarca), Pelle Dragsted (Dinamarca) et Peter Luykx (Flandes) ; du président du Conseil exécutif corse, Gilles Simeoni et du député français Paul Molac.

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Vu et Entendu
Demain, les déclarations des témoins se poursuivront. Aujourd’hui, pour la première fois, Manuel Marchena a pu appeler à la barre tous les témoins convoqués pendant cette session qui a duré une heure de plus que d’habitude. Demain, dès 10h00, témoigneront tour à tour le chef du gouvernement basque Iñigo Urkullu, Gabriel Rufián, Albano-Dante Fachin, Ernest Benach, Ada Colau, Juan Ignacio Zoido, Xavier Domènech, Josep Ginesta, Francesc Iglésies et Adrià Comella.

Source :
Radiografia del somriure trencat de Soraya Sáenz de Santamaría (Josep Casulleras Nualart, Vilaweb, 27/02/2019)

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