Me Marina Roig fait passer un très mauvais moment à l'un des témoins du parquet : le procureur Zaragoza s'en mord les doigts



Aux fins d'incriminer Jordi Sànchez, Jordi Cuixart et le corps des Mossos, les agents de la Guàrdia civil à la tête des opérations du 20-S au ministère catalan de l'économie dépeignent des scènes d'agressivité et d'hostilité


Dans la salle d'audience du Tribunal suprême espagnol, de petits détails, parfois, font penser que les choses ne vont pas si bien que ça pour l'Accusation. Notamment aujourd'hui, lorsque le procureur Javier Zaragoza s'est mordu les ongles quand il a commencé à sentir que l'interrogatoire du premier témoin de la journée, qu'il avait lui-même proposé, partait de travers. En effet, les questions de la défense, ont vite embarrassé le capitaine de la Guàrdia civil en charge de la coordination des perquisitions du 20-S ; il s'est mis à bafouiller, à devenir incohérent et évasif, quand il n'a pas totalement perdu la mémoire de certains faits, au point que le président Manuel Marchena a dû le rappeler à l'ordre. Zaragoza se mordait les ongles, regardant sans ciller par dessus ses lunettes, tantôt le témoin, tantôt Me Marina Roig qui menait l'interrogatoire, voyant comment s'enlisait ce jeune guàrdia civil, à la silhouette élancée, devenu soudain muet et ayant totalement perdu sa belle assurance : il en chancelait presque du poids de ses silences et de ses « je ne m'en souviens pas ». Quelles meilleures réponses pour corroborer que cette violence que le témoin avait cherché à démontrer dans sa déposition n'était en réalité qu'une sensation (ou un souhait) qu'il avait éprouvée, à des années-lumières des faits incontestables de ce jour-là devant le ministère catalan de l'Economie. Cet officier ainsi que le lieutenant-colonel qui a été entendu dans l'après-midi sont les deux témoins clefs des chefs d'accusation pesant sur Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, ou plus exactement, de la mise en oeuvre du fameux « plan B » du parquet.

Ce plan B consistait à présenter « la masse » – non des gens, des personnes ou des manifestants, mais bien « la masse » – comme arme de la rébellion. On avait bien vu, après la déposition du major Trapero et de l'état-major du corps des Mossos d'Esquadra, que les armes des dix-sept mille Mossos n'étaient destinées ni à imposer ni à soutenir une déclaration d'indépendance. Cependant, le code civil espagnol requiert, pour une condamnation pour rébellion ou pour sédition, des actes de violence, un usage de la force ou des émeutes. Alors, les témoignages entendus aujourd'hui, celui du chef de la police judiciaire qui avait dirigé la perquisition au ministère catalan de l'Economie et celui du chef du service de sécurité de la Guardia civil, devaient servir à en apporter la preuve.

Le premier avait bien appris sa leçon et s'appliquait dans ses réponses aux questions du procureur Zaragoza qui, dans leur formulation même, induisaient ces réponses. Cela ressemblait plus à une partition à quatre mains qu'à un interrogatoire. Tous les agents de la Guàrdia civil entendus ici utilisent des champs sémantiques pratiquement identiques, qui vont bien plus loin que leurs déclarations préliminaires consignées dans les procès-verbaux policiers ou dans leurs dépositions devant les juges d'instruction. Ils sont bien conscients que leurs déclarations faites ici ont plus de valeur que celles faites lors des procès-verbaux, c'est du moins ce que Marchena a rappelé plus d'une fois. Voilà pourquoi il est important, à ce moment du procès, de mettre en exergue autant que faire se peut la violence des gens, de « la masse », ce qui conduit ces agents à exagérer ; certains le font avec plus ou moins d'élégance. Ceux d'aujourd'hui n'ont pas été très brillants.

Si nous étions sortis, ils nous auraient taillés en pièces
Le capitaine en chef de la Guàrdia civil était parfaitement à son aise : il qualifiait d'acte d'hostilité insoutenable le rassemblement, décrivant la grande passivité, voire l'apathie, de Teresa Laplana, le lieutenant du corps des Mossos d'Esquadra, responsable de l'opération ; il décrivait Jordi Sànchez comme ayant été le chef de la sécurité in pectore de tout le rassemblement, rassemblement convoqué/toléré par l'ANC, Omnium et les Mossos. C'était « le seul interlocuteur valable de la masse », a-t-il dit. Il est probable que c'est ce même officier qui a prévenu un agent de la Guàrdia civil qui avait témoigné la semaine dernière, agent qui était allé arrêter Natàlia Garriga, un haut-fonctionnaire de la vice-présidence de la Generalitat. Il avait convaincu cet agent de ne pas la conduire au ministère catalan de l'Economie parce que c'était une « putain de folie ». Aujourd'hui, il a confirmé qu'il avait bien mis en garde son collègue que c'était « une folie ». En quoi consistait donc cette (putain de) folie ? La folie, selon lui, c'était la foule qui, à dix heures et quart, scandait « Hors d'ici forces d'occupation ! », « Nous voterons ! » ; selon lui, des « cris coordonnés de la masse ». Une perception toute personnelle, et comme il en était conscient il a renforcé son récit en révélant que cette perception avait été partagée par un membre des Mossos qui leur aurait dit, s'ils osaient, après la perquisition, sortir du bâtiment avec la documentation saisie : « ils vous tueront ».

Il lui manquait des éléments de violence, parce que les cris ne sont que des cris et sont monnaie courante dans les manifestations et protestations de toutes sortes. Il a donc trouvé cet élément qui manquait : une « avalanche humaine » qui aurait fait trembler la porte d'entrée du ministère catalan de l'économie à tel point qu'ils avaient dû s'arc-bouter de l'intérieur pour l'empêcher de céder. Il a situé cette « avalanche » vers deux heures et demie du matin. A cette heure-là, il restait, à vue d'oeil, une centaine de personnes devant le bâtiment jusqu'au moment où les policiers anti-émeutes des Mossos les ont avec fermeté contraints de partir. C'est peut-être ça l'avalanche dont parlait le témoin. Celui-ci a été suffisamment imprécis pour que son témoignage prête à confusion et que le tribunal ait retenu que l'avalanche c'était la foule rassemblée depuis des heures, qui avait manifesté pacifiquement durant toute la journée. Il a renforcé son témoignage par une dernière appréciation personnelle : Vous n'avez même pas essayé de sortir du bâtiment ? « Il y avait le risque qu'ils nous attaquent » Et encore plus fort : « Si nous étions sortis, ils nous auraient taillés en pièces ».

Mais quand cela a été au tour de Me Marina Roig, l'avocate de Jordi Cuixart, de l'interroger, le capitaine, matricule C57393, et son récit se sont peu à peu désagrégés comme le ferait un morceau de sucre. Me Roig a mené un véritable interrogatoire d'anthologie. Elle a démarré par une série de questions qui ont de nouveau mis en lumière les excès et les irrégularités des perquisitions et des détentions du 20 septembre. Marchena l'a mise en garde l'enjoignant à ne pas insister, mais cela avait été dit et tout le monde en avait pris bonne note. Elle a poursuivi par une kyrielle de questions très concrètes et brèves, portant sur des faits eux aussi concrets dont elle connaissait déjà les réponses, réponses faciles à deviner (cliquer sur ce lien pour suivre l'interrogatoire complet : video). Quelques exemples de ses premières questions :

– Vous souvenez-vous si des Mossos d'Esquadra du service de la Protection sont arrivés vers 18 heures ou 19 heures ?
– Je ne m'en souviens pas.
– Vous souvenez-vous si l'inspecteur des Mossos vous a proposé d'aller se rendre compte sur place de l'état des véhicules de la Guàrdia civil pour, après, vous en informer ?
– Ben... Heu... a un moment, dans l'après-midi, peut-être bien. Mais vraiment, je ne m'en souviens pas clairement.
– Vous rappelez-vous si cette vérification avait été faite à 11 heures du matin ?
– Non. Peut-être qu'à ce moment-là je n'y étais pas.
– Vous souvenez-vous si, dans le vestibule d'entrée, à 11 heures du matin, un employé du ministère vous a proposé son aide en cas de besoin ?
– Si nous avions besoin de quelque chose ? Nous devions emmener les détenus, mais en dehors de cela...
– Avez-vous parlé avec la responsable du protocole ?
– Je ne m'en souviens pas.
– Une grande jeune femme, avec une queue de cheval et des lunettes ?
– Je ne m'en souviens pas.
– Vous n'avez parlé qu'une seule fois avec Jordi Cuixart, à 21h30. Pendant combien de temps ?
– Je ne sais pas. Euh... Ce n'était pas une conversation très longue. Moins d'une heure... mais je ne sais pas.
– Vous souvenez-vous, quand vous avez parlé tous les deux, s'il vous a dit qu'ils allaient disperser le rassemblement ?
– Euh... Je ne m'en souviens pas. Je ne me souviens pas non plus qu'ils l'aient dispersé. Non, je ne m'en souviens pas.
– Pendant la nuit, y a-t-il eu des moments où le vestibule était vide ?
– Je ne m'en souviens pas. Peut-être. Je ne m'en souviens pas.

C'est à cet instant précis que, dans un mouvement de tête, le procureur Zaragoza se mord violemment l'ongle le tordant sur lui-même comme pour l'enrouler. Il échange quelques mots avec le procureur Moreno : il voit bien que l'interrogatoire ne se passe pas bien. Et, effectivement, Marchena finit par l'interrompre, prévenant le témoin que ses réponses devaient être aussi précises et concrètes que celles qu'il avait faites au procureur. A la reprise de l'interrogatoire, le petit morceau de sucre a fini de se dissoudre au moment où Me Roig a demandé au témoin s'il savait ce que Jordi Cuixart et Jordi Sànchez avaient dit du haut du véhicule de la Guàrdia civil (ils avaient déjà demandé la dispersion du rassemblement) : « Je ne m'en souviens pas ». Et quand l'avocate lui a demandé s'il savait ce que les deux accusés avaient dit, peu avant, depuis la scène qui avait été installée (ils avaient demandé la dispersion) : « Je ne m'en souviens pas », a-t-il répondu.

Me Pina défie le président Marchena
Témoignage totalement désamorcé et, à n'en pas douter, le président et les magistrats en ont été pleinement conscients : ce témoignage tapageur n'a rien démontré. Cependant, celui du chef de la sécurité, responsable du dispositif du 20-S, entendu cet après midi, a été, lui, plus convaincant, le témoin semblant plus sûr de lui et faisant montre d'une éloquence qu'on ne lui connaissait pas. Me Pina l'a fait remarquer. Le lieutenant-colonel a dit que les deux agents de la Guàrdia civil qui s'étaient relayés devant la porte du ministère de l'Economie n'avaient cessé de recevoir des menaces : « ils ont été humiliés, insultés, des manifestants leur ont jeté des bouteilles, leur ont fait avec le pouce le geste de leur couper le cou, leur disant qu'ils passeraient la nuit ici... ». Me Pina a cependant voulu que le témoin explique au tribunal pourquoi celui-ci semblait se souvenir aujourd'hui de faits qu'il avait totalement oublié de mentionner lors de sa déclaration du 16 octobre. Mais Marchena ne l'a pas permis : de nouveau le président du tribunal évite qu'un document contradictoire puisse mettre en cause la véracité et la crédibilité d'un témoignage.

Il y a cette recherche insistante de violences pour qualifier les faits, faits qui se résument en une concentration ininterrompue durant laquelle une foule considérable a, durant de longues heures, exprimé pacifiquement son indignation face à un dispositif policier et judiciaire qui portait atteinte au fonctionnement de la Generalitat. L'enjeu de ce procès c'est de démontrer que cette manifestation constitue en elle-même le délit, du seul fait d'avoir eu lieu, parce qu'une foule nombreuse s'était rassemblée pour protester, même si aucun témoignage ni aucune preuve n'ont pu, à ce jour, démontrer l'agression, par cette foule, d'un seul agent ou d'un seul membre de la brigade judiciaire. La violence leur est nécessaire pour prouver le délit car, autrement, comment pourraient-ils justifier le comportement des membres de la brigade judiciaire se persuadant eux-mêmes à travers perceptions, sensations et autres impressions personnelles qu'ils ne pouvaient ressortir sans risques après la perquisition, si ce n'est par la crainte d'une force qui aurait été planifiée et exécutée par cette foule considérable entourant le bâtiment. Voilà l'enjeu que le tribunal a entre les mains.

Vu et entendu

Marchena limite les contacts des accusés avec leurs familles dans la salle
Depuis aujourd'hui, le protocole a changé dans la salle d'audience. Jusqu'à présent, quand il y avait une interruption de session, les accusés quittaient les premiers le prétoire et pouvaient ainsi saluer les membres de leurs familles ou les amis venus les voir, patientant derrière le cordon de sécurité séparant ceux-ci du public. C'étaient deux ou trois minutes dont ils profitaient pour échanger une poignée de mains, une étreinte brève et intense ou quelques mots. Mais Marchena a voulu changer la règle parce que la semaine dernière, il a vu quelque chose qui lui a déplu. A partir d'aujourd'hui, donc, les derniers à sortir sont les prisonniers ; le public est maintenant le premier à quitter la salle, évitant ainsi ces précieuses minutes de contact, contact désormais réduit à une petite dizaine de minutes, voire moins, pendant la pause déjeuner, quand le tribunal permet aux membres des familles d'entrer, quatre par quatre, dans la salle où les accusés déjeunent habituellement, pour y retrouver deux par deux les prisonniers.

Que se passera-t-il demain ?
Demain, l'un des témoins les plus attendus, le lieutenant-colonel Baena, déposera. Il a été l'artisan et le responsable de tous les rapports de la Guàrdia civil qui ont étayés les chefs d'accusation devant le Tribunal suprême mais également toute l'instruction faite par le tribunal 13 de Barcelone. Il a utilisé délibérément l'information que les deux témoins d'aujourd'hui lui avaient donnée pour incriminer Jordi Sànchez et Jordi Cuixart, pour demander que les enquêtes pour démontrer la sédition puis la rébellion continuent. Baena avait créer sur Twitter un profil anonyme où il insultait les indépendantistes. Son témoignage, sous haute tension, devrait être décisif.

Source
Me Marina Roig fait passer un très mauvais moment à l'un des témoins du parquet : le procureur Zaragoza s'en mord les doigts (catalan)

Commentaires

Articles les plus consultés