Accablement au Tribunal Suprême à cause d’un certain “Toni”



Les témoins cités par le ministère public pour tenter de prouver le détournement de fonds du 1-O font sortir l’accusation de ses gonds.

Un certain Toni a rendu fou les procureurs Jaime Moreno et Consuelo Madrigal ces deux derniers jours, pendant les interrogatoires des témoins cités au Tribunal Suprême espagnol. Ce Toni serait, apparemment, la personne qui aurait contacté, d’une part, l’entreprise Unipost pour la distribution du matériel électoral aux membres des bureaux de vote du 1-O et, d’autre part, le graphiste qui devait servir d’intermédiaire pour l’impression des affiches du référendum. Cette enquête que mène depuis des mois le juge d’instruction du Tribunal numéro 13 de Barcelone, arrive ces jours-ci au Tribunal Suprême pendant l’audition des témoins. Qui est donc ce Toni dont il est tout le temps question ? Le responsable d’Unipost, Francisco Juan Fuentes, n’a pas su le dire, ni le graphiste Enric Vidal. Ce dernier avait cru, en le voyant à la télé, qu’il aurait pu s’agir d’Antoni Molons, ex-secrétaire de la Diffusion et de l’attention aux citoyens du gouvernement catalan. Quand les procureurs Madrigal et Moreno ont entendu Vidal dire qu’il pouvait s’agir de Molons, leurs visages se sont soudainement illuminés. L’obsession des procureurs est de prouver que Toni était Molons. Une obsession qui met en évidence le manque de preuves dont dispose le parquet pour qualifier le délit de détournement de fonds.

Le complot pour détournement de fonds n’existe pas : soit il y a détournement de fonds, soit il n’y en a pas ; soit l'argent public a été utilisé pour une activité déclarée illégale, soit il n’a pas été utilisé; soit il y a des factures, soit il n’y en a pas. Et pour le moment il n'y en a pas. Lors de sa déposition, l'ancien ministre Cristóbal Montoro, avait seulement su dire qu'il y avait des soupçons de détournement de fonds, malgré le contrôle étouffant des comptes de la Generalitat qu'il avait lui-même imposé en septembre 2017. Aucun des entrepreneurs et hommes d’affaires qui avaient collaboré à des activités plus ou moins liées au référendum, n’avait présenté de factures, certains même avaient réalisé des factures négatives et personne n’avait donc encaissé le moindre euro. L’accablement des procureurs vient de là, car il est impossible de trouver le moindre détournement de fonds. Et ce fameux «Toni» en est la preuve. Les sessions d’aujourd’hui et d’hier après-midi ont été presque surréalistes, délirantes. Même avec des témoignages qui se contredisaient.

Le rendez-vous à l’hôtel Colón
Enric Vidal (gilet vert, t-shirt du fan club catalan du mythique Sankt Pauli) a répondu aux questions du procureur Moreno de manière assez évasive, peu concise et avec une mémoire des faits très vague. Il avait reçu, en tant que graphiste et coordinateur des actions politiques du parti politique ERC (Esquerra Republicana de Catalunya) à Badalona, début septembre, un appel provenant d’une personne dont il ne connaissait que le prénom, Toni. Celui-ci lui avait demandé de redimensionner des affiches et de servir d’intermédiaire auprès de trois sociétés graphiques pour les faire imprimer par leurs soins. Ils s’étaient donné rendez-vous à l'hôtel Colón de Barcelone, ​​place de la cathédrale, où ils s’étaient vus pendant cinq minutes. Toni lui avait donné une clé USB contenant le prototype des affiches, un numéro de téléphone et le nom des trois entreprises auxquelles il devait les livrer. Moreno n’arrivait pas à comprendre pourquoi le témoin n'avait pas demandé plus d’informations à ce Toni. “Vous n’avez pas demandé plus d’informations sur son identité à cet homme ?”, a-t-il demandé. “Non”, a répondu le témoin. “Vous ne lui avez même pas demandé sa carte professionnelle ?” “Non plus”. “ Lui avez-vous demandé qui il représentait ?” “Non”. “Simplement qu’il s'appelait Toni ?” “Oui”.

Plus tard, Vidal a déclaré qu'il avait vu que c'était l’annonce des voies ferrées et que celle-ci portait le logo de la Generalitat. Il avait vu quelques jours plus tard à la télévision des images qui lui avaient fait penser que le “fameux Toni" ressemblait beaucoup à Antoni Molons. “J’ai supposé que c'était lui”, a-t-il déclaré. Et ensuite ? Il avait ensuite pris contact avec les sociétés Artyplan, Global Solutions et Marc Martí. Avec l'un d'entre eux, Enric Marí, agent commercial d'Artyplan, ils avaient discuté en prenant un café à la librairie Laie de la rue Pau Claris à Barcelone. A ce moment, les versions de l'un et de l'autre diffèrent. Vidal, le graphiste, a déclaré que personne ne lui avait dit que le travail devrait être facturé par Òmnium Cultural, ni qu’il serait payé par la Generalitat. Marí, l’agent commercial, lui, a dit que oui, qu’ils avaient convenu à qui devaient être adressées les factures, autrement dit à la Generalitat, mais sans précision du service, et que le coût serait de 17.000 euros. Il s’est également vaguement souvenu que Vidal lui avait dit que le fait de faire imprimer les affiches par trois ateliers d’impression différents permettrait de minimiser le risque de saisie par la Guardia Civil.

Ni un seul euro
Sur ce point, les deux témoignages ont différé. Marí a fourni quelques détails supplémentaires, comme par exemple que c’était un représentant d’Omnium, pour qui Artyplan travaillait depuis des années, qui l’avait contacté pour une commande d’impression d’affiches très importante, que Enric Vidal allait les contacter, en tant qu’intermédiaire, et que la facture devrait être adressée à la Generalitat. En revanche, les témoignages de Vidal et Marí ont concordé sur un point, sur l’un des points les plus essentiels du procès : aucun des deux n’avait fait de facture, ni n’avait reçu un seul euro pour cette commande.

Comment quelqu'un peut-il travailler gratuitement ? Voire même continuer à travailler pour la Generalitat après l’avoir déjà fait gratuitement une première fois ? Cette affaire fait sortir de ses gonds Moreno, l’un des procureurs qui s’entête à prouver la malversation. Cela lui était déjà arrivé quelques jours auparavant avec le responsable de la campagne “Catalans à l'étranger” de la Generalitat, qui avait fini par renoncer à percevoir les 80.000 euros de son travail. Il y a un véritable choc des mentalités: ils ne comprennent pas la capacité de collaboration, la circonspection et la compréhension dont la société catalane a été capable concernant les possibles implications puis les véritables implications du référendum du 1-O. Et pendant ce temps-là, nous voyons, ces jours-ci, au Tribunal Suprême, comment s’est construit sur de la fumée un gigantesque procès, télévisé. Ils finiront bien par trouver ce fameux "Toni". Mais, et les factures ?

VU ET ENTENDU
Bill Shipsey, avocat spécialisé dans la défense des droits humains et fondateur d’Art for Amnesty, la branche artistique d'Amnesty International, est l’un des témoins de la défense de Jordi Cuixart que Manuel Marchena avait refusé. Il a été l'une des nombreuses personnalités internationales à avoir signé le manifeste "Let Catalans Vote" et a montré depuis longtemps combien le préoccupait la répression contre les indépendantistes catalans. Il tenait absolument à être présent au procès, au Tribunal Suprême espagnol, et aujourd'hui il a pu le faire. Il considère que ce procès signifie un recul dans la défense des droits civils et politiques. Vous pouvez lire la récente interview qu'il a accordée à VilaWeb à Andreu Barnils : "Si les Catalans utilisaient les méthodes de Luther King et de Gandhi, ils ne perdraient pas la sympathie internationale"

PLUS D’INFORMATIONS
La manifestation de samedi à Madrid contre le se renforce :
Le Madrid solidaire avec la Catalogne appelle à une manifestation massive (catalan)
Guide de la manifestation du 16 mars 2019 contre le procès à Madrid

QUE SE PASSERA-T-IL DEMAIN ?
Demain, de nouveaux témoignages à charge proposés par le procureur pour tenter de démontrer le détournement de fonds. Sont appelés à déclarer, l'ancien responsable de la diffusion institutionnelle de la Generalitat, Jaume Mestre Anguera ; l'ancien délégué de la Generalitat devant l'Union européenne, Amadeu Altafaj, et l'ancien secrétaire général de Diplocat, Albert Royo. Altafaj et Royo sont tous deux mis en examen par le juge d’instruction du tribunal numéro 13 de Barcelone, et ont donc le droit de ne pas déclarer. Altafaj, qui vit en Belgique, a déjà demandé à exercer ce droit et à ne pas avoir à se rendre à Madrid pour faire connaître sa décision. Le Tribunal l'a accepté. Dans l'après-midi, deux observateurs internationaux du 1-O devraient déclarer : le directeur du Centre d'études stratégiques de La Haye, Paul Sinning, et Helena Catt, d’International Election Expert Research Team. Les observateurs, ont été cités par le parquet qui veut seulement qu'ils disent s'ils ont était payés par la Generalitat. Mais le fait est qu'ils ont été témoins des brutalités policières, brutalités que Catt, par exemple, a qualifiées "d’opération de style militaire soigneusement planifiée". Les défenses auront le plus grand mal à convaincre Marchena de les laisser l’interroger sur ce point.

Source
Accablement au Tribunal Suprême à cause d’un certain “Toni” (catalan)

Commentaires

Articles les plus consultés