Baena montre combien il est dangereux, pour Marchena et pour tout le procès



Le lieutenant-colonel de la Guardia civil ment à propos de son profil Twitter et parle d’une insurrection en Catalogne qu’il ne peut prouver

Le lieutenant-colonel de la Guardia civil, Daniel Baena, témoigne aujourd'hui sous serment devant le Tribunal suprême espagnol. On distingue parfaitement, une veine gonflée comme un zigzag traversant la partie droite de son front. Son ton a été irascible, irrité, irrespectueux et tout-à-fait grossier quand il a dû répondre aux questions des avocats et des avocates de la défense. Le président du tribunal, Manuel Marchena, n'a coupé aucune de ses impertinences, pas une seule fois, ni ses réponses élusives, ni ses ergotages : "Je ne sais pas ; si dans le procès-verbal c'est dit comme ça, ça doit être comme ça, et si ça n'est pas dit comme ça, ça ne doit pas être comme ça". Le témoignage de Baena, matricule T42166Q, était très attendu, parce qu'il est le chef de l'unité de la police judiciaire en Catalogne et qu'il a alimenté les enquêtes du parquet et celles des juges contre des dirigeants politiques et sociaux indépendantistes, recourant pour cela à des excès, des abus et des violations des droits individuels de toute sorte, jusqu’à en arriver là où nous sommes maintenant, dans le procès contre le "procès".

Il a tout d'abord dû révélé - parce qu'il en a l'obligation en tant que témoin - qu'il avait été poursuivi et condamné pour un délit de violation de l'intégrité morale, pour des raisons personnelles, a-t-il déclaré. Il s'est ensuite mis à la disposition du procureur Consuelo Madrigal, pour parler d'une période insurrectionnelle en Catalogne entre le 20 septembre et le 27 octobre 2017, réaffirmant l'existence de soit-disantes preuves d'utilisation frauduleuse de fonds publics pour financer des actions qui, leur semblait-il, pouvaient avoir quelque chose à voir avec le référendum du 1-O, ou bien avec les structures de l’État. Enquêtez sur les structures de l'État, leur avait dit le procureur général de Audiencia española, fin 2015, qui n'était autre que Javier Zaragoza, qui est curieusement l'un des procureurs de ce procès. Enquêtez sur tout ce qui peut avoir un lien avec le détournement de fonds publics, avec la sédition, la désobéissance. Baena dit qu'il l'en avait chargé fin 2015, à la suite de la déclaration de souveraineté du parlement catalan, résolution adoptée le 9 novembre 2015.

La naissance de la cause générale
Enquêtez, enquêtez. C'est à ce moment-là que la cause générale a commencé. Une persécution politico-judiciaire-policière pour construire une grande accusation qui a mené jusqu'ici ; l'État mettait déjà, ainsi, en place la voie judiciaire, pénale, pour résoudre le conflit politique en Catalogne. C'était sa réponse. Daniel Baena était une sorte de nœud vers lequel convergeaient le procureur Zaragoza, puis le Tribunal numéro 13 de Barcelone, puis le Tribunal supérieur de Justice de Catalogne, puis la juge Carmen Lamela de l’Audiencia española, puis le juge Pablo Llarena du Tribunal suprême. Il y a un lien rendu possible entre tous ces organes, grâce à Baena, qui avait carte blanche. Déjà en 2016, il avait signé un procès-verbal policier dans lequel il incluait des gestions du gouvernement pour renforcer le rôle de l'Administration fiscale de Catalogne, rôle pleinement légal et dans le cadre du statut, ainsi que des informations sur l'accord de gouvernement signé par CiU et ERC en 2012, ainsi que sur la déclaration de souveraineté de 2015, dans le cadre de laquelle, a-t-il déclaré étaient menées des enquêtes sur la sédition, le détournement de fonds, la prévarication et la désobéissance. Peu de jours après la date de la signature par Baena du procès-verbal, le procureur Zaragoza lançait une procédure pour enquêter sur un présumé délit de sédition. C'est tout-à-fait irrégulier : la police ne peut agir sans le mandat d'un juge ou d'un procureur. "Et ce procès-verbal de la police est-il arrivé avant le mandat du procureur ? ", a demandé Me Andreu Van den Eynde. Baena a répondu qu’ils avaient reçu auparavant le mandat du procureur, mais personne ne l'a jamais vu.

Cet embrouillamini, cette confusion sont d'une grande importance car cette enquête et toute sa genèse, responsables de la détention de neuf prisonniers politiques et de l'exil de sept autres personnes, sont gangrénées depuis le début. Non seulement la genèse, irrégulière, mais également tout le processus mené pour obtenir des preuves : plusieurs tribunaux enquêtant en même temps, sur les mêmes faits, sur les mêmes personnes ; citations, par la Guàrdia civil, de témoins appelés à déclarer et à qui, durant l'interrogatoire ou à sa toute fin, on finissait par dire qu'ils étaient mis en examen pour des délits de sédition et de malversation, alors qu'il manquait encore plusieurs mois pour le 1-O. Daniel Baena représente tout cela : c'est lui qui dirigeait ces actions en roue libre de la Guàrdia civil où tout était permis. Il est allé si loin qu'il a fini par demander au juge de les autoriser à poser des balises sur différents véhicules pour en déterminer la position et en faire suivre les occupants dès le moment où lui-même ou son équipe auraient eu le moindre soupçon à leur égard. Si les juges avaient refusé cette demande si démesurée, ils avaient en revanche autorisé le piratage des téléphones portables puis, plus tard, les piratages informatiques.

Baena est le grand problème de Marchena. En effet, le témoin d’aujourd’hui a sûrement été le témoin le plus embarrassant pour le magistrat parmi tous ceux qui ont déjà déposé devant le Tribunal suprême. Lisez, si vous en doutez, ce fragment de l’interrogatoire fait à Baena par Me Ana Bemaola, avocate de l’équipe de Me Jordi Pina qui représente Jordi Sànchez. Marchena l’a interrompu plusieurs fois. Le voici :

- Ana Bemaola : Quelle importance attachez-vous au fait que Jordi Sànchez ait été candidat aux élections ?
- Marchena l'interrompt : Ne l'interrogez pas sur la pertinence de la preuve d'un fait. Demandez-lui ce qu’il a pu comprendre ou clarifier.
- A.B: Pourquoi incluez-vous dans les indices incriminants la candidature de M. Sànchez aux élections ?
- Daniel Baena: Nous l'avons inclus en tant qu'indice.
- A.B: Oui, en tant qu'indice. Mais pourquoi l'incluez-vous ?
- D.B: Parce que c’est un indice qui nous indique si les annotations (sur l’agenda de Josep Maria Jové) ont une quelconque connexion avec la réalité. Cette annotation concernant la candidature de Sànchez y figurait.
- A.B: Quelle annotation ?
- D.B: Celle de l’agenda Moleskine.
- A.B: Sur l’agenda Moleskine il n’y a aucune annotation relative au fait que Sànchez allait se présenter aux élections en 2017.
- Marchena : De toute façon, Maître, du point de vue de l'appréciation de la preuve que pourrait avoir le tribunal, tous vos efforts pour amener le témoin à justifier la pertinence des indices qu’il a choisis pour élaborer les procès-verbaux sont stériles.
- A.B: Oui ?
- Marchena : Oui, je vous l'assure. Il est fondamental que vous nous apportiez des faits, des faits que le témoin soit en mesure d'apporter, et non si son appréciation était ou non pertinente. N’essayez pas de confondre l'appréciation des indices que le témoin avait faite à un moment bien précis, avec l'appréciation des indices que le Tribunal doit faire. C’est un effort stérile.
- A.B: Je vous en remercie. Mais je dois continuer d'insister car les indices contenus dans ces procès-verbaux sont ensuite transformés en chefs d'accusation dans les dossiers du ministère public et des autres accusations. Nous sommes là pour cela, pour déconstruire ces chefs d'accusation. .
- Marchena : Oui, mais je vous assure qu'à l'heure du verdict cette appréciation des indices n’aura aucune espèce d'importance.

Nous sommes ici face au coup de tonnerre nucléaire de toute cette procédure et du procès en particulier. Nous sommes dans cette situation insolite où Marchena prévient les avocats que l'une de leurs principales lignes de défense stratégiques "est stérile", qu'elle n'aura aucune incidence sur le verdict. Cette stratégie passe par la doctrine du "fruit de l'arbre empoisonné"», métaphore utilisée pour expliquer que si les preuves d'un délit présumé ont été obtenues d'une manière illégale, elles contaminent l'ensemble des procédures d'enquête et d’accusation qui s'ensuivent. Autrement dit, toute preuve qui en découle, directement ou indirectement, peut être considérée comme nulle. C’est ce que veut dire Me Bernaola, et c’est ce que Me Van den Eynde a essayé de démontrer vers midi lors de son interrogatoire, quand il a demandé à Baena comment il était possible d'ouvrir des enquêtes sur des parlementaires et des membres du gouvernement - ce qu'ils ne pouvaient pas mener parce que ceux-ci bénéficient d'un privilège particulier quant au tribunal autorisé à les juger et aux procédures d'enquête y afférent - avec l'autorisation d' enquêter sur les gens de leur entourage. Toutes les enquêtes menées par Baena sont pleines de zones d'ombre et Marchena le sait bien.

C’est pourquoi il essaie de faire des coupe-feu, à la fois avec Baena et avec l'instruction du juge Pablo Llarena, qui accumule irrégularités et violations des droits. Marchena affirme que le Tribunal ne tiendra pas compte de tout cela à l'heure d'émettre son verdict et qu'il ne prendra en compte que ce qui aura été dit et démontré dans le prétoire pendant le procès. Mais le gros problème c’est que tous les chefs d'accusations, tous les arguments incriminants, ont été construits sur l'enquête de Baena et sur l’instruction de Llarena. C'est le fil conducteur et ce fil mène jusqu’à Marchena. Le magistrat fait semblant de couper ce fil, mais il ne peut pas le faire, car s'il le faisait, tout s'effondrerait, en commençant par le procès lui-même qui n'aurait jamais dû avoir lieu. Marchena n'accepte pas cette argumentation parce qu'elle récuse le procès lui-même, et qu'elle le récuse lui aussi et cela ne lui convient pas. Mais cela doit être dit et attesté car il est très probable que cette argumentation intéressera bien davantage la Cour européenne des droits de l'homme.

L’insurrection pacifique
Post-scriptum : Daniel Baena n'a pas seulement été impoli, offensant, impertinent et élusif avec les défenses, mais il a également été menteur. A la première question que les défenses lui ont posée, en l'occurrence Me Van den Eynde, qui voulait savoir s'il était le propriétaire du compte Twitter qui donnait des détails sur les enquêtes de la police espagnole contre le "procès" et insultait les dirigeants indépendantistes, pendant qu'il menait l'enquête, il a répondu, sous serment : "Je ne suis pas propriétaire de ce compte", "même si je l'avais initialement reconnu lorsque le journal Público l'avait révélé", a-t-il rajouté. De manière tout-à-fait surprenante, Marchena a autorisé la projection de captures d’écran du compte, contrairement à la règle qu’il avait précédemment imposée avec le refus de la présentation de preuves documentaires contradictoires. Pourquoi ? Marchena en profite pour présenter son image de garant des droits de la défense en présentant son geste comme une concession faite à la défense, sachant bien qu'en fin de compte, il n’y aura aucun moyen de prouver au cours de ce procès que Baena a menti, et qu’effectivement le compte était à lui parce que Marchena avait opposé son veto à l’incorporation d’une preuve d'expert, certifiant que le compte Twitter lui appartenait.

Le compte Twitter est la démonstration d'un préjudice idéologique qu'il n'était pas besoin de démontrer, car cette démonstration s'est peu à peu et clairement faite au cours de plus de six heures d'interrogatoire. Un individu qui définit les manifestations et les protestations pacifiques comme une insurrection. Aux questions des défenses qui lui ont demandé si pendant cette période insurrectionnelle il y avait eu des appels à la violence, il a répondu "non" et quand ces mêmes défenses lui ont demandé si, au contraire, il y avait eu des appels au maintien d'une attitude pacifique, il a répondu "oui". Bon sang, quelle insurrection !

QUE SE PASSERA-T-IL DEMAIN ?
Demain les témoins continueront leurs dépositions. Ce sera tout d'abord le tour de Felix Von Grünberg, ancien député allemand, et de Manon Masse, députée du Parlement du Québec. Les interrogatoires se feront par visioconférence : le premier à 10h00 et le second à 16h00. Puis viendra le tour des deux observateurs internationaux ayant participé au référendum, Paul Sinning et Helena Catt, et enfin témoigneront l'agent de la Guardia civil, matricule Z33876W, et des deux agents du corps des Mossos d'Esquadra, matricules 2038 et 3719.

Source :
Baena montre combien il est dangereux, pour Marchena et pour tout le procès (catalan)

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