“Armes de guerre”, le coup de bluff de Vox : l'infamie entendue au prétoire porte ses fruits au café du coin


« L'autre jour, ils ont dit que les Mossos avaient acheté des armes de guerre. Alors ça y est : armes et rébellion, en prison », comme l'a affirmé cet homme avec assurance

Cuisine familiale et menus abordables au pub Finnegan's. Le pub se trouve au fond de la place des Salesas à Madrid, tout près du Tribunal suprême. Au début du procès, le personnel était mécontent parce que le local se retrouvait à l'intérieur du périmètre protégé par des dizaines d'agents de la police espagnole, une sorte de zone zéro où tout, absolument tout ce qui entrait et sortait était contrôlé. Toute cette présence policière les dérangeait car elle effrayait leurs clients. Il en restait heureusement quelques-uns, des habitués, ceux qui prennent leur café au comptoir tout en regardant le journal télévisé et en bavardant sur l’actualité. Et l’actualité du moment, bien qu’à l’arrière-plan, c'est le procès contre le « procès », qui a lieu à quelques dizaines de mètres de là où ils se trouvent. Eh bien, ces deux habitués regardaient donc à la télévision du pub les images de la session du procès de ce jour-là, et immédiatement ils ont commencé à en parler.

« Ceux-là ne pourront pas s'enfuir. Ils ont enfreint la constitution [espagnole, n.d.t.] », dit l'un d'eux. L'autre, lâche avec assurance : « Rébellion. L'autre jour, ils ont dit que les Mossos avaient acheté des armes de guerre. Alors ça y est : armes, rébellion, en prison ». Ce bref échange d'opinions ne peut évidemment être pris comme un courant d’opinion généralisable aux citoyens de Madrid. Mais il est clair que l’un des éléments les plus pervers de ce procès est la simplification d’un message manipulé, diffusé insidieusement à petite dose et régulièrement par les chaînes de télévision espagnoles, pour être lu au premier degré. Vox avait lancé dans le prétoire l'affaire des « armes de guerre » des Mossos d’Esquadra [police catalane, n.d.t.]. Ils avaient ramassé des informations antérieures diffusées par certains médias espagnols selon lesquelles le corps des Mossos auraient voulu acheter des armes de guerre au début de 2017 et le ministère de l'Intérieur les en avait empêchés. L’insinuation latente est que les Mossos voulaient des armes pour faire la guerre à l'Etat espagnol. Voilà la preuve définitive de la rébellion.

Le rôle de Vox au Tribunal suprême est, juridiquement parlant, lamentable. Même le président Marchena ne les supporte pas, tellement leurs interrogatoires sont ineptes. Mais les avocats de l'extrême droite, Javier Ortega Smith et Pedro Fernández, ne cherchent pas à avoir un impact juridique ; ils savent bien que les dés sont jetés, que tout est déjà décidé et ils mettent à profit le plateau de télévision que leur offre Manuel Marchena pour diffuser leurs messages. Ils abordent ce procès comme un procès politique, à tous points de vue, et ont réussi à faire passer ce message des armes de guerre dans les quelques minutes que les télévisions espagnoles consacrent au procès. Parce que la manière dont on voit et dont on interprète le procès en Espagne n’est pas la même qu'en Catalogne ; là-bas, il n'y a pas, sauf à de très rares exceptions, un suivi détaillé des séances, ni une analyse complexe et approfondie, mais plutôt une vision partielle basée sur les gros titres des journaux. Vox le sait et l’un des gros titres qu’il avait fait circuler était celui des armes. Et il y a des hommes et des femmes comme ceux du pub Finnegan’s qui reçoivent le message et le gobent. Pas seulement eux, mais également le ministère public et l’ancien ministre Juan Ignacio Zoido, qui avait dit, comme sans le vouloir : « Je crois me souvenir que c'était à la fin de 2016, une demande d'achat d'armement, des armes que l'on pourrait appeler armes de guerre et des munitions, les traditionnelles, qu'ils sont habitués à utiliser, et d'autres comme des armes de guerre ». La procureure lui avait demandé si, parmi les armes de guerre, se trouvaient des lance-grenades et Zoido lui avait répondu qu'il ne s'en souvenait plus. Le ministère espagnol de l'Intérieur n'en avait finalement pas autorisé l'achat.

L'affaire des armes de guerre était réapparue avec l'ancien secrétaire d'Etat à la Sécurité, José Antonio Nieto, qui avait répété, plus au moins, la version de Zoido. Et la chose en était restée là. Armes, Mossos, rébellion. Jusqu'à aujourd'hui où Me Xavier Melero a tiré profit du témoignage de l'ancien ministre catalan de l'Intérieur, Jordi Jané, pour clarifier cette affaire. De quoi s'agissait-il ? Jané a expliqué: « En octobre 2016, j'avais signé une demande adressée au secrétariat d'État à la Sécurité, accompagnée d'une annexe sur laquelle figurait la liste des armes et munitions dont les Mossos avaient besoin. Le dossier avait été étudié par le ministère de l'Intérieur. En janvier 2017, j'avais été informé que celui-ci y avait répondu favorablement et que le dossier avait été transféré au Service central des armes dépendant de la Guardia civil. La demande d'armement que j'avais faite n'avait, à aucun moment, soulevé le moindre problème ».

Pourquoi aviez-vous demandé ces armes? L'ancien ministre a rappelé que les Mossos sont compétents dans la lutte antiterroriste, compétence partagée avec la police espagnole et la Guardia civil ; que la Catalogne se trouvait alors en situation d’alerte terroriste 4 sur 5 et que les Mossos ne disposaient ni des armes que requérait cette situation ni des munitions adaptées pour pouvoir s’entraîner. C'est la raison pour laquelle ils avaient passé cette commande. Une commande qui s'était trouvée bloquée au fil de l’année 2017. L'année du référendum. Et l'année des attaques terroristes à Barcelone et à Cambrils. Le ministère espagnol de l'Intérieur, au début, n'avait trouvé aucun inconvénient à effectuer cet achat, a expliqué Jané. Mais ensuite, il avait bloqué la demande pour finalement la rejeter. Jané s'en était d'ailleurs plaint avant les attentats et Joaquim Forn après. Mais cette demande, faite par la voie hiérarchique, a de nouveau été utilisée plus tard comme arme contre les Mossos, contre le gouvernement et comme argument judiciaire. Un argument brandit par l'extrême-droite, par le ministère public et par Zoido, si inconsistant juridiquement que Marchena ne pourra pas le prendre en compte et devra, s'il veut qualifier la rébellion, utiliser une autre violence, comme par exemple les « murs humains ». Mais ce non argument judiciaire a malgré tout un effet médiatique et social, il a un impact. « L'autre jour, ils ont dit que les Mossos avaient acheté des armes de guerre. Donc ça y est : armes, rébellion, en prison ». C'était le but de toute cette histoire : que cet habitué du Finnegan’s prononce la sentence.

VU ET ENTENDU
Jordi Cuixart, Jordi Sànchez et Jordi Turull ont passé la Sant Jordi, la journée de leur fête, entre le Tribunal suprême et la prison de Soto del Real, ce qui n’a pas empêché de célébrer la Sant Jordi. Les épouses de Sànchez et de Turull, Susanna Barreda et Blanca Bragulat, ont assisté à la session d’aujourd’hui du procès pour pouvoir leur souhaiter une joyeuse fête. Il y avait aussi, parmi le public du procès, un groupe de personnes avec des roses et des livres à offrir aux prisonnier.e.s, personnes venues de Catalogne mais aussi membres de Madrilènes pour le Droit à décider et de l’ANC de Madrid. En outre, Txell Bonet et Jordi Cuixart ont profité de cette journée festive pour annoncer qu’ils seront de nouveau parents. Malgré la répression et malgré la prison.

QUE SE PASSERA-T-IL DEMAIN ?
Demain les dépositions des anciens responsables politiques continueront. Mais auparavant, nous aurons entendu les témoignages de plusieurs responsables d'Unipost : Xavier Barragán, directeur financier, Anton Raventós et Rafael Ramírez, responsable de délégation. Ensuite, Albert Donaire, coordinateur des Mossos pour la République, qui a porté plainte à la suite des menaces reçues pour le seul fait d'être Mosso indépendantiste. Puis ce sera au tour de Joan Ignasi Elena, ancien porte-parole du Pacte National pour le Référendum, de Neus Llovera, ancienne présidente de l’AMI (Association des communes pour l’indépendance), d'Albert Batlle, ancien directeur général du corps des Mossos d’Esquadra, de Jordi Solé, député européen d’ERC [gauche républicaine catalane, n.d.t.], et enfin d'Anna Teixidó, ancienne responsable du protocole du ministère catalan de l’Économie.

Source
“Armes de guerre”, le coup de bluff de Vox : l'infamie entendue au prétoire porte ses fruits au café du coin (catalan)

Commentaires

Articles les plus consultés