Le très dangereux Pérez de los Cobos et le “martyre” d’Enric Millo



Millo a voulu passer pour le meilleur de la classe, mais a fini par s’emmêler les pinceaux et faire perdre des points à l’accusation, tandis que Pérez de los Cobos a parfaitement emboîté son récit dans celui de l’accusation.

Le Parquet s’est montré totalement indifférent à ce que disaient les prisonniers. Les procureurs ont montré un tel manque de préparation et une telle incurie pendant les interrogatoires des accusés que ç’en était presque insultant, parce qu’ils n’avaient cure de ce que pouvaient affirmer les prisonniers à propos de l’exercice des droits fondamentaux ou de la réponse répressive de l’État aux mobilisations de masse pacifiques, mais aussi parce qu’ils étaient convaincus que Manuel Marchena et les autres magistrats n’y prêtaient pas intérêt non plus. C’est cette semaine qu’ils ont déployé avec force leur stratégie, et aujourd’hui plus particulièrement, grâce à leur principal témoin à charge, le colonel Diego Pérez de los Cobos. L’État l’avait parachuté en tant que coordinateur de la police pour agir contre le référendum du 1-O. Pérez de los Cobos leur a permis de renforcer le discours de violence rebelle, en accusant les Mossos d’Esquadra (police catalane) d’inaction et de connivence avec le référendum, en expliquant à qui voulait l’entendre que la police n’a pas chargé le 1-O, que leur action avat été extrêmement proportionnée, et qu’aucune personne âgée n’avait été frappée. Alors qu’il y a eu environ soixante blessés de plus de 65 ans pendant ces charges. Cet individu n’éprouve aucun scrupule à l’heure de faire une telle affirmation ou de mépriser « la volonté de maintenir la cohésion citoyenne », comme le lui proposaient les Mossos ou le Président Puigdemont.

Le mensonge est au cœur de l’argumentaire de l’accusation. Pérez de los Cobos l’enveloppe d’une couche technique. Contrairement au matin, où le mensonge d’Enric Millo a été maladroit et désordonné, avant de finir dans un bourbier, le récit de Pérez de los Cobos est en parfaite adéquation avec celui qu’ont construit pendant des mois le juge d’instruction Pablo Llarena, le parquet, l’avocate générale, le journal El País, la chaîne de télévision Antena 3, et les partis PP, Ciutadans et Vox. C’est la version officielle, celle qui pourrait servir de base à la sentence, si les juges considèrent qu’elle les mènera à une condamnation pour rébellion et sédition. Enric Millo a voulu passer pour le meilleur de la classe, il s’est finalement empêtré, et il a fait perdre des points à l’accusation.

Le plus incroyable a été quand Pérez de los Cobos a déclaré: ‘Il n’y a pas eu d’intervention contre des votants ». Depuis un bon moment la procureure Consuelo Madrigal échangeait un sourire complice avec Pérez de los Cobos, pendant son interrogatoire réglé au millimètre près. Elle lui a demandé « Et contre des personnes âgées et des enfants, contre des personnes handicapées ?’. Réponse : ‘Non, pas d’intervention, seulement contre ceux qui essayaient d’empêcher l’accès aux locaux afin de permettre à la police d’accomplir sa mission. Et Madrigal de surenchérir : "Certains ont dit ici que la Police a chargé. La police a-t -elle chargé?" Pérez de los Cobos répond: ’Non, pas de la part des corps et des forces de sécurité de l’état. La police charge pour dissoudre ou pour expulser d’un bâtiment. Grâce à leur usage parfait et proportionné de la force, les forces de sécurité ont évité à tout instant de vider les locaux.’ Madrigal avance un pion : ‘Et pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? ‘. Réponse de de los Cobos : ‘Car ils avaient l’intention d’accomplir la mission et les ordres reçus au moindre coût pour la sécurité de la population’. Regardez :
Son récit est sinistre. Il a expliqué froidement comment ils avaient décidé très tôt le 1-O "d’agir de leur propre initiative", de ne pas partager l’information avec la police catalane ni de coopérer avec elle, considérant que les objectifs des deux corps de police n’étaient pas les mêmes; comment ils avaient agi jusque vers six heures du soir, niant avoir reçu l’ordre de cesser les actions ; expliquant comment les gens se regroupaient, positionnaient les enfants en première ligne, devant des murs humains qu’ils avaient formés au sein desquels il y avait des groupes parfaitement organisés, hiérarchisés, avec des exécutants capuchonnés, et d’autres qui avertissaient que la police arrivait…’ Notamment des mères. Parce que les convois de la Guardia civil et de la police nationale se promenaient devant de nombreuses écoles, sans intervenir, dans le but unique de semer la panique collective. Une plainte a été déposée contre Pérez de los Cobos pour avoir conçu un dispositif de répression et de violence organisée et planifiée contre la population de LLeida. Le juge a accepté la plainte pour atteinte aux droits individuels, torture, et troubles de l’ordre public. L’affaire est en cours.

Parenthèse : Marchena n’a pas demandé au témoin s’il avait déjà été mis en examen, il lui a seulement demandé s’il connaissait les accusés, s’il était marié, etc… Il l’avait pourtant fait avec d’autres témoins, comme par exemple Artur Mas, qui a répondu qu’il avait été mis en examen et condamné pour le 9-N. Pérez de los Cobos a lui aussi déjà été mis en examen et jugé en 1997, quand il était au Pays Basque, avec cinq autres Guardia civil pour tortures envers un membre d’ETA, Kepa Urra. Trois d’entre eux furent condamnés, tandis que lui-même et deux autres Guardia civil furent disculpés.

Le témoignage de Pérez de los Cobos peut avoir une forte incidence sur l’issue du procès, puisqu’il était en première ligne, pendant les événements du 1-O. Par exemple, à propos de ce qu’avait ordonné la magistrate du Tribunal supérieur de justice de Catalogne qui avait demandé que soit préserver le « maintien de la cohésion citoyenne » à l’heure de fermer les écoles et les bureaux de vote ; Perez de los Cobos pense que c’est l’excuse derrière laquelle les Mossos se sont retranchés pour ne rien faire. Ou également quand le major Josep Lluís Trapero a dit que les Mossos n’utiliseraient pas la force s’il y avait des enfants et des personnes âgées dans les bureaux de vote. Trapero a été la principale cible des attaques de Pérez de los Cobos comme il l’avait été hier d’Enric Millo. C’est l’une des grandes anomalies de ce procès : Trapero et les haut-commandements des Mossos seront jugés dans un tribunal différent, ce qui fait qu’aujourd’hui, dans l’enceinte du Tribunal, l’avocate de Trapero n’est pas présente, alors qu’elle aurait pu éclairer ou contredire par des preuves les affirmations qui concernaient son client. C’est pour cela que le Tribunal avalise le témoignage de Pérez de los Cobos, car il va lui être d’une grande utilité quand le récit sur l’organisation et la préparation d’une résistance violente pour faire plier l’Etat sera étudié. C’est ce que Marchena ne cesse de répéter quand il coupe la parole à la défense : ce récit est « juridiquement recevable ». Ce même récit que la justice allemande n’a pas retenu. Marchena et ses acolytes se moquent bien que la police ait ouvert le crâne d’une femme âgée : « cette affaire est traitée par une autre cour de justice ».

La souffrance d’Enric Millo
Enric Millo le savait bien, mais il a voulu plaire à ses acolytes. Aujourd’hui dans l’enceinte de la salle d’audience du Tribunal suprême espagnol, Enric Millo a voulu étaler sa souffrance, son angoisse, et les mauvais moments qu’il a dû endurer à l’automne 2017, à cause du « climat de violence » que, selon lui l’indépendantisme avait provoqué. Il l’a fait plutôt pour faire oublier ses propres mensonges et diffamations qu’il a distillés devant le tribunal, dans un duo de questions-réponses pesé et calculé avec l’accusation. Millo a ensuite repris son rôle de majordome : prêt à se salir sans limites, “la voix de ses maîtres” pouvu qu’ils puissent sauver leur peau. A contrario de Rajoy, Sáenz de Santamaría et Zoido, qui eux n’avaient cité concrètement aucun des actes de violences auxquels ils se référaient, ce qui les aurait obligés à mentir, Millo, lui, n’a pas hésité à mentir. Comme hier José Antonio Nieto, il a lui aussi proféré quelques mensonges. Mais Millo a voulu forcer la dose, et il s’est carrément enfoncé dans la boue, avec délectation ; au point qu’on avait l’impression qu’il avait oublié qu’après les questions du parquet et des autres accusations, viendrait une pluie de questions de la part de la défense, le véritable interrogatoire. Et là pour le coup, il a souffert pour de vrai.

Par exemple, quand la défense a mis en évidence que, si inaction il y avait eu de la part des Mossos les jours précédant l’1-O, il y en avait eu aussi de la part de la Guardia Civil et de la police espagnole, car personne n’a empêché les activités ludiques organisées dans les écoles-bureaux de vote. Ces activités ne requerraient aucune intervention car ce n’étaient pas des « activités de préparation du référendum ». Il a alors fait la chronique des souffrances et de la violence responsables d’un « climat » de violence, qu’il n’a pu étayer par aucun fait ni aucun détail Il et n’a cité qu’un graffiti sur un mur disant « Mort à Millo » dont il ne savait rien de l’auteur. Il a ensuite parlé de concentrations violentes pour lesquelles il n’y a eu ni détentions ni blessés. Des voitures de la Guardia civil endommagées, ah ça oui. Et il est même allé jusqu’à parler d’artefacts incendiaires lancés en direction de casernes de la Guardia civil (en fait il y a eu un seul objet, un pull vert de l’armée espagnole, qui a été brûlé). Il a alors calomnié Marta Torrecillas, l’accusant d’avoir menti quand elle a affirmé qu’on lui avait cassé les doigts le 1-O, alors qu’ils n’étaient pas cassés, oubliant au passage de préciser que les services d’urgence lui avaient dit dans un premier temps qu’il était plausible que ses doigts soient cassés tellement elle avait mal, et qu’au final, ils avaient diagnostiqué des une capsulites causées par les policiers qui l’avaient violemment projetée et traînée dans les escaliers. Un mépris écoeurant de la souffrance de l’ennemi.

Et le liquide vaisselle, bien sûr: Le Fairy, c'est claire.

Marchena a laissé l’accusation poser des questions contenant autant d’interprétations, de suggestions que souhaité. Si bien que le discours du témoin s’intègre parfaitement dans celui du parquet, au lieu d’être le discours d’un individu qui apporte des éléments à valeur juridique, par sa connaissance et sa perception directe des faits relatifs au procès. Même attitude qu’avec Rajoy, Sáenz de Santamaría et José Antonio Nieto. Attitude qui ne laisse aucune marge de manœuvre à la défense. Même Me Melero (l’avocat de Joaquim Forn), qui, au début du procès, commentait dans les couloirs du Tribunal que Marchena procédait avec une bonhommie formelle, a aujourd’hui avoué qu’il était estomaqué par règles restrictives appliquées par le président du tribunal. Comme par exemple, quand celui-ci l’a empêché de lire un extrait d’une des déclarations d’Enric Millo, parue dans un journal, alors qu’il avait permis à de nombreuses reprises au parquet de lire des messages de réseaux sociaux écrits par les accusés censés être des preuves à charge. Marchena applique le principe de deux poids deux mesures de façon visible.

QUE SE PASSERA-T-IL DEMAIN?
L’interrogatoire de Diego Pérez de los Cobos continuera demain à 9h30. Il peut se prolonger dans la matinée en deçà des trois heures allouées pour les interrogatoires des accusations et de Me Melero, et les questions des autres avocats de la défense. Puis ce sera au tour de la greffière du Tribunal n°13 de Barcelone, Montserrat del Toro, qui, dans sa déposition, avait déclaré avoir été obligée de sortir par la terrasse du bâtiment voisin du ministère de l’Economie le 20 septembre. Puis ensuite viendra le tour des propriétaires des hôtels où logeaient des Guardia civil et des membres de la police espagnole.

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Le dangereux Pérez de los Cobos et le martyre d’Enric Millo

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