Un coup de pied dans les testicules que Marchena ne peut dédaigner




Déposition de Juan Manuel Quintela, l’un des cerveaux du dispositif destiné à écarter les Mossos, à effrayer la population et à déchaîner la violence sociale.

Comment peut-on mentir sur un sujet aussi grave qu’un infarctus qui a failli coûter la vie à un homme de soixante ans qui voulait voter à Lleida ? Et qu’on le fasse délibérément malgré des preuves contraires si flagrantes. Ce menteur, c’est le commissaire en charge de la communication de la police espagnole en Catalogne, Juan Manuel Quintela lors de sa déposition du jour devant le Tribunal Suprême. Quintela relatait les incidents intervenus dans les lieux de vote du 1-O, notamment ceux où la police espagnole s’est déchaînée, comme aux collèges Ramon Llull, Pau Claris et à l’Escola Mediterrània de Barcelone, ou au collège Verd de Girona. Il a plus particulièrement parlé de Lleida où le nombre de blessés a été élevé, et plus précisément du collège la Mariola. C’est là qu’Enric Sirvent, un retraité et sa femme, voulaient voter. Les policiers sont intervenus et les ont violemment repoussés.

Ils lui ont donné un coup de pied dans les testicules ce qui a provoqué un infarctus. Le commissaire Quintela a affirmé que les agents l’avaient secouru. Les images montrent que non seulement ils ne l’ont pas fait mais qu’au contraire ils ont continué à frapper alors que des personnes venaient à son secours. Ce mensonge a retenti dans la Salle d'audience mais est resté impuni, ce qui porte un éclairage sur la tactique des accusations et la position de l’Etat dans ce procès.

« J’ai ressenti une douleur au cœur »
C’est une autre version que déroule la victime qu’il rappelle dans l’entretien qu’il a accordé au journaliste Xavi Rosiñol le 13 janvier 2018 sur TV3 (voir l’entretien intégral en catalan) « Ils m’ont éjecté, m’ont balancé un coup de pied dans les couilles et j’ai de suite ressenti une douleur au cœur. Le cœur ! Le cœur ! Je me suis effondré et après c’était le noir total. Un infarctus. Je me suis réveillé à l'hôpital Vall d’Hebron. Par la suite j’ai appris que sur place, des médecins, des infirmières m’ont sauvé la vie. Si cela avait été des gens tels qu’ils nous caricaturent, je ne serais pas là aujourd’hui. »

Dans la vidéo, Sirvent est à terre, inconscient, sur le trottoir. Un homme lui tient la main droite ; un jeune au tee-shirt déchiré par la charge des policiers anti-émeute lui relève le sien et lui met la main sur la poitrine. Une jeune femme à lunettes, accroupie à son côté, essaie de l’aider et de lui dégager de l’espace. Un autre avec une chemise à carreaux lui fait un massage cardiaque. Il y a encore d’autres personnes, debout, qui regardent les agents qui les attrapent, les poussent et les font tomber sur Enric Sirvent et ceux qui essaient de le ranimer.

Pour le commissaire cet incident est l’illustration de la violence de la foule et de la modération de la police espagnole. Son témoignage est tellement en harmonie avec les questions du procureur Javier Zaragoza, qu'il est bien évident qu'il a lui aussi été préparé pour renforcer cette histoire de « murailles humaines » et en même temps pour boucher les trous de cette fable. Parce qu’il y en a beaucoup. Par exemple, l’utilisation de balles en caoutchouc à l’école Ramon Llull de Barcelone où Roger Español a perdu un œil. Quintela affirme que c’était de sa faute, que c’était un manifestant violent qui avait agressé les agents de police.

Une insulte aux victimes
Il a parlé d’agents blessés, mais a eu du mal à dire combien. Finalement il en aurait décompté soixante-dix. Mais des 1 066 blessés par la police et la Guardia Civil, pas un mot. Quant au mode d’intervention des policiers, il a prétendu que « si les unités d’intervention avaient agi avec brutalité, aujourd’hui oui, on aurait pu parler de blessés ». Comme s’il n’y en avait pas eu. Voilà où on en arrive dans ce procès. Pensons aux réflexions de la psychologue Anna Miñarro sur l’impact psychologique de la violence policière du 1-O et du traumatisme que beaucoup ressentent à nouveau. Roger Cassany l’a dit a cette entretien : « C’est une répétition du traumatisme où la souffrance revient en permanence, surtout quand les témoins répondent dans le sens que veulent les procureurs […] Apparaissent alors des sentiments négatifs comme la colère, la rage qui les empêchent de raisonner et provoquent mal-être et mauvaise humeur. »

Un témoignage comme celui du commissaire est une insulte pour toutes les victimes directes ou indirectes de la violence du 1-O. Une sensation d’humiliation face à l’agression subie, au mensonge éhonté, et à leur impuissance à s’y opposer. Il a remué le couteau dans la plaie, et ce n’est pas le premier policier à le faire, en prétendant que la police espagnole a suivi le protocole. Il en veut pour preuve qu’aucun des procès pour blessure n’a encore abouti à une condamnation. La plupart des plaignants n’auraient même pas maintenu leur plainte. C’est oublier que le faire est une démarche douloureuse et traumatisante et que le Parquet au début de l’instruction, les a directement menacés. Des menaces rapportées par Amnesty International que le procureur et l’avocate générale ont en demandant d’ouvrir une instruction contre ces personnes, pour trouble à l'ordre public et rébellion.

Où le témoin voulait-il en venir, finalement  ? Sans doute propager la théorie d’une rébellion due à la mobilisation sociale et, pour cela, s’évertuer à faire de la résistance pacifique de la population dans les collèges, une organisation programmée et préméditée de résistance violente. En même temps, il renforçait la thèse de la passivité et de l’inefficacité des Mossos d’Esquadra quand il s'était agi d’empêcher le scrutin ; celle de leur connivence avec les électeurs , voire-même de l’obstruction de certains agents ; celle de la supposée surveillance exercée sur les agents de la police espagnole sur ordre du centre de contrôle des Mossos.

Les avocats ont fait preuve d’habilité pour retourner ces arguments. N’était-ce pas la mission d’un corps de police comme les Mossos, déployé sur tout le Principat de Catalogne et chargé du maintien de l’ordre, de suivre les mouvements des autres corps de police ? Surtout ce 1-O où la police espagnole et la Guàrdia Civil, représentées par Diego Pérez de los Cobos avaient choisi de rompre tout lien de coordination avec les Mossos, de passer à l’attaque contre la population et de réquisitionner des urnes dont ils ne savaient même pas où elles se trouvaient. Et à n'importe quel prix ! ! Avec pour tout plan, comme l’a montré l’interrogatoire de Me Xavier Melero, de déployer des milliers d’agents au cri de « A por ellos » (contre eux) dans le plus de bureaux de vote possible, bureaux choisis sur des critères non encore éclaircis.

Juan Manuel Quintela est l’un des principaux cerveaux de ce dispositif destiné à écarter les Mossos, à effrayer la population et à déchaîner la violence sociale afin de pouvoir parler de rébellion et sédition. Il a organisé les sept heures de siège des locaux de la CUP sans disposer de l’autorisation légale d’y pénétrer. C’est ce qui lui vaut d’être inculpé par le juge d’instruction du tribunal n°9 de Barcelone, accusé d'un délit de contrainte aggravée . Initialement le juge avait clos l’affaire mais en janvier dernier l’Audience de Barcelone a ordonné la réouverture de la procédure. Ce jour-là, la police avait investi la rue de Casp et le responsable de l'opération avait refusé toute médiation, toute négociation ou dialogue avec les manifestants rassemblés devant le siège de la CUP.

Mais de tout cela le commissaire Quintela n’en a dit mot au Tribunal Suprême. Rien n'a été expliqué du plan initial d’envoi des Piolins en Catalogne, de l’intrusion dans les locaux de la Generalitat, des arrestations du 20-S, de la violence du 1-O. Par moment, au goutte à goutte, ces questions émergent, mais elles ne semblent intéresser ni Manuel Marchena ni les autres juges. Les sept magistrats devraient quand même prendre conscience que l’infarctus d’Enric Sirvent à Lleida a été la conséquence directe des coups de pied donnés dans ses testicules par un policier. Qu’est-ce qui a pu conduire quelqu’un imprégné des règles de proportionnalité (terme policier également utilisé en France pour indiquer que l’action de la police doit être proportionnée au désordre réprimé) et de retenue dans l’action, à agir ainsi ? C’est ce que Marchena devrait se demander.

PLUS D'INFORMATION
Réunion d’observateurs internationaux avec le Parquet
Une délégation d’observateurs internationaux qui suivent le procès, rencontrera à Madrid le Parquet Général de l’Etat. L’objet de cette rencontre sera la requête déposée par l’organisme qui supervise la mission des observateurs, International Trial Watch, en vue d’avoir connaissance en direct des positions de chacune des parties au procès. La délégation sera composée du professeur de droit procédurial à l’Université du Pays Basque, Iñaki Esparza et de l’islandaise Katrín Oddsdottir, avocate des droits humains, l’une des rédactrices de la nouvelle constitution islandaise. Tous deux sont présents dans la salle. Pourraient se joindre à eux Jean François Blanc fondateur et président de l’Institut des Droits Humains du College d’Avocats de Pau (Occitània) et Isabelle Casau, avocate au Barreau de Pau.

Et demain ?
Le prochain témoin sera le commissaire Ferran López, bras droit de Josep Lluís Trapero à l’automne 2017. C’est lui que le gouvernement Rajoy avait nommé chef du corps des Mossos avant d’en prendre le contrôle lors de la mise en application de l’article 155 de la constitution espagnole. Puis ce sera l’interrogatoire du commissaire du corps des Mossos, Joan Carles Molinero. Pour plus d’information: La incògnita Ferran López, la mà dreta de Trapero que saludava Zoido i Llarena.

Puis déposeront un grand nombre d’agents de la Guàrdia civil, qui disent avoir été blessés lors des interventions et des charges contre les bureaux de vote le 1-O. Nouvelle tentatives d’écrire une fable en transformant la mobilisation citoyenne en rébellion criminelle.

Source :
Un coup de pied dans les testicules que Marchena ne peut dédaigner (catalan)

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