Un Guardia civil parle d’un ’engin incendiaire’ au Tribunal Suprême



Les agents de la Guardia civil venus témoigner qualifient de siège et de harcèlement les manifestations du 20 septembre et celles qui ont suivi le premier octobre 2017.


Un individu, le visage caché par une casquette ou un passe-montagne, par une nuit de septembre 2017, lance par-dessus le mur de la caserne de la Guardia civil à Igualada un ‘engin incendiaire’. Cette image d’Epinal (ou caricaturale), d’ individu cagoulé lançant un objet incendiaire, s’intègre parfaitement à un imaginaire politique débordant du relent des années de violence au Pays Basque. C’est un agent de la Guardia civil de la caserne d’Igualada qui l’a dessinée aujourd’hui, au cours de son témoignage devant Tribunal suprême espagnol dans le cadre du procès contre le processus référendaire catalan. Encore un de ces éléments à forte connotation, qui nous ramène à d’autres temps et d’autres lieux. Les «  Tedax », artificiers experts en désactivation d’explosifs, s’étaient déplacés à la caserne d’Igualada pour examiner l’’engin. Nous venions juste d’entendre des agents de la Guardia civile déclarer qu’en septembre et octobre 2017, en mission en Catalogne, ils avaient été victimes de traquenards, menaces, insultes… une ambiance irrespirable. Par-dessus tout, un « engin incendiaire » : un paysage bien agité, dont prenaient bonne note les sept magistrats du Tribunal.

Mais il s’avère que cet engin n’en était pas un : plutôt un ballot, un tissu noué, un pull de l’armée espagnol, de couleur verte avec des franges aux couleurs du drapeau espagnol, imbibé d’essence. Il a été allumé, puis lancé dans la cour de la caserne. L’auteur est inconnu, il était cagoulé. L’avocat de la défense Me Jordi Pina demande au témoin pourquoi il fait le lien entre cet incident et une série de manifestations indépendantistes qui se déroulaient ces jours-là. Manuel Marchena rejette à nouveau la question. Il dit que le témoin n’a pas à y répondre, qu’il le fera lui-même. Mais cela a mis en lumière l’énorme décalage entre le récit des agents de la Guardia civile et les faits et preuves présentés par les avocats de la défense. Journée bien instructive, non ?

Ces récits exagérés ne tiennent pas vraiment face aux faits. Les témoins se fondent sur des impressions, des sensations et des sentiments. La raison d’être de ces témoignages est de montrer qu’il y a eu un soulèvement violent, coordonné, organisé et pensé, pour rompre l’unité de l’Espagne. Pénalement pour qu’il y ait rébellion il faut qu’il y ait à la fois violence et sédition, désordre et usage de la force ; l’accusation recherche donc à tout prix le moindre signe de violence, dans les différentes manifestations qui ont eu lieu dans cette période. D’où ces témoignages des agents de la Guardia civile ayant participé à l’attaque des bureaux de votes et réprimé les votants le 1-O, qui parlent de siège, de harcèlement dans les hôtels où ils étaient logés ; qui décrivent des « yeux exorbités », des « regards de haine », des insultes et des chants contre les perquisitions et les gardes à vue du 20-S .

Mais de telles violences seraient avant tout la conséquence de l’attitude de la police, lorsqu’elle a pénétré dans les ministères de la Generalitat (gouvernement catalan), ou de la brutalité dont ils ont fait preuve contre les gens qui allaient voter le 1-O.

Un acte violent assez isolé de la part de quelques individus, la résistance brutale ou pacifique des manifestants pour ne pas être délogés, ne sont pas forcément des signes de rébellion. L’accusation recherche des faits qu’elle puisse raccorder au « climat de violence » en Catalogne dont parle Enric Millo, ou à la « période insurrectionnelle » du 20 septembre au 27 octobre du lieutenant-colonel Daniel Baena. Les faits recueillis sont tellement grossis que souvent ils ne tiennent pas la route.

Le graffiti subversif
Un exemple : Me Andreu Van den Eynde a demandé aujourd’hui au Guardia Civil G57387Z de la caserne de Gandesa des renseignements sur un graffiti qui y avait été apposé. Cet homme en a discuté un bon moment avec le parquet, puis avec Van den Eynde Le mot  « Votarem » (nous voterons) est l’un de ces faits qualifiés par le témoin de violence et de harcèlement.
-Y a-t’il une vidéo montrant des gens en train de l’écrire ? demande l’avocat.
- Non, il y a seulement des photos, avec deux individus à la face cachée, répond-t-il.
- En train de dessiner un graffiti ?
- ‘Eh bien, en train d’écrire « on va voter ».
- Avec un spray ?
- Oui, avec un spray.

A Gandesa, pendant les manifestations de ces jours-là devant la caserne de la Guardia Civil, il y avait aussi des tracteurs, des machines agricoles, des gens qui criaient et qui insultaient. Chants et cris des manifestants sont autant de faits qui reviennent dans les interrogatoires des agents de la Guardia civile. Celui de Gandesa a dit que « les personnes rassemblées avec une attitude d’hostilité chantaient « Els segadors » (hymne catalan) et « Est espagnol qui ne vote pas» ». De nombreux témoignages indiquent eux aussi que les manifestants criaient « dehors, les forces d’occupation », « fachistes », etc… Le parquet veut savoir si les manifestations étaient dirigées ou organisées par quelqu’un, s’il y avait des leaders visibles, s’il y avait des appels de la part de certains accusés à participer à ces rassemblements et manifestations, etc… Ils recherchent à tout prix les preuves d’un soulèvement de masse, coordonné et organisé, dans un but commun.

Cette tactique des accusations est dangereuse, car le fait même de la déployer rend criminels des droits fondamentaux comme la liberté d’expression et de manifestation. Benet Salellas nous avait déjà alertés sur ce risque dans un entretien à VilaWeb : « Ce qui se joue ici est très risqué, car au final nous discuterons si manifester devant une caserne de la Guardia Civil est un fait violent ; si montrer son désaccord à une perquisition est un fait violent, si ralentir la sortie des préposés à une perquisition est un fait violent… La Guardia Civil et le Parquet tentent de faire prévaloir une vision réactionnaire du droit de manifester et d’exprimer son désaccord. » C’est bien cela que nous voyons ces jours-ci, et que nous continuerons de voir pendant une bonne partie du mois d’avril. On qualifie de siège les rassemblements de cinquante, cent ou deux-cents personnes pendant une heure, ou une demi-heure devant la caserne de la Guardia Civil pour protester contre les violences de la police le 1-O. La manifestation de Manresa, plus importante avec deux mille personnes protestant contre les détentions du 20-S  est qualifiée de harcèlement, ; durant cette manifestation, des urnes en carton ont été déposées devant la caserne, une « estalada » ( drapeau indépendantiste) a été hissée, et un « pilar  » (pyramide de 3 personnes hissées sur les épaules les uns des autres) avait été érigé...

Le fossé entre déposition et réalité
Prenons l’exemple de la déposition du Guardia Civil matricule G99880L de la caserne de Valls pour prendre la mesure de ce fossé. Il explique avec un ton grave et préoccupé le rassemblement qui a eu lieu le 20 septembre 207. Il parle de cent cinquante personnes, qui criaient « votarem », « liberté », « dehors les forces d’occupation », « fachos »… Que les gens se répartissaient des pancartes imprimées chez eux, qu’il y en avait du PDECat, et un de la CUP « avec un message étrange et avec un " SI" ». Que cela affectait la tranquillité quotidienne des gens qui vivent dans la caserne, des familles des agents. Et il en vient au plus grave, quand des pancartes ont été accrochées sur la porte, avec du ruban adhésif. Si bien qu’il a été obligé de sortir pour les arracher, alors qu’il restait une quinzaine de personnes, qu’ un individu sur le mur de la caserne continuait à accrocher des pancartes, qu’il a engueulé et à qui il a dit d’arrêter mais sans succès Les personnes qui étaient là n’ont rien fait pour l’aider, et il a dû nettoyer la façade de la caserne entouré d’une masse hostile.

Me Andreu Van Den Eyne a présenté une vidéo qui correspond tout à fait à cet épisode ; il n’a évidemment pas pu la faire visionner. Il a s’est contenté de décrire un groupe réduit de gens qui protestaient, le ruban adhésif étant une signalisation routière. La vidéo est très parlante :



Un incident par-ci, une protestation par-là, une manifestation à Manresa, un regroupement sur le trottoir des Corts, un autre à Sabadell. Ici des «pilars de 3», et «Els segadors», ailleurs, des gens assis par terre en protestation contre les perquisitions… dans des bureaux de vote du 1-O un vote sans incidents, parce que ni la police espagnole ni la Guardia Civil ne s’y sont déplacées, dans d’autres des dizaines de blessés, parce que les agents y sont entrés avec brutalité. «Il y a beaucoup d’arbres, mais il n’y a pas de forêt», écrivait Javier Pérez Royo. «Il y a une infinité d’incidents qui pour la majorité ne peuvent même pas être qualifiés avec certitude de violents et auxquels aucun des accusés n’a participé. De «soulèvement violent», il n’y en a eu nulle part, et encore moins qui puissent leur être imputés ». Au total, des impressions et des déclarations très calculées. Et un pull de l’armée fumant.

QUE SE PASSERA-T-IL LA SEMAINE PROCHAINE ?
La semaine prochaine, deux des commissaires des Mossos d’Esquadra qui avaient eu un rôle de premier plan pendant les événements de septembre et octobre 2018, Ferran Lope et Carles Molinero viendront témoigner. Ils le feront mercredi matin, parmi eux les agents de la Guardia civil qui avaient participé aux brutalités du premier octobre dans divers bureaux. Des dizaines d’autres, de la Guardia Civil et de la police espagnole, passeront plutôt au mois d’avril. Auparavant, le mardi, déposeront le commissaire en charge du service d’information de la Préfecture de police de Catalogne et le commissaire en chef de la brigade provinciale de la police judiciaire espagnole de Barcelone. Et aussi l’inspecteur de la police espagnole numéro 76074, et des caporaux de la garde Urbaine de Badalona matricule TIP 1292 et 1393.

Source
Un Guardia civil parle d’un ’engin incendiaire’ au Tribunal Suprême (catalan)

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