Pas d’euphorie prématurée : c’est le parquet qui mène le jeu



Le Parquet a été maladroit dans cette phase initiale du procès : la carte maîtresse de la violence et de la rébellion sera jouée plus tard

Aujourd'hui, la procureure Consuelo Madrigal a criminalisé la dissidence politique et la mobilisation sociale et commis plusieurs erreurs inexplicables pour quelqu’un qui a été procureure générale de l'État et qui gère l’accusation dans un procès d’une telle envergure. Elle ne fait, par exemple, pas de distinction entre la feuille de route des partis qui forment le gouvernement (catalan) et celle publiée par l’association ANC (Assemblea Nacional Catalana). Elle ne sait pas non plus qui siège au Bureau du Parlement catalan, et a manipulé de façon flagrante les propos tenus par Josep Rull lors d’une interview, à propos de la détermination de chacun à mener à bien le premier Octobre 2017, afin d’en faire une infraction pénale. Ce que nous a montré aujourd’hui Madrigal est identique à ce que nous ont montré hier le procureur Jaime Moreno et la semaine dernière Fidel Cadena. Il est quelque peu déconcertant de voir une accusation en apparence si peu préparée qu’elle s’aventure sur des terrains qu’elle ne maîtrise pas, se trompant constamment, et niant l'exercice de droits fondamentaux. Le parquet se comporte un peu comme le fait l’avocate générale, Rosa Maria Seoane, qui a le plus grand mal à faire comprendre non seulement au public mais aussi au Président Marchena le sens de ses questions. Rosa Maria Seoane a essayé d’être incisive sur l’accusation de détournements de fonds, mais elle n’a pas su par quel bout prendre l’accusation de sédition, ni comment la soutenir. C’est comme si elle-même ne croyait pas en la légitimité des chefs d'accusation. Et Vox est absent : un zéro pointé à droite… jusqu’à la semaine prochaine. Les accusations sont-elles vraiment si malhabiles ? Les défenses sont-elles en train de gagner ? Non, en aucun cas. Le Parquet sait ce qu'il fait, parce qu'il joue dans son propre camp et l’arbitre est avec eux.

Qui est l'arbitre ?
L'arbitre, c’est Manuel Marchena, mais pas seulement lui. Le grand arbitre c’est le roi d’Espagne, Felipe VI. C'est un arbitre de touche, qui a pris une décision très sérieuse aujourd'hui, du même niveau que celle de son discours du 3 octobre 2017. Le roi d'Espagne a fait une déclaration aujourd’hui, cinquième jour du procès : il s’en est pris à l’argumentation principale exposée par les défenses depuis le premier jour, affirmant que l’exercice d’un mandat démocratique devait être compatible avec les lois espagnoles et les décisions de justice et que les prises de décision des gouvernants devaient en tenir compte. Felipe VI a déclaré : "Il est inadmissible d’invoquer une supposée démocratie au détriment du droit, car sans respect des lois, il n'y a ni coexistence ni démocratie, mais insécurité, arbitraire et, en fin de compte, faillite des principes moraux et civiques de la société ». Il s’en est ainsi pris au discours ferme et véhément de Jordi Turull hier, et aussi à celui de Dolors Bassa aujourd’hui, quand elle a dit que leurs décisions devaient tenir compte de la décision du Tribunal constitutionnel mais aussi de la volonté de 80% de la population qui s’était exprimée et du mandat démocratique qui leur avait été donné. L’attaque de cet argument a été faite aujourd’hui par le roi d’Espagne, le chef de l’Etat, qui a pris part au procès.

Cette ingérence du roi est une illustration on ne peut plus claire de la situation. Il y a un dossier d’accusation contre les dirigeants indépendantistes dont les arguments développés par le Parquet et l’avocate générale s’enfoncent jour après jour dans un véritable bourbier. Où est la violence ? Où est la rébellion ? Où est la sédition ? Comment prétendent-ils démontrer qu’il y a eu des détournements de fonds sans aucune trace de paiements ? C’est ce que nous voyons tous les jours et le contraste avec l’énergie et l’intégrité avec lesquelles les prisonniers déclarent pourraient nous faire voir les choses avec un peu d’optimisme, voire même une pointe d’euphorie. Mais ni les observateurs internationaux qui arrivent à accéder à la salle d’audience, ni les défenses ne sont dupes : l’heure n’est ni à l’optimisme ni à l’euphorie. Le parquet joue son rôle, et le manque d’attention ou de précisions, voire l’incurie et le manque de préparation sont à la mesure de la tranquillité et de l’absence de pression dont fait preuve l’accusation. Ils sont tranquilles avec une stratégie à moyen ou long terme car non seulement l’arbitre est de leur côté, mais ils ont des cartes à jouer qu’ils se gardent bien de jouer pour l’instant.

Il faudra être très attentifs pendant les déclarations des témoins
Les prisonniers ont pu délivrer tous leurs arguments pendant leurs interrogatoires. Depuis un an, ils étaient réduits au silence, enfermés entre les murs de leurs prisons ; ils avaient envie de parler, de s’expliquer et s’y étaient beaucoup préparés. "S’il est une chose dont tu disposes en prison, c'est de temps", a déclaré hier Jordi Turull ironiquement au procureur. Chacun s’était préparé à développer son discours et à répondre en détail aux accusations. Mais, en ces premiers jours de procès, le parquet a à peine effleuré les accusations de rébellion et s’est davantage concentré sur les accusations de désobéissance et de malversation. Celui-ci semble également décontenancé quand lorsqu'il s'agit de faire valoir le récit de la violence, car les accusés le réfutent constamment et défendent sans cesse le caractère pacifique et non violent des manifestations. Le parquet sait bien que ce n’est pas lors de l’interrogatoire des accusés qu’il peut consolider le récit de la violence, mais plutôt lors de l’audition des témoins. Cela risque bien d’être leur point fort. En effet, comme le souligne Joe Brew dans son analyse (anàlisi), 93% des témoignages qui ont été écartés par le tribunal étaient des témoignages proposés par la défense, tandis que 47% des témoignages acceptés sont des témoignages de policiers. 

C’est donc un cortège d’officiers et d’agents de la Guardia Civil et de la police nationale espagnole qui viendront témoigner qu’ils ont été blessés et qu’ils ont été victimes de « l’hostilité » des personnes qui se rendaient dans les bureaux de vote. Le parquet jouera alors avec force sa carte de la rébellion et de la violence. Et il le fera en s’appuyant sur les rapports faussés de la Guardia civil, mais considérés comme étant objectifs. En revanche, la principale preuve à décharge des accusés, écartée par le juge Marchena, sera absente du procès. Cette preuve qui apportait la démonstration technique irréfutable de la brutalité des policiers espagnols le jour du référendum, c’est le rapport d’experts des services de police britanniques et de Scotland Yard, reconnus internationalement, qui analyse en détail la manifestation du 20 septembre 2017 et apporte la preuve de son caractère pacifique. Ce rapport examine également les agissements des policiers espagnols le 1-O démontrant qu’ils ont utilisé des techniques et des méthodes qui ne sont pas celles de la police d'un Etat démocratique. Les défenses n'auront donc pas de contre-preuve à décharge solide et irréfutable d'un point de vue technique à opposer à la carte maîtresse que jouera le parquet avec ses témoignages et ses preuves à charge.

La flexibilité de la violence
Le Tribunal veut aller droit au but, mais le procès sera long de toute façon et la carte de la rébellion finira par être jouée. Aujourd'hui, la procureure Consuelo Madrigal a souligné un point sur lequel le parquet voudra mettre l’accent, mise à part la violence qu’il veut attribuer aux votants : c’est le fait qu'il ait pu y avoir une stratégie de mobilisation pour lancer les masses contre les institutions de l'État. C'est la raison pour laquelle la procureure insistait autant sur les adjectifs qualifiant les manifestations - “de masse”, ”imposantes” - que l’ANC aurait prévu sur sa « feuille de route », avant même le référendum de 2017. Elle s’en est très mal sortie, car elle s’est trompée de document : elle a dit que ces expressions figuraient sur la feuille de route de la coalition politique « Junts pel Sí » (Ensemble pour le oui). Mais ce n’était pas le cas et, en outre, en voulant y attacher de l’importance, elle contribuait à criminaliser, une fois de plus, le droit de manifestation. Puis elle a abandonné le thème de la feuille de route et s’est de nouveau consacrée à la malversation. Mais le parquet y reviendra.

Après une phase d’instruction aussi dure, totalement adossée sur les accusations du parquet et même de Vox (accusation civile) en ce qui concerne la rébellion et la violence, il sera difficile au tribunal présidé par Marchena de ne pas suivre une ligne identique dans ses conclusions au moment où il rendra son verdict. Le faire serait désavouer le juge d’instruction Llarena et la juge d’instruction de l’Audience nationale Carmen Lamela, actuellement également magistrate de la deuxième chambre du Tribunal suprême espagnol. Les magistrats pourront avoir une certaine latitude car la rébellion et plus particulièrement la sédition sont des délits dont la définition est assez vague dans le code pénal espagnol. Soulèvement violent ? Désordre ? Les sept magistrats auront ce problème devant eux et ils chercheront l'unanimité dans la sentence, en jouant de l'ambiguïté de ces termes accusatoires. Une ambiguïté qui leur permettra de jongler, selon les cas, entre rébellion, sédition, complot de rébellion ... Le problème, c’est la perspective, l'axe qui sous-tend ce procès : les droits fondamentaux n’y sont pas au centre. Il y a longtemps qu’ils ont été bafoués. Le délit est un présupposé. C'est la raison pour laquelle le parquet est si calme.

OBSERVATION ET RESSENTI

Le calendrier des sessions de mars constitue un véritable abus pour les prisonniers et pour leurs familles
Aujourd'hui, nous avons pu voir comment le président du tribunal avait l'intention d'adapter au prochain calendrier électoral un procès d'une telle importance, lui imposant un rythme qui fera qu'avant le mois de mai, il n'y aura plus qu'à attendre le verdict. C'est ce que craignaient les défenses, inquiètes des conséquences sur les prisonniers. Et aujourd'hui, déjà, ils ont dû y faire face avec cette interminable journée d'interrogatoires : très tôt le matin la Guardia civil les transfère en fourgonnettes depuis les prisons de Soto del Real (pour les hommes) et d'Alcalá Meco (pour les femmes) et à huit heures précises ils arrivent dans les cachots de l'Audience nationale espagnole. Puis la police espagnole les conduit au Tribunal suprême. Les sessions commencent à dix heures. Dès le début, il a été proposé qu'elles prennent fin à dix-huit heures, de mardi à jeudi, afin que les avocats aient assez de temps pour s'entretenir avec leurs clients et préparer dans de bonnes conditions leur défense, mais également pour que les familles puissent bénéficier des deux parloirs mensuels, au moins le lundi. Mais aujourd'hui, déjà, cela ne s’est pas déroulé ainsi. 

La session s'est prolongée bien plus tard car le président Marchena prétendait accélérer le rythme et achever les interrogatoires de tous les accusés avant de commencer, mardi, les déclarations des témoins. Il s'est réservé la possibilité de faire siéger le tribunal lundi prochain pour clore les interrogatoires des accusés. Aujourd'hui, ils auront dîner très tard en arrivant à la prison, et demain probablement aussi. Marchena a déjà annoncé le calendrier des sessions du mois de mars : le tribunal siègera également les lundis des deux premières semaines, la troisième semaine seulement de mardi à jeudi et la dernière semaine de lundi à vendredi. Les familles, à travers l'Association catalane pour les droits civils, ont dénoncé publiquement ce calendrier abusif. 

Que se passera-t-il demain ?
Manuel Marchena souhaite achever demain les interrogatoires des accusés, ne pas siéger vendredi et initier la semaine prochaine les déclarations des témoins. Les prochains accusés interrogés seront, dans l’ordre, Santi Vila, Jordi Sànchez, Jordi Cuixart et Carme Forcadell.

Source:
Alerta amb la falsa eufòria: la fiscalia sap a què juga

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