L’air courroucé de Me Benet Salellas : La patience des avocats envers Marchena atteint ses limites



Le tribunal n’a laissé aujourd’hui aucune marge de manœuvre aux avocats. Le dernier interrogatoire de la journée, celui fait par Me Jordi Pina, a été un véritable scandale.

Par la manière dont ils les a interrompus, dont ils se sont retrouvés pieds et poings liés quand ils ont voulu contredire le récit partial, tendancieux et soigneusement préparé des policiers espagnols témoignant sous serment au procès contre le « procès », Manuel Marchena a porté la patience des avocats à sa limite . Cela fait maintenant deux mois que ce procès au Tribunal Suprême a démarré et, jusque-là, les défenses se sont montrées respectueuses envers le président du tribunal, malgré les obstacles et les difficultés qu'il leur impose à l'heure de présenter des preuves contradictoires au récit du ministère public. De nombreuses plaintes et beaucoup de tension, mais Marchena a pu imposer l'ordre dans le prétoire où, avec sobriété, les voix des avocats se sont souvent élevées. Pourtant, les agents de la Guardia civil et les policiers espagnols témoignent de façon ininterrompue depuis trois semaines, reprenant à chaque fois la même ritournelle, phrases calquées les unes sur les autres, et se moquant d'être démentis par les images enregistrées sur des centaines, voire des milliers, de vidéos témoignant de ce qu'il s'est réellement passé. Aucune de ces images n'interrompt leur récit. Cela a mené les avocats à un état oscillant entre résignation et indignation, épuisant jour après jour le compteur de leur patience. Aujourd'hui, Marchena ne leur a laissé aucune marge de manœuvre et le dernier interrogatoire de la journée, celui de Me Pina à un policier étant intervenu à Lleida, a été un véritable scandale.

Retournons au collège la Mariola à Lleida le 1-O. Enric Sirvent l’un des votants , a eu une crise cardiaque à la suite du coup de pied dans les testicules qu’’un policier espagnol lui avait lancé (Pour plus de détails, cliquer sur le lien ací en parlàvem detalladament). Parmi les personnes qui se sont occupées de Sirvent, se trouvait un agent de la police identifiable au gilet qu'il portait. Ce n'était pas un policier anti-émeute. Le parquet a cité cet agent à déclarer. Pendant son interrogatoire, le témoin a décrit une situation d’hostilité et de violence envers la police, suivant un canevas identique à ceux de tous les autres agents ayant déjà témoigné. Le tour des avocats de la défense est arrivé. Ceux-ci ont rappelé au témoin que les policiers avaient continué à frapper malgré l’infarctus de Sirvent. « Je me souviens de tous ces gens autour de moi alors que je m'occupais de lui » a affirma l’agent. Me Pina a poursuivi l'interrogatoire :

- Vous avez répondu aux questions de mon collègue qu’à la faveur d'un dispositif procédural, vous aviez pu visionner certaines vidéos, avez-vous pu voir si, sur certaines de ces images ….

Marchena l'interrompt : «Le témoin n’a pas dit cela, Me Pina. Il a dit qu'un rapport avait été rédigé, contenant un certain nombre de photographies. Il n'a parlé ni de vidéos, ni des personnes qui l'avaient poussé. A ce propos, respectons la décision prise et si vous n'êtes pas d'accord avec celle-ci, je vous prie de déposer un recours en suivant les voies habituelles. Mais ce fait, ce fait lamentable, est étranger à l'affaire que ce tribunal examine. Continuer à revenir sur ce fait encore et encore n'a aucun sens » Me Pina insiste :

- Je veux seulement lui demander s’il aurait vu des vidéos sur lesquelles apparaitraient des policiers frappant des gens qui seraient tombés sur cet homme.

- Non. J’ai vu ce rapport et, dans ce rapport contenant des photographies, on ne voit à aucun moment quelqu’un frapper cette personne ni l’agresser…

- Non, nous parlons de choses différentes….

- Je n’ai vu aucune vidéo où il ait été frappé.

Ici, Me Pina, ne se réfère pas à des images où l’on verrait un policier agresser Enric Sirven, il se réfère aux vidéos sur lesquelles on peut clairement voir des gens tomer sur le blessé et les personnes qui le soignaient car les agents anti-émeute continuaient à les rouer de coups. Mais Marchena l'interrompt de nouveau et finit par imposer son interdiction de continuer:

- Non, nous sommes en train de discuter de faits qui ne concernent pas ce tribunal . Il existe des voies de recours auxquelles vous pouvez faire appel ; nous perdons notre temps. Vous savez bien que nous perdons notre temps.
- Le ministère public ayant introduit le sujet, il m’a paru important de poser cette question au témoin.

- Non, non. Il ne l’a pas introduit, pas du tout. Allez, passons à une autre question. Ces questions….

- Pourtant dans l'acte d'accusation, le ministère public se réfère à cet incident, voilà pourquoi je pose la question au témoin !

-  Je vous répète de nouveau que la responsabilité de cet incident, responsabilité sur laquelle, semble-t-il, vous voulez enquêter, qu'elle ait été ou non évoquée par le ministère public, n'est pas du ressort de ce tribunal. Cela fait dix minutes que nous essayons d'expliquer comment cet incident s'est produit et quelle en a été la cause. Ce tribunal regrette beaucoup que cet incident ait eu lieu, mais notre mission n'est pas d'en condamner les responsables.

- Je crois, Monsieur le Président, que vous vous trompez sur mon interprétation des faits sur lesquels je souhaite mener mon interrogatoire.

– « Non, non, non, Me Pina », dit Marchena l'air revêche, ne pouvant tolérer que l'avocat lui dise qu'il se trompe.

Le magistrat Luciano Varela, assis deux sièges plus loin à la droite du président du tribunal, regarde celui-ci fixement, attendant une réponse à la hauteur de l'impertinence de l'avocat. Voyant qu'elle arrive, il tourne son regard furieux vers Me Pina. Le président dit : « Quand j'affirme qu'une question n'est pas pertinente, vous ne pouvez pas dire que je me trompe ». Me Pina veut ajouter quelque chose. « Non, non. Et je vous le répète : ne perdons pas une minute de plus à essayer de découvrir ce qui s'est passé à propos d'un fait dont ce tribunal n'a pas à avoir connaissance. Autrement dit, je vous prie de poser une autre question ».

Me Pina cesse de poser des questions car il voulait élucider ce point. Marchena est sorti de ses gonds au moment où les questions de la défense cherchaient à faire affleurer toute cette partie du récit passée sous silence par le témoin et dissimulée délibérément. Il est en effet difficilement crédible que cet agent de la police espagnole n'ait pas vu ses collègues anti-émeutes continuer de rouer de coups, de frapper et de malmener les gens se trouvant à l'extérieur du bureau de vote et lui tombant dessus ; il est inconcevable, même s'il ne l'a pas vu à ce moment là, qu'il ne l'ait pas vu par la suite sur l'une ou l'autre des vidéos montrant de manière indéniable ces agissements.

L'agent a eu tout le temps d'expliquer ce qu'il a bien voulu expliquer à propos de cet incident. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le ministère public l'avait cité à déclarer. Précisément pour cette raison : prouver aux membres du tribunal que le « très lamentable » épisode de l'infarctus de Enric Sirvent a servi à démontrer les bonnes pratiques et la sensibilité des policiers espagnols partis matraquer les personnes se trouvant dans les écoles, et leur prouver que ces mêmes policiers avaient secouru cet homme, malgré – d'après le témoin – les insultes, l'hostilité, l'ambiance de violence et les menace que lui-même et ses collègues avaient dû essuyer dans ce collège de Lleida. Marchena ne l'ayant interrompu à aucun moment, ce récit a pu se dérouler sans opposition. Cette affaire a néanmoins pris une tournure judiciaire car Enric Sirvent a porté plainte contre les policiers. Toutefois, ni ce point, ni la mystérieuse cause de l'infarctus n'ont été mentionnés lors de l'interrogatoire du témoin par l'accusation.

En revanche, ces points ont logiquement été évoqués au cours des interrogatoires de la défense ; il est en effet très important de trouver le responsable de ces agissements ayant conduit à l'infarctus un homme se trouvant dans l'établissement scolaire : à n'en pas douter cela écornerait le récit de la bienveillance, de la bonne pratique et des méthodes proportionnelles et chirurgicales de la police que relatent les témoins entendus ces derniers jours au Tribunal suprême. Le président Marchena affirme que cela n'incombe pas au tribunal, que cela n'est pas de son ressort. Il le répète à chaque fois que les avocats insistent et mettent en évidence les abus de la police espagnole, abus dissimulés par les témoins. Cela est sans importance dans la qualification des faits de l'accusation, répète Marchena. Vraiment ? N'est-il donc pas important de savoir que les agissements violents de la police espagnole et de la Guardia civil ont été à l'origine d'une situation de tension et de panique pouvant parfaitement expliquer bon nombre d'insultes, crachats et autres regards de haine des citoyens ? Cela n'a-t-il donc aucune importance pour le tribunal ?

Le visage courroucé de Me Salellas
Aujourd'hui, Me Benet Salellas était visiblement en colère. Très en colère. En particulier contre les policiers ayant participé à l'attaque du collège Verd de Girona, l'un des établissements où les forces anti-émeutes avaient agi le plus brutalement. C'est l'établissement où sont scolarisées les filles du président de la Generalitat, Carles Puigdemont. Me Salellas a voulu demander à l'un des agents si cet établissement, sur lequel les forces de l'ordre espagnoles s'étaient particulièrement acharnées, avait été choisi plutôt qu'un autre pour ce motif. Mais le président Marchena n'a pas autorisé cette question : Puigdemont, l'un des noms bannis de ce prétoire. Me Salellas parlait très lentement, articulant bien l'énoncé de ses questions afin que le témoin et les membres du tribunal en comprennent bien le sens : le tribunal, seul lieu où il est possible de décrire cette violence visible dans les vidéos et dont Marchena continue de refuser la projection, interdisant ainsi la présentation d'éléments contradictoires aux déclarations des témoins. « Avez-vous vu des citoyens se plaignant de douleurs à la tête ou aux extrémités supérieures ? » « Non », lui répond le policier. « La porte par laquelle vous avez accédé au bâtiment était-elle celle de la cour ? » Le témoin le suppose. « Aviez-vous envisagé d'entrer par la porte principale ? » Le témoin pensait que la porte de la cour était la porte principale. « Avez-vous pensé à interrompre votre intervention à la vue d'un si grand nombre de citoyens devant cette porte ? » Le témoin lui répond que cette décision ne lui appartenait pas.

Il s'avère que la police espagnole avait décidé d'attaquer coûte que coûte le collège Verd de Girona, malgré les hésitations de certains agents à la vue du nombre impressionnant de personnes s'y trouvant. Ils l'avaient quand même fait, ils s'en foutaient. L'ordre du 29 septembre par lequel le secrétaire d'Etat demandait que priorité soit donnée à la sécurité sur l'efficacité ainsi que celui de la juge du Tribunal supérieur de justice de Catalogne, du 27 septembre, précisant qu'il ne fallait pas « porter atteinte à la cohabitation citoyenne normale » sont partis en fumée, devenus de la roupie de sansonnet. Cela se voit très clairement et sans équivoque sur les images enregistrées par l'un des agents étant intervenu au collège Verd. Il a perdu sa caméra GoPro sur laquelle il avait enregistré cela :



« Y entrer par tous les moyens, hein ? » Et, tout de bon, aussitôt dit, aussitôt fait. Mais bien entendu, impossible de mettre cette vidéo devant le nez de ces policiers indifférents, faisant la sourde oreille dans la salle d'audience. Face aux faits, le récit de l'accusation prévaut. Et, pour l'heure, veto total du président sur tout ce qui peut contredire leur récit.

Que se passera-t-il la semaine prochaine ?
La semaine prochaine, semaine de Pâques, le tribunal siégera de lundi à mercredi. Il y aura de nouveaux témoignages d'agents de la police espagnole ayant attaqué les bureaux de vote le 1-O. Une soixantaine d'entre eux témoigneront sous serment.

Source
L’air courroucé de Me Benet Salellas :La patience des avocats envers Marchena atteint ses limites (catalan)

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