Marchena montre son vrai visage devant un Mosso républicain


Pourquoi le Mosso Albert Donaire se trouvait-il aujourd'hui dans le prétoire ? Pourquoi Manuel Marchena s'y trouve-t-il ? La réponse est peut-être la même ! »

Cela faisait des jours qu’on n’avait pas perçu une telle tension dans la salle d’audience du Tribunal suprême espagnol. Peu avant midi, le dernier témoin de l’accusation, cité par le parti d’extrême-droite Vox, a comparu avec l’accord du tribunal : Albert Donaire, un Mosso d’Esquadra publiquement partisan de l’indépendance de la Catalogne. C’est pour cela qu’il a fait l’objet de menaces, lui et sa famille et qu’il a été appelé à témoigner. Pour quelle raison ? Juste parce qu’il est un Mosso indépendantiste. Quel est l'intérêt juridique de son témoignage ? Aucun, comme nous le verrons. Ainsi donc, Donaire est entré, vêtu d’un T-shirt orné de l'Estelada – le drapeau étoilé catalan –, également cousue sur sa manche, un pantalon jaune et des Vamcat. Sur son T-shirt il portait aussi un ruban jaune et un badge représentant une étoile aux couleurs du collectif LGBTI. Les caméras du Tribunal suprême ne l'ont pas filmé, et les téléspectateurs qui suivent le procès n'ont pu le voir, contrairement aux sept juges, qui affichaient tous une mine de carême. Il a commencé à répondre en catalan. Manuel Marchena en était dérouté.

- Etes-vous bien le Mosso matricule 17130 ?
- Oui
- Etes-vous déjà passé en jugement ?
- Oui
- Pour quelle raison ?
- Des calomnies
- Avez-vous été condamné ?
- Non
- Il n’y a pas eu de condamnation ferme ?
- Je ne suis pas allé déclarer
- Pardon ?
- Je ne suis pas allé déclaré, je n'ai pas déclaré.
- Que voulez-vous dire ?
- Que je n’ai pas témoigné [il répond en castillan]
- Vous n’avez pas témoigné

Dans la foulée Javier Ortega Smith prend la parole, à la place du jeune et inexpérimenté Juan Cremades, l’étudiant à qui Vox avait confié la direction des interrogatoires ces deux derniers jours. Avec Donaire, il fallait essayer d'apaiser les tensions. L’avocat d’extrême-droite commence son interrogatoire :

- Entre septembre et octobre 2017 vous faisiez partie du corps des Mossos d’Esquadra ?
- Oui
- Quelle fonction y occupiez-vous ?
- « Agent dels Mossos » (en catalan)
- Comment ?
- « Agent. Agent dels Mossos »
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Agente (en castillan)
- Merci.

Ensuite il lui demande s’il était bien le titulaire du compte Twitter qu'il a toujours ; s’il a des abonnés ; s’il a publié un tweet le 7 septembre 2017 disant qu’en tant que Mosso il était aux côtés du gouvernement pour que le 1-O se déroule normalement ; s’il avait posté une photo où il posait en uniforme devant l'Estelada, le drapeau étoilé catalan. Pour toute réponse, il dit : « Il me semble que ce n’est pas mon procès ici, non ? ». C’en est alors trop pour Marchena.

Il ouvre son micro et commence à parler assez doucement, mais l'ouverture du micro c'est en même temps l'ouverture de la soupape de la cocotte-minute dont la pression était déjà bien élevée depuis qu'il avait vu le témoin entrer dans le prétoire en Vamcat et avec l'Estelada cousue sur sa manche. Et, malgré ses efforts de retenue du début, cette pression se met alors à s'échapper par jets au moment où Donaire l'interrompt alors qu'il allait le rappeler à l'ordre.

Quand le témoin le coupe pour lui dire qu'il avait été cité en tant qu’Albert Donaire, avec ses nom et prénom clairement mentionnés, et non sous son numéro d'identification policière, le président du tribunal perd toute retenue, laisse éclater sa fureur et se met à l'appeler « don Albert » :

« Ne vous trompez pas de scénario. Vous êtes cité comme témoin. Contentez-vous de répondre aux questions des accusations et des défenses que le tribunal jugera pertinentes. Vous êtes un représentant de l’Autorité, et vous comparaissez aujourd’hui devant l’Autorité judiciaire. Vous devez agir comme vous l’impose votre statut professionnel : dites la vérité. Répondez aux questions de l’accusation populaire. Si vous ne m'entendez pas dire qu'une question n'est pas pertinente, vous avez le devoir légal de déclarer, d'autant que vous êtes un représentant de l’Autorité qui devrait savoir quel est le rôle d’un témoin au Pénal. »

Le préjugé idéologique du juge
Cette attitude de Marchena illustre le préjugé idéologique du magistrat qui entache tout le procès. Déjà, lors de l’instruction, Llarena s’était opposé à la levée de la détention préventive, au prétexte que les prisonniers se déclaraient toujours indépendantistes, que l’indépendance restait leur objectif. Depuis le début de ce procès, Marchena considère pertinentes les questions du Parquet tendant à savoir si un témoin ou un accusé est ou était membre d’Omnium ou de l’AN. Il a également autorisé les questions de l'accusation induisant des éléments à charge tels que brandir l'Estelada ou scander « indépendance », « on votera », « Dehors les forces d’occupation ». Par ce même préjugé idéologique, il a autorisé Vox à citer comme témoin à charge un Mosso d’Esquadra pour la seule raison qu’il est indépendantiste et qu’il l’affirme publiquement, et permis la présence de l’extrême-droite dans le prétoire.

Souvenons-nous d’où vient le président du tribunal. Regardez cette article (catalan) d’ Oriol Bälber faite l’été dernier quand il a appris qui présiderait le procès. Marchena est un grand ami de l’ex-ministre de la Justíce du gouvernement Rajoy, Rafael Catalá. Ministre qui connaissait d’avance les décisions prises par Llarena au cours de l’instruction, et les délits retenus par le procureur général José Manuel Maza contre le gouvernement de la Generalitat et le Bureau du Parlement dans le cadre du 1-O. Maza avait été nommé par le gouvernement Rajoy sur recommandation de Marchena. ElDiario.es (espagnol) l’avait révélé en mai 2017 dès avant le référendum. Répétons-le : Marchena a recomandé Maza à Rafael Catalá. Ce même Maza qui avait baptisé “plus dure sera la chute” le dossier des plaintes et accusations qui nous ont conduit jusqu'ici.

Pourquoi Marchena est-il ici aujourd'hui ?
out son passé, ses relations avec le pouvoir politique (avec le PP ces dernières années) et avec le pouvoir judiciaire démentent l’apparence de neutralité qu’il peut afficher. Marchena devait être le président du Consell General del Poder Judicial, dans le cadre de la répartition entre PP et PSOE des postes majeurs du pouvoir judiciaire (scandale dénoncé par le Conseil de l’Europe), grâce à Rafael Català qui menait les marchandages pour le PP. Mais cette nomination aurait été incompatible avec la présidence du procès contre “le procès”, et Marchena ne pouvait renoncer à un tel cadeau, être le magistrat le plus puissant de l’Etat : celui qui présiderait la seconde chambre du Tribunal Suprême, celui qui prononcerait la peine la plus dure à l'encontre des sécessionnistes qui avaient osé défier l’Unité de l’Espagne. Les whatsapps de Cosido diffusés dans la presse avaient mis en évidence le scandale de la répartition des rôles entre PP et PSOE, et, pour préserver son honneur, Marchena “avait dû renoncer” à présider le CGPJ. Il conservait ainsi la présidence éminente du procès contre “le procès”, tout en bénéficiant d’une image de probité, magnifiée par les éloges des dirigeants du PP et du PSOE envers son “sacrifice”.

Marchena, l’ami de Català ; « le fouet de Garzón » comme l’appellent ses collègues ; celui qui avait fait annuler l’acquittement de l’ex-président du parlement basque Juan María Atutxa et l’avait condamné à une peine d'inéligibilité totale de dix-huit mois pour avoir refusé de dissoudre le groupe parlementaire de la gauche abertzale. La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’Espagne à ce sujet dix ans plus tard. Marchena avait déjà prononcé une peine d’un an et demi d'inéligibilité contre Francesc Homs pour désobéissance grave lors de la consultation citoyenne [sur l'avenir politique de la Catalogne] du 9-N [9 novembre 2014].

Ce procès regorge de préjugés idéologiques. La présence d’Albert Donaire à la barre des témoins, interrogé par Vox, en constitue une autre illustration. Son témoignage n’a aucun intérêt. Vox tout comme le procureur Javier Zaragoza veulent insinuer que les chatts et les tweets de Donaire, agent des Mossos sans aucune responsabilité, pouvaient déterminer l’action de tout le corps lors du référendum du 1-O. Me Melero a été le seul avocat de la défense à lui poser des questions. “Les chatts et la section des Mossos de l’ANC ne relèvent-ils pas d’une activité syndicale ?” “Non !” “Est-elle représentée dans les conseils de la police ?” “Non !” “Avez-vous fait l’objet d’une enquête de l’Unité des affaires internes et disciplinaires du Corps des Mossos d'Esquadra en raison de vos prises de position publiques ?” “Oui !” Voilà tout ce qu’on peut retenir de ce témoignage. Pourquoi donc ce témoin est-il ici aujourd’hui? Pourquoi Albert Donaire se trouve-t-il dans le prétoire ? Et qu’y fait donc Manuel Marchena ? La réponse est quasiment la même.

Vidéo de l'intégralité du témoignage (espagnol):



Autres informations
Aujourd’hui, à quelques mètres de là, l'Audiencia Nacional espagnole a acquitté Sandro Rosell après près de deux ans de prison préventive. La décision de détention avait été prise par Carmen Lamela, la juge qui, dès le début, avait fait incarcérer tous les prisonniers politiques. A voir : El cas Rosell, l’últim dels set escàndols protagonitzats per la jutgessa Lamela

Et demain ?
Demain Manuel Marchena a cité à déclarer les membres du Diplocat Jacint Jordana, Antoni Millet et Daniel García; Gerardo Pisarello, l'adjoint au maire de Barcelona ; la maire de Sant Vicenç dels Horts, Mayte Aymerich ; l’ex-directeur de l’Unesco Catalunya, Félix Martí ; les membres du Consell Assessor per a la Transició Nacional Enoch Albertí et Joan Vintró ; et les fondateurs d’En Peu de Pau Rubèn Wagensberg et David Fernàndez.

L'après-midi témoigneront : l’ex-député de Junts pel Sí, Jordi Orobitg ; le sénateur d’ERC, Bernat Picornell ; la secrétaire d’Oriol Junqueras et de Pere Aragonès, Sílvia Sàbat ; l’ex-secrétaire général de la Vice-présidence et du ministère de l’Economie et des Finances, Lluís Juncà; le sénateur d’ERC Joaquim Ayats ; les ex-députés de Junts pel Sí, Teresa Vallverdú et Eduardo Reyes ; le député d’ERC au Congreso espagnol, Xavier Eritja ; le régisseur d’Altafulla Jordi Molinera et le maire de Prats de Lluçanès, Isaac Peraire.

Source :
Marchena montre son vrai visage devant un Mosso républicain (catalan)

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