L’acharnement de Marchena indifférent au supplice qu’il fait endurer au témoin



Deux poids, deux mesures : le juge avertit Jaume Mestre des risques encourus pour faux témoignage alors qu’il a accepté sans sourciller les réponses pour le moins évasives et les surprenantes pertes de mémoire de Zoido et de Rajoy.

Il y a toute une série de liens étranges, mais significatifs, entre les différents pouvoirs dans l’Etat espagnol. A Madrid « centre du Pouvoir », juges, procureurs, journalistes et politiques partagent un espace géographiquement réduit, mais d’une grande importance en termes d’influence et de décision. Sinon qu’on le dise à Jordi Cuixart et à Jordi Sanchez à qui le journaliste Arsenio Escolar avait prédit la détention quatre jours avant l’ordonnance de Carmen Lamela parce que, dans les coulisses de la réception du 12 octobre à Madrid on ne parlait que de cela. Aujourd’hui, a été découverte à nouveau une étrange relation quand le quotidien El Pais a publié , à propos de la séance d’hier, un article avertissant qu’il y en avait marre que les témoins « se fichent de l’Etat ». Et, curieusement ou pas, Manuel Marchena a décidé aujourd’hui de lire à Jaume Mestre Anguera, l’ex-responsable de l’information de la Generalitat, l’article 460 du code pénal l’avertissant qu’un faux témoignage ce n’est pas seulement mentir, c’est également donner des réponses évasives ou inexactes. Le supplice de Jaume Mestre et l’acharnement de Marchena contre lui ont marqué la journée d’hier.

Le procureur Jaime Moreno a bu du petit lait protégé par cet avertissement du président du Tribunal et il a demandé que le juge de permanence ouvre une procédure pour faux témoignage. Le procureur en était tout excité, et Marchena a dû lui rappeler que cette procédure ne pouvait être engagée avant que la sentence soit rendue et le faux témoignage constaté.
Pendant tout ce premier mois du procès, Marchena aurait pu lancer son avertissement plus d’une fois. Mais il ne l’a fait qu’aujourd’hui contre Mestre, code pénal à l’appui. Pour le juge, il doit y avoir deux poids deux mesures, sinon il l’aurait déjà fait pour au moins trois témoins clés du ministère public : Mariano Rajoy, Soraya Sáenz de Santamaría et Juan Ignacio Zoido. Tous trois totalement amnésiques. Plus particulièrement Zoido, un ministre de l’Intérieur qui a dit ne rien savoir du dispositif policier déployé le 1-O. Il aurait entièrement délégué la direction des opérations à la police espagnole et à la Guàrdia Civil. Pourtant, il y a eu plusieurs plaintes de la part des syndicats de police, l’accusant de « s’en être lavé les mains »

L’impunité du «  je ne suis pas au courant »
Me Xavier Melero a demandé à Zoido « Savez-vous quel était le plan d’action des autres forces de police pour le 1-O » ?
Zoido : Je n’ai pas l’habitude, - a-t-il répondu, - de me mêler des dispositifs de sécurité ni d’avoir un avis dessus.
Me Melero : Il me semble que le plus haut responsable du ministère de l’Intérieur a dû demander qu’on lui expose un dispositif d’une telle ampleur déployé ce jour-là ? 
Zoido : Ça n’aurait eu aucune importance si on n’en était pas arrivé à cette extrémité 
Me Melero : Mais aviez-vous connaissance du dispositif ?
Zoido : Non, je ne l’ai jamais su ; ils m’ont dit qu’ils se coordonnaient et qu’ils y travaillaient.

Me Benet Salellas l’a lui aussi interrogé :
Me Salellas : Avez-vous sanctionné les policiers qui ont crié «  A l’attaque ! » ?
Zoido : Je ne sais pas si la Direction de la Police l’a fait. Je ne suis pas au courant. Peut-être bien.
Me Salellas : A Aiguaviva, des gaz lacrymogènes ont été lancés sur des gens qui mangeaient devant l’église.
Zoido : Je ne suis pas au courant.

Voilà pour Zoido, mais également pour Rajoy qui ne se souvenait même plus s’il avait rencontré le président basque Iñigo Urkullu dans les mois et les semaines précédant la déclaration d’indépendance. Il ne se souvenait plus du tout de ces contacts dont, le lendemain, à la barre de la même salle, Urkullu lui, se souvenait avec une précision remarquable.

Aujourd’hui, Marchena a tancé Jaume Mestre : « Il y a des questions que vous éludez. Tout ce que le tribunal vous demande c’est de ne pas oublier qu’un faux témoignage, c’est altérer la vérité par des inexactitudes et par des réponses évasives, tout autant que mentir ». Il n’avait pourtant rien dit, ni à Rajoy ni à Zoido. Tout au plus leur avait-il rappelé avec courtoisie qu’ils devaient apporter des réponses concrètes à des questions qu’ils essayaient d’esquiver. Mais sans aucune remontrance.

Tout le contraire, de ce qu’il s’est passé aujourd’hui ? Ils jouent à se ficher de l’Etat » titrait El Pais à propos des réponses floues et des trous de mémoire des témoins des jours précédents, à propos de contacts qu’ils auraient eus avec des intermédiaires ou directement avec la Generalitat pour prêter leur concours au référendum sans jamais se faire payer. Les différentes accusations recherchent des preuves de malversation mais n’en trouvent pas. On sent une légère panique du côté du ministère public.

Les voies du chemin de fer
Aujourd’hui, avec l’attitude de Marchena, l’énervement a gagné le banc des témoins parce que Jaume Mestre était vague, peu clair, et, d’une certaine façon, évasif dans les réponses qu’il faisait au procureur Jaime Moreno. Ce dernier lui a demandé s’il avait eu connaissance de factures que la Corporation Catalane des Média Audiovisuels (CCMA) aurait émises pour la diffusion de l’annonce “des voies du train du référendum du 1-O". Depuis le début de l’interrogatoire, le procureur s’était retrouvé face au même problème : les entreprises qui avaient été chargées de la campagne des Catalans de l'extérieur n'avaient rien perçu. Pas un sou. Et idem pour la campagne dénommée « Civisme » ; l’appel d’offre était resté sans réponse, les deux entreprises postulantes ayant renoncé en voyant qu’il s’agissait de la campagne référendaire.

C’est le point que le Parquet et l’Avocate Générale continuent de fouiller, car l’annonce a bien été diffusée sur TV3 et sur Catalunya Ràdio, et il y a bien eu des factures. Jordi Turull avait déjà dit que la Generalitat n’avait rien dépensé parce que l’accord passé avec la CCMA prévoyait qu’elle organiserait gratuitement les campagnes d’intérêt public de la Generalitat. Pourquoi alors ces factures ? D’où sortent-elles ? La présidente de la CCMA, Nuria Llorach, a fait usage de son droit à ne pas déposer dans ce procès parce qu’elle est mise en examen dans une autre procédure. Jaume Mestre a nié avoir demandé à Llorach de faire diffuser l’annonce des voies de chemin de fer. Moreno lui a rappelé que Llorach l’avait pourtant affirmé au juge d’instruction, Pablo Llarena, mais il a continué à nier. C’est à ce moment-là que Marchena est intervenu.

Albert Royo harcelé de questions, en vain
Dans la salle d’audience, l’ambiance est devenue lourde. Mestre l’avait quittée avec au-dessus de la tête la menace du faux témoignage. Albert Royo, l’ex-secrétaire général de « Diplocat »i y a fait son entrée. La tentative d’internationalisation du “procès” constitue un autre angle d’attaque privilégié de l’accusation pour prouver l’existence de malversations. Mais avec Albert Royo, elle s’est heurtée à deux problèmes importants.

D’abord son discernement, la solidité et la clarté de ses déclarations concernant le rôle de Diplocat et de ses initiatives sans lien avec l’organisation proprement dite du référendum du 1-O.

Et, ensuite, l’incompétence du Parquet qui ne faisait pas de distinction (ou ne voulait pas en faire) entre Diplocat d’un côté, le ministère catalan des Relations extérieures et les délégations de la Generalitat à l’étranger, de l’autre. Consuelo Madrigal l’a harcelé en vain, ne retirant rien d’intéressant de son interrogatoire.

Le parquet voulait démontrer que, par le biais de Diplocat, de l’argent public avait été utilisé pour rémunérer des observateurs internationaux le 1-O. Royo a expliqué qu’en effet, à cette période, des eurodéputés, des journalistes, des leader d’opinion de divers pays, désireux de s’informer de la situation politique en Catalogne, étaient venus; que cela faisait partie d’un projet plus important qui avait commencé bien auparavant. Des visiteurs qui n’avaient élaboré aucun rapport en tant qu’ “observateurs du référendum”. « Une mission d’observation électorale n’a rien à voir avec cela ; elle consiste à vérifier que le vote est équitable et transparent et, par définition, elle est financée et organisée par des organismes indépendants du territoire qui organise le scrutin ».

Madrigal a donc tout essayé. Y compris de faire passer pour de la malversation la traduction d’articles de presse que Royo avait réglées depuis 2014 dans le cadre du projet « Catalonia Votes ». Ce dernier lui a fait remarquer avec véhémence l'incohérence d’une accusation qui amènerait implicitement la question.

Toujours pas de malversation à l’horizon. Les témoins les plus importants cités par l’accusation continuent à défiler. La question est de savoir quels seront les critères d’appréciation du Tribunal. Dans un procès équitable, l’impartialité est un présupposé. Mais ces menaces de poursuites pour faux témoignages montrent que l’impartialité n’est pas au rendez-vous.

Source 
L’acharnement de Marchena indifférent au supplice qu’il fait endurer au témoin - catalan - (Vilaweb, Josep Casulleras Nualart, 13/03/2019)

Commentaires

Articles les plus consultés