Le juge Marchena ôte son masque. Zoido entrouvre une nouvelle brèche



Les témoignages de l'ex-ministre Zoido et du lehendekari Urkullu révèlent, et l'absence totale de volonté de dialogue politique du gouvernement espagnol, et le montage d'une action de répression policière

Aujourd'hui, dans la salle d'audience du Tribunal suprême espagnol, impossibilité totale de montrer à Juan Ignacio Zoido, le ministre responsable des brutalités policières du 1-O, des images de cette violence. Ce n'est ni un détail mineur, ni une anecdote. C'est la constatation qu'avec les déclarations des témoins, le procès est entré dans sa phase dure, celle dans laquelle chaque partie jouera ses cartes. Le président du tribunal, Manuel Marchena, en est tout-à-fait conscient. Il a affiché, au fur et à mesure de cette journée, un changement fondamental dans sa façon d'être, abandonnant peu à peu cette bonhommie plutôt neutre qu'il affichait depuis le début du procès. En effet, l'apparence de neutralité était une sorte de prérequis en ces premiers jours, avec toutes ces caméras tournées vers eux, avec tous ces gens à l'affut de son attitude. Nous avions déjà expliqué qu'en ce qui concerne les décisions touchant plus au fond de cette procédure, celles qui touchent plus directement l'égalité des armes dont disposent les accusations et les défenses, ce ne serait plus ainsi. C'est exactement ce qu'a fait aujourd'hui, sans vergogne, le président du tribunal quand Me Benet Salellas, l'avocat de Jordi Cuixart, a voulu montrer à Zoido une vidéo de la violence de la Guardia civil contre le bureau de vote de Sant Julià de Ramis le 1-O, bureau où devait aller voter le président Puigdemont : il s'est délibérément opposé à cette diffusion. Hier, Rajoy avait dû se résoudre à voir les coups et les blessures infligés par les policiers aux personnes qui étaient allées voter à Sant Carles de la Ràpita. En outre, la première semaine, Marchena et les six autres magistrats avaient déjà dû se résoudre à voir le coup de pied lancé violemment dans l'escalier du collège Pau Claris. Mais là, c'en était trop.

Marchena n'a pas dit que les vidéos ne pouvaient pas être projetées, il a dit qu'elles le seraient au moment de la phase des preuves documentaires et matérielles. Mais pas maintenant, pas pendant l'audition des témoins. Me Salellas lui a pourtant rappelé l'importance qu'il y avait à le faire devant un témoin tel que Zoido, afin de pouvoir confronter les affirmations de celui-ci avec ce qui s'était réellement passé, de manière à ce qu'il constate que, effectivement, les agents de la Guardia civil avaient agi d'une manière qui bafouait les bonnes pratiques de maintien de l'ordre qui stipulent qu'il est en particulier interdit de frapper la partie supérieure du corps, la tête et le visage. Le rapport de Núria Pujol-Moix fait état de plus d'une centaine de traumatismes à la tête et au cou et de près de trois cents sur les parties supérieures du corps. Nous n'avons pas pu voir en images ces comportements. Donc, aujourd'hui, changement de règle, comme par hasard au lendemain de l'incident avec les témoins Antonio Baños et Eulàlia Reguant, qui ont refusé de répondre aux questions du parti d'extrême-droite Vox, « accusation populaire » au procès.

L'aspect de Marchena a changé. Aujourd'hui, il était plus tendu, plus crispé, plus intransigeant, sans cette souplesse et cette fausse bonhommie qu'il avait voulu montrer lors des deux premières semaines du procès, comme si lui-même et les autres magistrats avaient voulu dire « assez » : il suffit de se rappeler, hier, le juge Luciano Varela, indigné, tapant sur la table avec les papiers qu'il avait devant lui, parce que Baños se refusait à répondre aux questions de Vox. Le président du tribunal tombe maintenant son masque « garantie de neutralité », tout juste avant le début des témoignages, la semaine prochaine, des officiers des corps de commandement de la police. Le jour où Zoido devait venir déclarer est enfin arrivé, une sorte de « mise en bouche » de ce qui pourrait se passer la semaine prochaine. L'ancien ministre de l'Intérieur s'est tiré une énorme épine du pied, celle de sa responsabilité dans la vraie violence du 1-O, la violence de la police. Il a déclaré, sous serment, qu'il ignorait, et le dispositif préparé pour permettre à la Guardia civil et à la police espagnole d'intervenir le jour du référendum, et les critères de leur action, et pourquoi ils étaient allés justement dans les bureaux de vote où devaient voter Puigdemont, Junqueras, Forcadell et les autres responsables. Rajoy et Sáenz de Santamaría avaient eu aussi, sous serment, déclaré tout ignorer du dispositif, leur seul interlocuteur étant Zoido. Et voilà que celui-ci affirme la même chose, qu'il n'en portait pas la responsabilité, que c'était l'affaire de Diego Pérez de los Cobos, qui déclarera mardi prochain probablement.

Zoido, de témoin à accusé
Au cours de l'interrogatoire de Zoido, le plus long de la journée, les avocats ont pu recentrer le procès sur la question qui devrait être au cœur de celui-ci : qui a été, qui est le responsable de cette répression, de cette disproportion planifiée et exécutée sans le moindre ménagement pour personne. De témoin, Zoido devient accusé. Les avocats de la défense – Me Salellas, Me Pina, Me Melero et Me Van den Eynde – en ont tiré quelques perles et un grand nombre de contradictions. Comme, par exemple, le fait que l'ancien ministre de l'Intérieur ait été incapable d'étayer au moyen de preuves ou de faits avérés ses propres affirmations selon lesquelles, bien avant le 1-O, il n'avait confiance ni dans le corps des Mossos d'Esquadra, ni dans le major Trapero pour faire exécuter les ordres du Parquet tout d'abord, puis ceux de la juge Mercedes Armas après que celle-ci ait fait fermer les bureaux de vote ; ou quand l'argument que lui-même ou l'amplification médiatique ont tant de fois repris depuis un an, selon lequel le déploiement de six mille Mossos le 1-O était insuffisant, négligeant de dire que ce jour-là la police catalane avait été présente plus longtemps sur le terrain que lors des élections imposées du 21 décembre 2017 (21-D) ; ou, par exemple, lorsque Me Melero lui a fait remarquer, chiffres à l'appui, l'efficacité très relative des actions de la Guardia civil et de la police espagnole essayant de se substituer au travail des Mossos le 1-O : entre 5 et 10 % de fermetures de bureaux de vote sur l'ensemble de ceux-ci, ajoutant qu'en revanche, à la suite de leurs actions, un millier de personnes avaient été blessées. Me Melero a enfin mis l'accent sur le contraste saisissant existant entre les conséquences des dispositifs anti-émeutes mis en place par le gouvernement espagnol, la demande express de la juge Armas de « ne pas affecter le maintien de la cohésion citoyenne » et celle du secrétaire d'Etat chargé de la sécurité, José Antonio Nieto, disant, dans un autre ordre, que la priorité était la sécurité des citoyens et des agents plutôt que l'efficacité.

Un vrai scandale. Zoido en est arrivé à dire : « si l'on n'avait pas inciter les gens à aller voter, il ne se serait rien passé ». Ce récit est également celui de l'accusation et celui de l'ensemble de l'instruction dirigée par Pablo Llarena mais que, disent les mauvaises langues, suivait de très près Manuel Marchena. Placer les droits fondamentaux hors du droit constitue une approche extrêmement préoccupante car ceux-ci devraient se trouver, bien évidemment, au centre du droit. C'est ce que l'on constate à travers les déclarations de Zoido et des procureurs, quand ils déshumanisent les votants du 1-O ou les personnes qui manifestaient le 20 septembre, quand ils les traitent « de boucliers pour empêcher l'exécution des ordres judiciaires » ou de « murs humains projetés contre les forces de l'ordre ». On comprend ainsi pourquoi Zoido se fiche bien que les agents aient donné des coups de matraque sur les têtes et les visages, qu'ils aient ouvert le crâne à tant de gens et qu'ils aient causé une trentaine de traumatismes cranio-encéphaliques. Il a même dit, comme si cela constituait une preuve de la rébellion, que là où il y avait eu le plus de problèmes, c'était là où les gens étaient accrochés les uns aux autres par les bras, assis à terre et que, lorsqu'on les faisait se lever, ils se rasseyaient. Il a ainsi décrit l'un des comportements de la résistance passive en le criminalisant.

Voilà la valeur, pour les défenses et pour les accusés, du témoignage de Zoido. Malgré les entraves de Marchena, malgré son refus de projeter la vidéo des violences commises par ses propres policiers. Par son témoignage, Zoido a permis aux accusations de jouer une nouvelle carte, une carte que, jusqu'alors, ils gardaient dans la manche, et qui n'a rien à voir avec les faits du 1-O et du 20-S : celle de la demande formulée par les Mossos en 2016, d'achat d'armes et de munitions à laquelle le ministère s'est opposé. C'étaient des « armes de guerre », a dit Zoido. Ils ont considéré que cette demande n'était pas pertinente et ils ont refusé l'acquisition de ces matériels. Le Parquet et Vox, main dans la main, ont demandé s'il y avait des lance-grenades et autres matériels militaires. Zoido n'a pas su le dire. Un point c'est tout.

Une opportunité et une difficulté
Dans l'ambiance de ce dernier jour de procès de la semaine une dominante persiste, celle d'une préméditation de la part du gouvernement espagnol au moment de bâtir tout un dispositif répressif dans la perspective du référendum. La préparation d'un contingent de tant de milliers d'agents qui seraient envoyés en Catalogne nécessitait beaucoup de temps et, hier déjà, Sáenz de Santamaría avait dit qu'ils avaient commencé à l'imaginer quand ils avaient vu, en juillet 2017, que Joaquim Forn assumerait la charge de ministre [catalan] de l'Intérieur. Réponse policière au lieu de dialogue politique. C'est la conclusion, renforcée par le témoignage du lehendakari, Iñigo Urkullu, qui a tourné en ridicule le témoignage d'hier de Rajoy qui avait déclaré sous serment que ses échanges avec le lehendakari n'avaient été que des échanges parmi beaucoup d'autres. Urkullu a déclaré qu'ils s'étaient réunis tous les deux, qu'ils avaient eu des contacts réguliers pendant les mois de septembre et d'octobre 2017 dans une tentative de médiation pour mettre en place un dialogue que le président du gouvernement espagnol n'avait jamais voulu et que le président catalan avait essayer jusqu'au dernier moment d'ouvrir. Peut-être faudrait-il juger cela ? Le défi des défenses, dans les prochaines semaines, sera de continuer à maintenir l'attention et braquer un regard accusateur pas tant sur ce que les accusés de ce procès politique ont pu faire, mais plutôt sur les agissements du gouvernement espagnol. Parce que la véritable cause de ce procès est celle-là et qu'elle est bien cachée.

Mais ils devront également faire face à une complication, apparue aujourd'hui, en lien avec un nouvel élément qui a envahi peu à peu les murs de marbre du tribunal suprême : la marge de manœuvre des défenses sera chaque fois plus étroite, elles seront de plus en plus corsetées et la marge d'interprétation du tribunal durant les prochaines phases du procès ne jouera jamais en leur faveur, parce que Manuel Marchena a décidé qu'il était maintenant l'heure d'enlever le masque.

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Que se passera-t-il la semaine prochaine ?
La semaine prochaine sera longue car elle commencera dès lundi, jusqu'à jeudi. Il y aura les déclarations des officiers des corps de commandement de la police, comme celui, mardi, de Diego Pérez de los Cobos, le coordinateur imposé le 1-O pour coordonner les différents corps de police. Auparavant, déclareront José Antonio Nieto, l'ex-secrétaire d'Etat chargé de la sécurité, et Enric Millo, l'ex-délégué du gouvernement espagnol en Catalogne, ainsi que Juan Antonio Puigserver, le responsable de l'Intérieur durant l'application de l'article 155, et également Roger Torrent, le président du Parlement catalan. Lundi, sont cités à déclarer José María Espejo-Saavedra, de Ciutadans, vice-président du Parlement pendant la présidence de Carme Forcadell, Antoni Bayona, l'ex-juriste principal du Parlement catalan, et Xavier Muro, l'ex-secrétaire général de ce même parlement.

Source
Le juge Marchena ôte son masque. Zoido entrouvre une nouvelle brèche Per: Josep Casulleres Nualart - 28.02.2019 20:20

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