À Madrid, dans le froid



Le banc des accusés

Par Dominique Noguères, avocate retraitée, vice-présidente de la Ligue des droits de l'Homme.

Les faits : À Madrid, 12 personnes sont jugées devant le Tribunal Suprême pour délits de rébellion, de désobéissance, de détournement d'argent public.
Parmi les accusés : des représentants de la société civile, la présidente et les membres du Parlament catalan, des députés, le vice-président et des conseillers du gouvernement catalan. Ils sont tous en prison préventive depuis plus d'un an. En application de l'article 125 de la constitution espagnole, le parti d'extrême droite Vox poursuit ausse les accusés sous l'imputation d'organisation criminelle et demande 55 ands de prison. C'est dans ces conditions que la Fédération internationale des droits de l'Homme et son réseau euroméditerranéen ont souhaité envoyer une mission d'observation. Je fais partie de la délégation en tant que vice-présidente de la LDH.


Au matin du 12 février, à 5 h 30, nous faisons la queue devant le tribunal dans un froid glacial pour pouvoir entrer avec le public.

La première chose surprenante, c'est que rien n'est organisé pour la file d'attente. Ce sont les membres du parti de Vox, arrivés plus tôt, qui décident d'attribuer des numéros aux personnes présentes, sachant que seules 40 d'entre elles pourront entrer. L'ambiance est électrique malgré le froid et nous assistons à des scènes étranges.

Tout d'abord une manifestation spontanée d'un groupe qui fait le salut nazi au drapeau espagnol, des hélicoptères survolent les lieux, des policiers sont partout, les gens de Vox insultent le président de la Generalitat (organisation politique de la communauté autonome de Cataligne) venu assister au procès. Ils déversent leur haine des Catalans.

Nous faisons profil bas en écoutant et en observant tout cela dans la nuit finissante et dans un petit jour blême. Nous attendons, debout en plein courant d'air, jusqu'à 10 heures du matin pour entrer.

Ce scénario, à l'entrée du tribunal dès 5 heures du matin, se répètera chaque jour avec une différence notable dès le second jour, c'est la police qui donnera des numéros et non plus Vox. Nous venons par ailleurs d'appendre que la mission qui nous succède doit arriver encore plus tôt pour espérer entrer.


De gauche à droite, Alexandre Faro, avocat de PAris, Frédéric Ureel, avocat à Charleroi (Belgique), Dominique Noguères de la LDH, Merce Barcelo, professeur de droit constitutionnel (Barcelone), Javier Pérez Royo, professeur de droit (Séville), William Mozdzierz, American Bar association, Fabio Marcelli, juriste, Association européenne des avocats pour la démocratie.

Vox insulte les familles
L'entrée dans la salle se fait dans l'ordre suivant : les avocats, la presse qui ira dans une salle à part, les personnalités, les familles et le public.
Les divers groupes ne sont pas séparés, ce qui fait qu'au passage des familles devant le public, les membres de Vox insultent les femmes des prisonniers. Humiliation. On a le sentiment que Vox est partout. Ils sont intrigués par notre présence, essayent par tous les moyens de savoir qui nous sommes, d'où nous venons. C'est "leur procès", leur vengeance, ils n'ont pas de mots assez durs envers les Catalans.

Les portes sont fermées dès le début de l'audience, alors qu'il y a des places vides dans la salle. On ne peut ni entrer ni sortir. Tout est très théâtral. La mise en scène est soignée, il n'y a rien d'imprévu, c'est policé, froid, ordonné, militaire. On nous prend nos téléphones portables.

Des accusés au centre de l'arène
L'installation est curieuse. Les accusés au centre, face au tribunal, la défense à leur gauche et l'accusation à leur droite. Ils sont loin de leurs avocats. Pas de communication possible. Cette disposition des accusés au milieu de "l'arène" donne l'impression d'une "fosse aux lions". Le procès est tretansmis en direct, ce qui justifie pour le Président "la transparence" et le refus des observateurs. Et pourtant, la distance des images, les plans serrés ne rendent pas compte du climat réel des audiences. La presse est dans une pièce à part et elle ne ressent pas l'ambiance.

Un procès à grande vitesse
Nous rencontrons certaines des familles pendant les suspensions de séance. Pour elles, être présentes pose un vrai problème : l'éloignement, le coût du logement pour avoir un suivi régulier des audiences, les difficultés pour aller voir leurs proches en prison. Autant d'obstacles qui paraissent insurmontables. Elles ont leur travail et leurs enfants en Catalogne et ne peuvent être là tous les jours. Il en est de même pour leurs avocats.
Nous apprenons, le dernier jour, que le Président souhaite que les audiences aient lieu également le lundi, donc 4 jours au lieu de 3 pour finir avant le début de la campagne électorale des élections du 28 avril. Plus de 800 témoins doivent être auditionnés, ce qui laisse à penser que le procès se fera à grande vitesse sans apporter les garanties nécessaires. Une autre séance d'observation est prévue avant la fin du procès.

LES QUATRE FACES D'UN SCANDALE
· La délocalisation du procès à Madrid est une double défiance à l'égard de la propulation catalane que soutient le processis et des juges territorialement compétents suspectés de partialité.

· Il n'existe aucune place pour les opposants politiques dans ce procès, à travers l'admission de Vox dans l'accusaiton populaire et dans la salle d'audience.

· Ce procès n'offre pas toutes les garanties du procès équitable au prétexte que les accusés sont jugés par la plus haute juridiction du pays.

· La campagne électorale commençant le 12 avril, le parti d'extrême droite Vox aura une tribune officielle pour faire sa campagne électorale.


Manifestation à Barcelone au début du procès.

Commentaires

Articles les plus consultés