Les défenses pourront-elles échapper au piège que Marchena leur tend



Les avocats pieds et poings liés face aux scandaleux témoignages sous serment des agents de la Guàrdia civil

Un agent de la Guàrdia civil qui confond Marta Rovira Martínez et Marta Rovira Vergés avait participé à la sélection de dix-sept courriels sur les 34.000 mis sous séquestre de la messagerie de Jordi Cuixart. Qu’a-t-il donc choisi ? Par exemple, comme il l'a expliqué dans le prétoire, un courriel dans lequel un employé de banque évoque la campagne de retraits bancaires en signe de protestation ; ou un autre auquel est joint un communiqué de presse d'Omnium sur les déclaration de Pep Guardiola, lors d'un rassemblement à Montjuïc, où il avait lancé un appel à la communauté internationale l'invitant à s'impliquer dans le « procès » ; ou encore un autre évoquant le projet de s'adresser à l'OSCE, au Conseil de l'Europe et aux Nations unies... En quoi ces dix-sept courriels sélectionnés parmi les 34.000 mis sous séquestre sont-ils des preuves à charge ? Tout simplement parce que « tout ce qui concerne l'internationalisation du conflit peut avoir un lien avec la malversation et les structures de l'Etat », a répondu le sergent, matricule TIP S51761E.

Le procureur Javier Zaragoza le regardait par dessus ses lunettes avec un peu d'incrédulité ; Fidel Cadena s'agitait sur sa chaise. « N'y avait-il rien sur des réunions que Cuixart aurait eues avec des membres du gouvernement ? » « Non ». « Ou une réunion sur le processus constituant ? » « Non ». « Aucune réunion de coordination et de consignes d'action pour le 1-O ? » « Non ». « Et sur l'origine des fonds pour payer les dépenses du 1-O ? » « Non plus ». Au beau milieu de l'intimidante salle d'audience du Tribunal suprême, ce témoin, cité par les accusations, était assurément ridicule, avec ses « non » à toutes les questions posées. Seulement, c’est sur de tels témoignages et de telles preuves que se sont basés l'accusation et l'instruction contre les prisonniers politiques ainsi que leur maintien sous les verrous depuis plus d'un an.

Comme si ce communiqué de presse d'Omnium appelant à manifester devant le ministère catalan de l'Economie le 20-S pouvait constituer une preuve du délit de rébellion ou de sédition. Parce que Cuixart y demandait une « mobilisation massive » en réponse aux « lignes rouges franchies » lors de la perquisition de bâtiments du gouvernement de la Generalitat et l'arrestation de hauts-fonctionnaires de ce même gouvernement. A la question de Me Benet Salellas, l'avocat de Jordi Cuixart, lui demandant si ce document faisait référence à une mobilisation pacifique, le témoin a répondu « que cela n'était pas expressément mentionné », alors que le document disait clairement que « Cuixart avait insisté pour une mobilisation ininterrompue et, surtout, pacifique ».


Me Salellas avait entre les mains ce fameux document, mais il ne pouvait en faire usage car Marchena n'accepte pas les documents contradictoires mettant en cause la validité et la crédibilité d'un témoignage. C'est une règle fondamentale contre laquelle la plupart des avocats des accusés se sont élevés depuis le début de ce procès et que les observateurs internationaux (présents dans le public puisque l'accréditation d'observateurs leur a été refusée) qui, chaque jour assistent aux sessions, ont dénoncé. Tout au début de l'audition des témoins, Marchena avait autorisé la projection de certaines vidéos. Des images de la brutalité de la Guàrdia civil contre les gens qui allaient voter à Sant Carles de la Ràpita avaient été projetées à Mariano Rajoy. Auparavant, la salle d'audience avait pu voir quinze secondes des charges de la police espagnole dans l'escalier du collège Pau Claris de Barcelone, avec les coups de pied lancés à la volée sur les gens qui s'y trouvaient.

Le moment où Marchena explose
Marchena en avait assez vu. Il a donc changé la règle et ni Zoido, ni personne du haut- commandement policier n'a pu voir la violence de ses agents. Il a été absolument impossible de contredire ces témoins quand ils disaient que le 1-O il n'y avait pas eu de charges et que la police espagnole avait agi avec « ménagement ». Les avocats avaient dû se résigner à ce changement de norme, jusqu'au début des dépositions des agents de la Guàrdia civil. C'est pour cela que les défenses ont déposé, vendredi, une plainte officielle contre l’interdiction de faire usage de matériel audiovisuel, usage pourtant autorisé et protégé par la constitution espagnole et la Convention européenne des droits de l'Homme. Elles ont même invoqué une jurisprudence du Tribunal suprême signée du même Marchena, dans un verdict rendu en 2007, qui précisait que lorsqu'il y a une contradiction évidente entre le récit d'un témoin et une preuve documentaire, les parties se doivent d'intervenir avec diligence et d'en faire la démonstration en examinant les documents contradictoires.

Le dépôt de cette plainte officielle a profondément irrité Marchena. Mais, quand a commencé la session d'hier, il n'en a pas dit un mot. Et le défilé des témoins a commencé jusqu'à ce moment où Me Marina Roig, interrogeant l’un d’eux, a rappelé la plainte. Marchena a alors explosé, a froncé les sourcils et a abandonné l'air faussement aimable qu'il affichait depuis le début du procès : il n'a pas toléré que les avocats aient déposé plainte contre lui, ni qu'ils insistent sur cette affaire de vidéos. Pour lui, le sujet est clos. Malheureusement, des dizaines et des dizaines d'agents de la Guàrdia civil doivent encore être entendus qui dérouleront, l'un après l'autre, comme on l'a vu hier et aujourd'hui, des récits hallucinants sur la violence terrible et « jamais vue » des gens qui manifestaient le 20-S ou qui allaient voter le 1-O. Et impossible de présenter des éléments contradictoires à leur version.

Marchena semble s'être définitivement aligné sur les accusations et l'impartialité du tribunal s'en ressent. Les défenses, elles, ont choisi d’enfoncer le coin car c'est sur ce manque d’impartialité qu’est fondée la plainte pour violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; cet article, relatif au droit à un procès équitable, est la référence de la Cour européenne des droits de l'Homme de Strasbourg. Aujourd'hui, c'est Me Van den Eynde, l'avocat d’Oriol Junqueras et de Raül Romeva qui s’en est chargé. L’agent, matricule R77175H, a fait part de l’ambiance hostile et de la tension devant l’entrepôt de Bigues i Riells (Vallès occidental) où la Guàrdia civil avaient confisqué des millions de bulletins de vote imprimés pour le 1-O. Il expliquait qu’une trentaine de personnes s'étaient jetées contre les fourgonnettes de la Guàrdia civil, et que « deux hommes d'environ 60 ans » avaient réussi à les bloquer. Le témoin a qualifié de « techniques violentes de guérilla urbaine » l'attitude des personnes rassemblées, assises par terre, s'accrochant les unes aux autres par les bras. Son récit était grotesque, et les images, elles, auraient permis de comparer celui-ci à la réalité. Mais cela n'a pas été possible, ni ne sera possible pendant toute la phase des témoignages du procès. Ci-après la vidéo interdite.




La contradiction entre le récit des agents et les images est d'une importance capitale, mais toute aussi capitale est la contradiction entre le contenu de leurs témoignages sous serment et le contenu des rapports de police qui ont servi à incriminer les accusés. Soit les témoins mentent aujourd’hui, soit ils ont menti au moment de la rédaction des procès-verbaux. Par exemple, hier, un agent a affirmé que Carme Forcadell se trouvait dans la voiture qui est passée devant le ministère catalan des affaires extérieures le 20-S au moment de la perquisition et qu’elle avait abaissé la vitre pour « galvaniser les masses de la main ». Me Olga Arderiu, l'avocate de la présidente du Parlement, lui a fait remarquer qu'il n'en était pas fait du tout mention dans le procès verbal. « C'est que je viens juste d'y penser », lui a-t-il répondu. Quand les avocats se plaignent de ce genre de contradictions Marchena a le cynisme de répéter que « le tribunal ne prendra pas en compte les procès-verbaux, ce qui est favorable aux différentes défenses, preuve s’il en est que le procès respecte les droits des parties ».

C'est le piège dans lequel Marchena voudrait faire tomber les avocats de la défense ; ils doivent se conformer aux règles qu’il fixe. Leur marge de manœuvre est réduite au maximum, mais elle existe encore un peu. Le défi auquel les défenses doivent faire face est le suivant : continuer, le procès étant public et Marchena le sachant, à mettre en exergue toutes ces contradictions, le forçant à exprimer à voix haute des constatations comme celle que Me Benet Salellas lui a arrachée aujourd'hui : la sélection abracadabrante de courriels faite par la Guàrdia civil ne permet pas de qualifier le délit. Les limites qu'impose Marchena aux avocats de la défense concernant les questions qu'ils peuvent ou non poser aux témoins, et l'arbitraire de ses directives, les ont souvent conduits au bord du marécage où il veut les embourber afin qu’ils perdent leur cap : le procès lui-même et les atteinte potentielles aux droits civils. Ce sera un long combat (le procès durera plus d'un mois ou deux). Les agents de la Guàrdia civil ne déposent que depuis deux jours ; nous en entendrons encore beaucoup d'autres, comme par exemple tous ceux qui témoigneront sur le 1-O. Nous devrons les entendre dire tout le mal qu'ils ont pu alors subir sans pouvoir leur montrer tout le mal qu'ils auront vraiment causé.

Vu et entendu
Les magistrats Ferrer et Varela évitent désormais de participer aux réunions de la Commission électorale. En effet, l'une des polémiques du début de ce procès a été la participation de deux des sept magistrats du tribunal, Luciano Varela et Ana García Ferrer, à la réunion de la Commission électorale au cours de laquelle l'interdiction d'accrocher des nœuds jaunes sur les édifices publics en Catalogne a été décidée. Tous deux sont concomitamment membres de cette commission et, à la suite des critiques concernant l’incompatibilité pour eux d’y traiter une question inscrite au procès qui se tient au Tribunal suprême, ils ont affirmé qu'ils n'avaient pas participé à la délibération. Aujourd'hui, des sources bien informées du tribunal ont, pour éviter toute nouvelle polémique, informé que ni Varela ni Ferrer n'assisteront à la réunion de demain de la Commission électorale qui doit de nouveau décider de la question des nœuds jaunes. Et ils ont assuré que la session du procès ne s'interromprait pas, contrairement à l'autre jour.

Que se passera-t-il demain ?
Demain, un certain nombre d'agents de la Guàrdia civil qui avaient participé aux perquisitions et aux détentions du 20-S déposeront. Dix d’entre eux devraient déclarer. Si le temps imparti permet d'entendre tous leurs témoignages, la semaine prochaine ce sera au tour des chefs qui avaient piloté les dispositifs et dirigé les enquêtes de déposer.

Source
Les défenses pourront-elles échapper au piège que Marchena leur tend ? (catalan)

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