Le pouvoir des regards de haine des Catalans



Les membres de la Guardia civil qui témoignent créent un récit effrayant du 1-O et du 20-S contre lequel les avocats présentent des éléments de preuves et de faits contradictoires

Le sergent-chef de la Guardia civil, matricule G37772B, témoigne depuis un moment devant le Tribunal suprême dans le procès contre le “procès”. Il est cinq heures de l'après-midi. Il répond aux questions posées par le procureur Jaime Moreno à propos de son intervention dans un bureau de vote de Sant Adrià de Besòs le 1-O. Son récit est emprunté, passionné, souvent confus. Il explique que lorsqu'ils sont arrivés au bureau de vote, un groupe de personnes s’est approché d’eux et les a insultés. "Mais ce qui m'a le plus frappé, ce sont les regards que j'ai reçus", dit-il. Il a raconté qu'il y avait environ trois cents personnes qui les empêchaient d'entrer, mais qu'ils ont pu finalement le faire, que des gens obstruaient la porte, mais qu'ils avaient fini par l'ouvrir. Et quand ils sont entrés, "une autre surprise" les attendait. Expectation. "Il y avait environ trois cents personnes de tous âges, y compris des personnes âgées ; c'était un mur infranchissable, ils étaient assis et allongés sur le sol, silencieusement et demandant le silence. Nous avons dû passer au-dessus d’eux, en veillant à ne pas leur marcher dessus. Quand nous avons pu passer, il n'y avait plus d'urnes". La voix du sergent-chef commence à s’affaiblir. "Quand nous sommes repartis, ils nous ont encore insultés, ils nous ont traités d’assassins. Nous avons subi des agressions verbales, j'ai subi un préjudice moral". À ce moment sa voix se brise. "J'y allais pour exécuter un mandat judiciaire. Leurs regards sont restés gravés, leurs regards de mépris et de haine. Je n’avais jamais vu cela auparavant". Le visage du procureur Moreno se fait grave, comme celui d’un présentateur d'une émission télévisée qui aurait à entendre des confessions inavouables. Puis le sergent-chef finit son témoignage choquant : "Je ne comprends pas pourquoi ces gens, qui étaient des gens du village, se sont comportés comme des délinquants".

À Sant Martí Sesgueioles, un village de 371 habitants de la région de l’Anoia, il y a eu un autre "Walking Dead". Une agente de la Guardia civil a témoigné qu'elle devait aller fermer un bureau de vote et qu’elle avait trouvé une autre "masse de personnes". Les habitants du village. Ils protégeaient les urnes. Sur le chemin vers le village, a-t-elle expliqué avec un phrasé lent et tremblant, ils avaient croisé des voitures sur la route avec des gens qui leur faisaient des gestes avec la main et les doigts et que "tout le respect dû à l'autorité avait disparu en quelques heures". Elle a dit, qu'une fois là-bas, ils avaient dû pousser pour entrer, que les gens résistaient, et qu'ils avaient trouvé une dame d’un certain âge qui s'était plantée devant eux, les bras croisés, qui leur avait dit : "Alors ? On fait quoi maintenant ?" Selon le témoin, l'attitude et le ton étaient provocateurs. Plus tard, en regardant sur Facebook, ils avaient su que c’était la maire. Elle a clos son récit en disant que lorsqu'ils étaient entrés, ils avaient trouvé une urne en carton du 9-N (consultation populaire du 9 novembre 2014). Le procureur et le témoin ont trouvé la situation très grave, car ils avaient perdu leur temps, ils s’étaient moqués d’eux et, surtout, ils avaient pu voter dans un garage. La masse de Sant Martí Sesgueioles était hostile, agressive. C’est l’image qui en reste.

"Nous allons les faire craquer"
Le problème avec ces témoins c’est que, lorsqu'arrive le tour des avocats de les interroger, ceux-ci tentent de contredire leur récit séduisant, créé à partir d'impressions ressenties et de faits inventés, en les comparant aux preuves en leur possession, preuves que Marchena, à chaque fois, empêche de voir. Dans le cas présent, Me Van den Eynde a de nouveau fait valoir la protestation de la défense qui ne peut pas contredire les dépositions de ces témoins en leur montrant les images de cette journée enregistrées pourtant avec les caméras des Guardias civil eux-mêmes. L'interrogatoire du témoin par l’avocat de la défense a été dévastateur ; elle n’arrivait pas à répondre aux questions de l'avocat qui voulait savoir s'il y avait des traces de jus de fruits et de Cacaolat sur les tables qui, selon elle, avaient été utilisées comme barricades ; si elle savait que le seul "cagoulé" présent "entre la masse" était un membre de la Guardia civil en civil ; si elle savait ce qu'un agent qu’on entend dans l’enregistrement avait voulu dire quand il disait "nous allons les faire craquer" (textuellement, nous allons les aiguillonner) ; si elle savait que l’un des agents anti-émeutes avait dit "je matraquerais comme si demain n’existait pas", ou qu’un autre avait dit "il y en a un, s'il n'a pas eu la côte cassée, il s'en est fallu de peu". Non, elle ne savait rien de tout cela. Au moins c’était clair. Si vous n'avez pas vu la vidéo, parce que le Tribunal suprême ne permet pas de la diffuser, la voici :


Puis nous sommes retournés à Bigues i Riells, dans l’entrepôt où la Guardia civil avait saisi des millions de bulletins de vote du 1-O. Ils les transportaient dans des fourgonnettes et ils devaient repartir. Une trentaine de personnes manifestaient devant l’entrepôt. Ces personnes seront désormais désignées comme la "masse" qui y était concentrée. L'un des agents ayant participé à cette perquisition a témoigné dans la matinée. Il a parlé des manifestants. Il a dit qu'ils insultaient et menaçaient. Il a confirmé qu'il y avait deux hommes âgés de soixante-cinq ou soixante-dix ans qui s’étaient couché par terre devant les camionnettes pour les empêcher de passer. Il y avait beaucoup d’hostilité : des gens assis par terre, se tenant par les bras. L'agent, matricule S17971T, a déclaré : "On ne pouvait qu’avoir peur, parce que là-bas, les gens étaient très exaltés". Et enfin, au vingtième jour du procès, la comparaison avec le Pays Basque a fait son apparition : " Heureusement, je n'ai pas vécu le conflit basque, mais plusieurs de mes collègues m'ont dit qu'au début c'était pareil, avec les gens qui ressentaient cette haine". C'est l'hostilité dont il parle ; une vidéo qui n'a pas pu être projetée non plus dans la salle à cause de l'interdiction de Marchena, cela veut tout dire. Ce sont des images que la Guardia civil a elle-même incorporées dans son procès-verbal sur ces événements :


Et encore un autre agent, le matricule H12669K, qui avait participé à la perquisition du siège d’Unipost à Terrassa, où ils avaient saisi du matériel pour le 1-O. L’agent a expliqué qu’au moment où il était sorti, au milieu des personnes qui manifestaient : "Pour la première fois, j'ai vu le reflet de la haine sur les visages des gens". A la question de Me Jordi Pina qui lui a demandé si, à cause de cette vision si terrifiante, il avait dû demander une assistance psychologique, il répondu "Non", ou si les gens avaient vandalisé les véhicules ou causé des dommages aux agents, il a répondu "Non plus". Me Marina Roig lui a demandé si les personnes présentes au moment de la perquisition étaient assises par terre, il a dit “oui”, il a même ajouté que les gens avaient posé une urne en carton sur le sol.

Regards de haine et de mépris, disent-ils. Il existe des preuves graphiques montrant que la haine et le mépris venaient de l’autre côté. Ces témoignages peuvent nous sembler une énorme exagération, une invraisemblance incroyable, ne pouvant être utilisées comme preuve valable. Mais à Madrid, ils les acceptent. Le Tribunal suprême peut parfaitement les accepter aussi : ils donnent de la valeur aux sensations de la greffière et des agents, une valeur qui peut être considérée comme une preuve. Au cours de l'instruction cela avait été fait et le juge Pablo Llarena avait utilisé des procès-verbaux qui étaient à l'image de ces témoignages que nous entendons ces jours-ci au Tribunal suprême. Maintenant, cependant, les avocats font leur travail et ils mettent en doute ces témoignages, c'est ce que tous ceux qui le veulent peuvent voir. Le problème, c'est l'arbitre et la perspective et le biais par lesquels il regarde ce qui se passe.

C'est pourquoi ils se fichent du préjudice idéologique que pourraient avoir subi la greffière ou des agents. Ce sont eux qui jugent, pas nous ; ils nous jugent. La vérité judiciaire ne doit pas nécessairement s'inscrire dans la vérité des faits, comme le rappelait Gonzalo Boye aujourd'hui. Un secteur de la presse à Madrid (et à Barcelone) indique le thermomètre. Il y en a certains très exaltés, voire hyperboliques, et d'autres qui donnent le ton, comme La Vanguardia ou El País, qui, les premiers jours, épinglaient le ministère public à cause du ridicule de leurs interrogatoires et qui avaient même anticipé l’attitude de Marchena au moment où il avait averti des risques de faux témoignage actuellement, ces journaux couvrent et amplifient le discours accusatoire qui ressort des témoignages de ces policiers, démentant qu’en Catalogne, il y ait eu des manifestations pacifiques et démocratiques. Selon cette presse, les témoignages des agents des forces de l’ordre, effrayés par les "regards de haine", nous rapprochent d’une réalité tumultueuse et hostile généralisée. Comment le Tribunal s’en rendra-t-il compte ? Plus de la moitié des magistrats qui le composent avaient fait partie de l’instance d’admission qui avait accepté la recevabilité de la plainte à l’origine de toute cette procédure. Cela veut tout dire.

QUE SE PASSERA-T-IL LA SEMAINE PROCHAINE ?
La semaine prochaine commencera aussi avec les témoignages d’autres membres de la Guardia civil, mais cette fois-ci seront entendus des agents qui ont eu un rôle important dans la direction des dispositifs du 1-O et des perquisitions du 20-S. Lundi à 10 heures du matin le procès reprendra, avec la déposition de deux officiers de commandement qui ont dirigé les perquisitions du 20-S. Le lendemain, ce sera le tour du lieutenant Daniel Baena, chargé de signer tous les procès-verbaux de la Guardia civil, qui ont étayé les chefs d’accusations contre les accusés du Tribunal suprême et ceux du Tribunal d’instruction numéro 13 de Barcelone. Baena avait un profil anonyme sur Twitter où il insultait les indépendantistes. Ce témoignage sera, à n’en pas douter, empreint de tensions et décisif.

Source
Le pouvoir des regards de haine des Catalans (catalan)

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