Le regard de l'Europe est entré aujourd'hui de plein fouet au Tribunal suprême faisant sortir Marchena de ses gonds



Le président du tribunal censure les questions de Me Benet Salellas à une observatrice internationale au sujet des violations des droits de l’homme le 1-O


Aujourd'hui, le sujet sensible entre tous est enfin sorti de l'ombre, le sujet qui provoque des démangeaisons insupportables au président Manuel Marchena lorsque quelqu'un appuie dessus : le sujet des violations des libertés et des droits fondamentaux commises pendant toute la période de la répression policière et judiciaire, dont l'aboutissement est ce procès « contre le procès ». Il n'avait encore jamais montré un tel degré d'intransigeance, ni été aussi acerbe avec les défenses, comme il l'a été aujourd'hui avec Me Benet Salellas lorsque l'avocat a demandé à la Britannique Helena Catt, ex-directrice de la Commission électorale de Nouvelle-Zélande, qui a témoigné en tant qu'observatrice internationale du 1-O, quelles avaient été les violations des droits de l'homme qu'elle-même et l'équipe qu'elle coordonnait avaient pu observer ce jour-là. Cette plaie insupportable, ce sont les droits de l'homme. Et ce qui démange le président jusqu'à la brûlure et qui lui est proprement insupportable, c'est que quelqu'un venu de l'étranger vienne lui dire quand et comment ces droits ont été bafoués dans l'Etat espagnol.

Cela faisait à peine vingt-quatre heures que Marchena avait dit aux défenses que le ministère public pouvait interroger autant qu'il le voulait le lieutenant-colonel Daniel Baena sur des faits et des investigations que lui-même n'avait pas directement coordonnés mais que ses équipes, elles, avaient coordonnés. Le 1-O, donc, Helena Catt avait coordonné une équipe de quinze personnes qui avaient pu se rendre dans une centaine de bureaux de vote répartis dans toute la Catalogne ; ces quinze observateurs avaient été horrifiés par tout ce qu'ils avaient pu y voir. Me Salellas voulait savoir ce que ses collègues lui avaient rapporté de leurs observations. Mais Marchena a interdit au témoin de lui répondre au prétexte qu'elle ne l'avait pas observé directement. Un nouveau changement de norme en moins d'une journée.

Me Salellas a voulu reformuler la question en interrogeant plus particulièrement le témoin sur l'attitude qu'avaient eue les policiers espagnols. Mais Marchena, de plus en plus exaspéré par les questions de l'avocat, l'a de nouveau interrompu et est sorti de ses gonds : « Mme Helena Catt ne nous dira pas ce qui s'est passé, ni si les droits de l'homme ont été bafoués, ni si l'action de la police a été celle que l'on pouvait attendre d'elle ; car c'est au Tribunal suprême qu'incombe la charge de la preuve ». Il a ensuite accusé l'avocat de vouloir « se substituer au tribunal, ce qu'il ne pouvait évidemment permettre ».


Qu’aurait répondu Helena Catt si Marchena ne l’avait empêchée de parler ? Probablement quelque chose de semblable à ce qu’elle avait écrit dans son rapport préliminaire, le lendemain du référendum : « Hier nous avons été les témoins de faits dont aucun observateur d'élections ne souhaite avoir été le témoin. Nous espérons ne jamais revoir de telles scènes, jamais plus. Nous avons vu à de très nombreuses reprises comment les droits civils et les droits de l’homme avaient été bafoués. Nous avons été sidérés que cela soit arrivé, et plus encore si l'on prend en compte le fait qu’il s’agissait d’une opération coordonnée et centralisée, et d'un dispositif de style militaire soigneusement planifié. Nous avons été choqués que des agents armés et masqués soient entrés dans des bureaux de vote dans le but d’empêcher le déroulement d'un processus démocratique pacifique ». « Selon le magistrat si le témoin avait expliqué tout cela, elle aurait assumé un rôle d’expert pour lequel elle n'est pas qualifiée ». « Ce serait malséant »

Marchena se sait observé et, depuis le début du procès, il a veillé à montrer une image de bienveillance et d'aménité, mais il sait très bien que cette cause finira devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ce n’est qu'une apparence évidemment : nous avons plusieurs fois eu l'occasion de rendre compte des décisions qu'il avait prises bafouant sans vergogne les droits de la Défense, comme par exemple l'interdiction de projeter des vidéos ou de présenter des documents contradictoires mettant en cause la véracité et la crédibilité de gradés ou d'agents de la police espagnole qui construisaient un récit imaginaire fait de sensations effrayantes sur les faits de l’automne 2017. Aujourd'hui, à travers son comportement envers Me Salellas, le président Marchena a une nouvelle fois bafoué les droits de la Défense, continuant à faire deux poids, deux mesures avec les défenses et avec les accusations, notamment avec le ministère public.

L’autarcie juridique
Aujourd’hui une fenêtre s’est ouverte et un peu d’air frais est entré, un regard nouveau, extérieur, grâce à deux observateurs internationaux qui ont vécu en première ligne la violence réelle du Premier Octobre 2017, violence organisée et planifiée par les organes de l’Etat dans le but de créer une situation de chaos et de violence sociale permettant de légitimer cette procédure générale et de la faire aboutir. Une fenêtre ouverte que la procureure Consuelo Madrigal a remarquée ce matin, dérangée par l’air frais qui entrait et que Marchena s'est empressée de fermer violemment l’après-midi.

L’ex-député allemand Bernhard von Grünberg, du SPD, a déposé ce matin, sur proposition des défenses. Von Grünberg a fait partie d’un groupe d’experts internationaux qui avaient voulu observer directement la situation politique en Catalogne et le déroulement du référendum. Il a dépeint l’attitude pacifique des gens qui allaient voter dans les bureaux de vote qu'il avait pu visiter, soulignant que les gens n'avaient à aucun moment sombré dans une quelconque attitude violente « malgré les intimidations et les menaces » qu'ils avaient dû supporter. La violence qu’il a vue venait de la police sur les blessés, sur les gens qui allaient voter. C’est cela qu’a expliqué l’ex-député et ces explications ont exaspéré Consuelo Madrigal qui a perdu un peu son sang-froid quand elle a avoué au juge que, avec les réponses fallacieuses et impertinents que faisait le témoin aux questions qu’elle posait, elle cherchait en effet à le discréditer. (Cliquer pour suivre les propos de la procureure : « Sí, vull desqualificar-lo » - catalan)

Mais pour qui se prennent donc cet Allemand et cette Britannique qui se permettent de venir dire au Tribunal Suprême de l’Espagne qui était violent et qui ne l'était pas, ou s’il y avait eu ou non des violations des droits de l’homme en Catalogne ? Les yeux de l'Europe ont fait leur première incursion directe dans ce procès provoquant une certaine anxiété chez la procureure et chez le président du tribunal. L’autarcie judiciaire de ce sommet de l'ordre judiciaire espagnol a fait sa réapparition : cette autarcie nette, désincarnée, agressive que nous avions pu voir en action durant la phase de l’instruction, quand ce même tribunal avait réagi avec colère aux décisions si différentes prises par les juridictions belge ou allemande sur ces mêmes faits. Les refus de la Belgique et de l’Allemagne de livrer les exilés non seulement n’a pas réveillé l’autocritique sur la procédure menée contre les prisonniers politiques, mais, au contraire, a rendu furieux ce sommet de l'ordre judiciaire espagnol, qui a soutenu Llarena et a accusé de déloyauté les justices belge et allemande.

Le Slesvig-Holstein comme une arme
Aujourd’hui, l’avocat Gonzalo Boye dans l'interview qu'il a accordée à Andreu Barnils, évoquait l’importance du facteur européen révélant l'absurdité de ce procès. « Le verdict allemand démontre que ces faits ne sont pas délictueux. Cependant, il y aura un verdict espagnol qui affirmera que ces faits sont bien foncièrement délictueux. Ma question est la suivante : « dans l’UE et sans porter atteinte à l’un de ses droits fondateurs, le principe de libre circulation, un même fait peut-il être à la fois délictueux et non délictueux ? Cela affecterait-il la libre circulation des personnes ? Je crois que oui ». Me Boye suggère que cette question fasse l'objet d'un recours devant la Cour de Justice de l’UE, dont le siège se trouve au Luxembourg, avant que le verdict du Tribunal suprême ne soit rendu.

La décision du Tribunal de Slesvig-Holstein rejetant l’extradition de Carles Puigdemont pour rébellion, les magistrats allemands n’ayant trouvé aucun indice la justifiant, est probablement le principal élément de récusation, non seulement de l’accusation au Tribunal Suprême mais également du procès en lui-même. Depuis le début du procès, le 12 février dernier, les défenses ne s’en sont pas servies mais se sont plutôt consacrées à démonter les faits exposés par les témoins à charge cités par le ministère public. Me Boye demande un regard plus large et demande que ce verdict soit mis sur la table, verdict qui dit, par exemple : « Il n’existe aucun plan d’action prévoyant des actes violents qu'il aurait élaboré (Carles Puigdemont) ainsi que l'affirment, dans leurs allégations, les autorités espagnoles. Son objectif et celui de ses collaborateurs n’était pas d’empêcher le travail de la police nationale (espagnole), ni encore moins de provoquer dans la rue des situations insurrectionnelles, son objectif était de permettre au plus grand nombre possible de votants de participer à un référendum ». « Si l’on ouvrait les fenêtres de l’édifice baroque du Tribunal suprême, pourrait entrer, dans cette salle capitonnée, tapissée de velours et de marbre, un petit vent frais qui emporterait avec lui toute cette horrible odeur de renfermé ».

Que se passera-t-il demain ?
Demain, à 10 heures, deux agents de la Guàrdia civil, matricules TIP S24635E et C34336U, témoigneront devant le Tribunal suprême espagnol. Puis ce sera le tour des agents du corps des Mossos d'Esquadra : Alejandra Peralta et les agents matricules 11.836, 13.143 et 17.092. Enfin, témoigneront les agents de la Guàrdia civil, matricules TIP J73137F, W79133J, C88411L, G97659Y, G99880L, K12314U, G57387Z et W52137L. Aujourd'hui, deux témoins n'ont pu déposer : il s'agit de Manon Masse, députée au Parlement du Québec, et de Paul Sinning, observateur international lors du référendum du 1-O.

Source
Le regard de l'Europe est entré aujourd'hui de plein fouet au Tribunal suprême faisant sortir Marchena de ses gonds (catalan)

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