Le premier gros atout du Parquet tombe à plat, laissant entrevoir l'existence d'un sinistre plan



Au cours de l'interrogatoire de la défense, José Antonio Nieto souffre, incapable de démontrer d'autre violence que celle de la police

Me Van den Eynde aborde la question fondamentale de l'interrogatoire, la question de la violence, et interroge ainsi l'ancien secrétaire d'Etat à la sécurité, José Antonio Nieto : « Quels actes de violence avez-vous vu en Catalogne au mois de septembre ? ». Nieto, adossé au siège des témoins, agite nerveusement ses mains, à tour de rôle, essayant de trouver des mots qu'il ne trouve pas. « Eh bien, il y a eu... plusieurs... se sont produits... euh... dans beaucoup... euh... ». Il ne s'en sort pas ; l'avocat insiste et lui demande de lui citer un seul acte de violence. « Je vous en citerai un. Il y en a eu beaucoup, le 20 septembre, devant l'entrée du ministère catalan de l'économie... avec une proportion déjà très élevée... ». Il n'y a pas moyen. Quel embarras. L'avocat insiste : « De quels actes s'agissait-il ? ». Nieto joint les mains comme s'il priait, hausse les épaules. Silence un peu incrédule de la salle. Et il répond. « Eh bien, voyons...euh... ». Il s'arrête, fait un geste de la main droite, comme s'il voulait rembobiner quelque chose : « ce point met en évidence ce que je disais à propos du courrier de M. Forn, et je vous répète... qu'une … euh... qu'un... ». Quatre autres longues secondes de silence, comme une éternité. « une... euh... qu'un nombre important de véhicules de police ont été endommagé, qu'ont été retenu dans un bâtiment, sans pouvoir en sortir, un nombre important... – il avale sa salive – de policiers de la Guardia civil, ainsi qu'une greffière et les employés du TSJC (Tribunal supérieur de justice de Catalogne) qui l'accompagnaient. Cela, me semble-t-il, constitue une preuve fondamentale de la violence, cette violence qui s'est exercée contre les véhicules et a empêché ces personnes de sortir et de faire leur travail, malgré un mandat du juge ». Enfin !

Un vrai calvaire pour arriver à expliquer, à l'aide de faits concrets, la violence qu'il y avait eu le 20 septembre 2017. Une violence insurrectionnelle ? Le rédacteur de l'article du code pénal espagnol sur la rébellion, Diego López Garrido, explique clairement dans une interview (cette entretien) accordée à Josep Rexach, publiée aujourd'hui sur le site de VilaWeb qu'il n'y a pas la plus petite trace de cette violence. « Il est évident qu'il n'y a pas eu de violence en Catalogne. Nous n'avons pas vu d'insurrection, ni d'occupation de ports, d'aéroports, ni des infrastructures, ni des bureaux du gouvernement... ». Et les armes ? Me Salellas demande à Nieto : « Les manifestants du 20-S portaient-ils des armes ? » Réponse : « Je ne suis pas au courant. » Et la violence du 1-O contre la police dont ont parlé pendant deux heures le Parquet et les témoins ? Me Pina interroge : « Combien de policiers ont-ils été hospitalisés le 1-O ? » Réponse de Nieto : « Aucun ». « Combien de policiers ont-ils dû abandonner leur intervention parce qu'ils ont été blessés ? » « Aucun ». « Certains agents ont-ils eu un arrêt de travail ? » Réponse : « Je ne suis pas au courant ».

Une carte truquée
Autrement dit, dès qu'il s'est retrouvé sur le terrain des faits concrets de la violence, abordée d'une manière générale par le Parquet, dès que les avocats de la défense se sont recentrés sur les faits, le témoin s'est senti perdu, s'est mis à souffrir et a fini par se réfugier dans cette réponse « Je ne suis pas au courant », comme l'avaient fait avant lui Zoido, Rajoy et Sáenz de Santamaría. Mais cette pièce, cette carte, celle de Nieto, c'était une carte maîtresse, d'une importance considérable pour le Parquet et les accusations. On a eu l'impression qu'il y avait eu une répétition générale de sa déposition. C'était la première carte maîtresse que le Parquet pouvaient jouer, une carte au profil beaucoup plus technique, le témoin étant un responsable proche de la stratégie du dispositif policier mis en place et qu'il a essayé de défendre bec et ongles, accusant de passivité les Mossos d'Esquadra. Mais face aux questions des avocats de la défense, Nieto n'a pu soutenir l'accusation contre les Mossos. Il n'a pas su expliquer à Me Pina la manière dont la demande avait été formulée par le gouvernement espagnol au port de Palamos pour y faire accoster les bateaux des « piolins »1, un fait dont on veut faire porter la responsabilité à Josep Rull. Le témoin a fini par se réfugier derrière les décisions du tribunal n°13 pour ne pas avoir à répondre à la question de savoir pourquoi les agents de la Guardia civil avaient laissé des armes sans surveillance à l'intérieur de leurs véhicules, véhicules qu'ils avaient garés devant les bâtiments du ministère catalan de l'économie le 20-S. En résumé et objectivement, le témoin souffre. Sa défense du dispositif du 1-O l'a conduit a des affirmations qui l'ont percé à jour, ces affirmations par lesquelles il a expliqué mieux que jamais la préméditation de la répression policière d'une part, et d'autre part, le véritable modèle de police démocratique qui était le sien et celui de son gouvernement.

Nieto a déclaré que le major Trapero « avait mis en avant la présence probable de personnes âgées ou d'enfants comme justification » pour lui dire qu'il n'était pas partisan de l'usage de la force contre les manifestants. Il est bien évident, que pour la police espagnole et la Guardia civil, la présence de personnes âgées n'a représenté aucune « justification » pouvant conduire à limiter la violence des charges policières : soixante-dix-huit personnes de plus de 65 ans ont été blessées le 1-O, sur ces soixante-dix-huit personnes, treize avaient plus de 79 ans (voir l'étude détaillée des 1066 blessés de ce jour-là, voir le detall ici). Mais pas seulement cela. L'ancien secrétaire d'Etat à la sécurité a expliqué très clairement que, pour le gouvernement espagnol, le respect de la loi passait avant le respect du maintien d'un bon « vivre ensemble citoyen ».

En réalité, nous avons assisté, de la part du procureur Zaragoza et de Nieto, à un mépris affiché du concept du « bien vivre ensemble citoyen » ; ils se sont bien gardés de respecter la décision dont ils avaient connaissance de la magistrate du TSJC, Mercedes Armas, qui précisait que la fermeture des bureaux de vote le 1-O devait se faire « sans affecter le bien vivre ensemble citoyen ». Le procureur a cherché à minimiser cette partie de la décision de la magistrate Armas, tout en rappelant qu'il n'en était pas fait mention dans la partie exécutoire de celle-ci. Un argument, repris par Nieto, dans le but d'exempter la police du respect de cette partie dont ils n'ont fait aucun cas : le maintien du « bien vivre ensemble citoyen ». Il est à peine croyable que, devant le tribunal, ils en soient arrivés à ce stade-là : faire référence à la « coexistence citoyenne » avec dédain. Nieto a encore renforcé ce dédain quand il a affirmé que le Président Puigdemont lui répétait qu'« il n'y avait rien au-dessus de la coexistence citoyenne et que nous, nous lui répondions que non, qu'il n'y avait rien au-dessus de l'application de la loi ».

Que prétendaient-ils ?
Le fait est que Nieto, en tant que secrétaire d'Etat à la sécurité, avait lancé un autre ordre le 28 septembre 2017, confirmant à la police, en accord avec la décision de la magistrate Armas, que la sécurité des votants et des agents le jour du référendum devait passer avant l'efficacité de leur intervention. Il lui a donc été demandé si cela s'était réellement passé ainsi. Nieto a répondu que oui, que cela s'était effectivement passé ainsi, que si les forces de l'ordre avaient vraiment voulu donner la priorité à l'efficacité, elles auraient été en mesure de fermer tous les bureaux de vote qu'elles auraient voulu fermer « parce que les agents avaient la formation et la capacité de le faire, mais qu'il n'a pas été fait usage de toute la force qui aurait pu être utilisée, force qui aurait été légitime. Cette force a donc été proportionnelle, l'usage de la force l'a été avec le minimum requis ». Autrement dit, d'après Nieto, la brutalité policière du 1-O a représenté une concession faite à la sécurité au-dessus de la notion d'efficacité, que les forces de police se sont retenues, et que, somme toute, cela n'a quand même pas été aussi grave ! Jusqu'où auraient-ils été capables d'arriver ?

L'interrogatoire de Me Melero, qui défend Joaquim Forn, a été essentiel, car il a permis de comprendre jusqu'à quel point la décision de la magistrate du TSJC avait fait obstacle à un plan beaucoup plus violent qui avait été pensé et planifié depuis des mois prévoyant l'envoi sur le territoire du Principat de milliers d'agents de la police espagnole et de la Guardia civil, plan qui était couvert par les instructions que le Parquet avait données au cours du mois de septembre. Mais quand la juge Armas en reprend les rênes quelques jours avant le 1-O, leur plan se détraque et ils doivent le repenser en tenant compte des nouvelles décisions, beaucoup plus générales et plus prudentes. Nieto n'a pas pu le nier quand Me Melero lui a rappelé ses propres déclarations au quotidien El Periódico : « la décision de la juge n'a pas facilité les choses », a-t-il dit. C'était très clair. Et plus encore. Comment pouvez-vous affirmer, lui a demandé Me Melero, que le dispositif du 1-O a été un succès si vous n'avez pu fermer que 5% de l'ensemble des bureaux de vote avec un bilan d'un millier de blessés civils ? « Nous avons fait évoluer l'objectif initial de manière à pouvoir intervenir dans un nombre suffisant de bureaux de vote afin que ce qui se passait ne puisse être considéré comme un référendum. Et on y est arrivé. », a-t-il répondu. (Ensemble des déclarations : clickez ici).

Quel était le plan initial ? Que veulent-ils dire quand ils affirment qu'il aurait pu être fait usage d'une force encore plus grande et qu'elle aurait été justifiée ? Comment est-il possible qu'ils ne se rappellent pas que les agents anti-émeutes avaient asséné des coups de matraque sur la tête des gens ? « Je ne suis pas au courant », répondent-ils. Nouvelles questions venant s'ajouter à toutes celles des jours précédent qui façonnent une véritable accusation générale contre les responsables du gouvernement espagnol qui a mis en marche la répression. De nouveau, un témoin converti en accusé pendant une bonne partie de l'interrogatoire. Cette cause enterrée qui émerge peu à peu n'est malheureusement pas l'objet de ce procès. L'analyse contradictoire des faits confrontés aux affirmations des témoins, l'interrogatoire factuel que font les défenses devraient pouvoir servir à prouver l'inconsistance de l'accusation, l'inexistence d'une violence qui justifierait une condamnation pour rébellion. Des procédures judiciaires ont été ouvertes contre des agents et des officiers haut-gradés de la police dans quelques tribunaux de première instance. Par exemple au Tribunal n°7 de Barcelone, malgré les entraves du Parquet et l'absence de collaboration du ministère de l'intérieur et du gouvernement espagnol. Au Tribunal suprême, cependant, les accusés sont leurs victimes.

Vu et entendu
Les défenses se heurtent aux limites imposées par Marchena
La main de fer de Manuel Marchena s'est de nouveau manifestée aujourd'hui dans la salle d'audience du Tribunal suprême. Nous avions déjà pu vérifier son changement de tactique au moment de permettre ou non la projection de vidéos (comme celles de la violence de la police espagnole le jour du référendum) pour apporter des preuves contradictoires aux faits décrits par des témoins tels que Zoido, Rajoy ou même Nieto. Mais il y a une autre allégation, très discutée par les juristes, celle affirmant qu'il est impossible d'interroger les témoins de l'accusation sur des questions autres que celles proposées spécifiquement par cette même accusation. Me Van den Eynde et Me Pina ont eu une longue polémique avec Marchena sur cette allégation quand ils ont voulu demander au président du Parlement catalan, Roger Torrent, entendu comme témoin cet après-midi, comment il avait vécu les événements des 1-O et 20-S. Marchena le leur a interdit, en leur disant qu'ils ne pouvaient l'interroger que sur ses fonctions de président du Parlement afin de recueillir, à travers son témoignage, des éléments contradictoires permettant de savoir si Carme Forcadell avait ou non agit pertinemment. Les marges de manœuvre de la défense sont, de jour en jour, plus étroites.

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Que se passera-t-il demain ?
Demain, la journée commencera à 9h30 avec l'audition de Enric Millo, ancien délégué du gouvernement espagnol en Catalogne pendant l'automne 2017 et durant l'application de l'article 155 [de la Constitution espagnole]. Puis le feront les deux témoins qui n'ont pu déclarer aujourd'hui, Juan Antonio Puigserver, le responsable du département d'Intérieur espagnol pendant l'application de l'article 155, et Neus Munté, l'ancienne conseillère à la Présidence. Les déclarations des témoins qui viendront ensuite se concentreront surtout sur le dispositif policier du 1-O et sur les interventions des agents de la police espagnole et de la Guardia civil en septembre et octobre. Il est prévu que soient ensuite interrogés Diego Pérez de los Cobos – qui a déjà déclaré pendant l'instruction devant Pablo Llarena – ainsi que l'ancien chef supérieur de la police espagnole en Catalogne, Sebastián Trapote, et l'ancien chef de la Guardia civil en Catalogne, Ángel Gozalo ; puis ce sera au tour des représentants des Mossos d'Esquadra : Manuel Castellví et le chef du Commissariat général de l'information, le commissaire Emilio Quevedo.

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Le premier gros atout du Parquet tombe à plat, laissant entrevoir l'existence d'un sinistre plan

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