Procès de Madrid. "Scotland Yard" contre l'accusation visant les "Jordis" !


En exclusivité. Pour les anciens responsables de Scotland Yard c'est "une foule pacifique" qui s'est rassemblée le 20 septembre 2017 devant le ministère catalan de l'Economie et ils en tirent la conclusion que la supposée tentative d'assaut du bâtiment (avancée par la Garde Civile qui avait investi les lieux pour une perquisition et soutenue par l'accusation contre les deux responsables associatifs Jordi Cuixart et Jordi Sánchez)" n'est pas fondée sur des preuves".

Par : Antoine (Montpellier)
Blog :  Clarté à gauche pour (com)battre la droite et l'extrême droite

C'est un scoop du site espagnol eldiario.es. D'anciens hauts responsables de la police anglaise ont produit un rapport circonstancié des évènements du 20 septembre 2017 qui démonte l'accusation portée contre les "Jordis" valant à ceux-ci d'être incarcérés depuis plus d'un an et soumis aujourd'hui à un procès préludant à de lourdes condamnations. Ce rapport a été écarté par le tribunal.

Je restitue ici l'essentiel, agrémenté de quelques commentaires personnels, de l'article dont on trouvera, en fin de page, le lien.

Le rapport, d'une extrême minutie, quasiment à la minute, sur le déroulement ds faits, prend le contre-pied de l'évaluation, aux fins de poursuites judiciaires, faite par le Lieutenant de la Garde Civile ayant eu en charge la perquisition du 20 septembre : selon cet officier, les intervenants sous ses ordres "ont craint pour leur intégrité physique". Il a fait état d'objets lancés contre eux et même d'une charge violente des manifestants, rassemblés pour protester contre la perquisition, visant à enfoncer les portes du ministère où se considéraient assiégés les Gardes Civils : ceux-ci auraient été contraints de contenir la poussée exercée contre les portes.

Le document indique que le visionnage des huit vidéos de sécurité, tant celles de l'intérieur que celles de l'extérieur du bâtiment, ne laisse rien apparaître de l'incident évoqué par le Garde Civil. Mieux : les images permettent d'établir que, tout au long de la journée, la situation dans le bâtiment avait été calme. On avait même vu les Gardes Civils, les Mossos d'Esquadra (la police catalane) et les employés du ministère faire des allées et venues entre l'intérieur et l'extérieur du bâtiment, par l'entrée principale, de façon "routinière". La conclusion est claire : l'affirmation du responsable de la Garde Civile sur ce qui s'est passé lors de l'intervention dont il avait la responsabilité ne repose sur aucune des preuves à disposition.

Les rédacteurs de l'article de eldiario.es précisent que les deux rapporteurs anglais ont une expérience, sur 30 ans de métier, de ce qui touche aux opérations de maintien de l'ordre public et de lutte antterroriste. Ils ont rédigé ce rapport d'expertise, auquel eldiario.es mais aussi le Times ont eu accès, à la demande des avocats de Jordi Cuixart mais il n'a pas été déclaré recevable par le Tribunal Suprême qui juge les responsables catalanistes.

Ce refus est à mettre en relation avec ce qui apparaît de jour en jour évident : le président du tribunal ne tient plus la ligne bienveillante qu'il avait initialement manifestée, pendant l'audition des accusé-es, pour, c'est désormais clair, déjouer en ce moment solennel de l'ouverture du procès, la suspicion internationale de partialité du tribunal. Dès que les choses sérieuses ont en effet commencé avec l'audition des témoins cités à comparaître, la logique interne d'un procès à fonction politique de défense de l'Etat espagnol et donc à dynamique à charge contre les accusé-es a pris le dessus. Le président a ainsi déployé son arbitraire le plus total pour laisser toute latitude aux témoins de l'accusation dans leur déposition, faite souvent de façon ubuesque, sans que la défense soit autorisée à les mettre devant leurs contradictions ou leurs loufoqueries en particulier par le visionnage des images qui démontent l'idée que lors du référendum du 1er octobre 2017 il y ait eu violence de la part des participants aux votes (lire ici).

Le rapport, en contestant radicalement que cette violence ait déjà été présente le 20 septembre, affaiblit à la racine, le montage argumentatif de l'accusation : même ce jour-là, moment de manifestation et non d'élection, donc mobilisant essentiellement la frange la plus active et politisée de l'indépendantisme et a prori la plus réactive devant une manifestation d'arbitraire policier, les personnes rassemblées ont eu un comportement pacifique. "La foule était pacifique quoique bruyante. [...] Nous n'avons observé aucune preuve de violence organisée pendant la journée, pas même le lancement d'objets en direction de la police [...], rien, en termes de violence, qui nous serait apparu préoccupant". Au demeurant, précisent les deux britanniques, si la foule avait été aussi hostile et désireuse d'en découdre qu'il a été dit, le nombre d'agents présents dans le ministère de l'Economie n'aurait pas permis d'y faire face, ce qui, par ailleurs amène à interroger le dispositif adopté que nos experts qualifient, dans une ironique sobriété, de "difficilement compréhensible", de "très risqué" ou de "surprenant" (1). Pourrions-nous avancer l'hypothèse, en mimant la volonté de la justice espagnole de faire la chasse aux "responsables" des évènements barcelonais, que ce dispositif policier était "irresponsable" et qu'il faudrait louer la foule de n'avoir pas cédé à ce qui s'apparenterait à une provocation délibérée ?

Les rapporteurs mentionnent que, tout au plus, un nombre réduit d'individus a été impliqué dans des dégâts causés aux véhicules de la Garde Civile garés (inexplicablement !) à proximité des locaux perquisitionnés (2) et s'est affronté aux Mossos après la fin du rassemblement. Toutes choses qui ne sauraient être imputées aux deux "Jordis". La clé de tout, dans le procès, est en effet, par-delà le seul fait qu'il y ait eu violence, ce que le rapport réfute, dans la responsabilité qui en incomberait aux dirigeants de l'ANC et de l'Omnium. Les deux experts sont, sur ce point aussi, tranchants : le caractère délictueux que le Ministère Public voit dans les tweets par lesquels les deux dirigeants appelaient au rassemblement comme dans les discours qu'ils y ont tenus est nul et non avenu, car non fondé sur les faits observables et observés ce jour-là, à cet endroit-là. Les "Jordis" ne sauraient être tenus pour responsables de rien qui s'est produit ce 20 septembre... Encore moins de ce qui ne s'y est pas produit, pardon, mais je l'ai souligné, à maintes reprises, dans mes billets traitant du procès, Ubu y est à la manoeuvre...

eldiario.es souligne que l'analyse de la situation qui a prévalu le 20 septembre à Barcelone devant le ministère de l'Economie de la Généralité et les conclusions qui, dans ce rapport, s'en dégagent sont, sans appel, extrêmement défavorables à l'accusation visant Jordi Cuixart et Jordi Sánchez : en premier lieu elles renvoient dans les cordes les responsables de la Garde Civile qui ont organisé la perquisition. Et plus particulièrement encore le lieutenant de ce corps qui, tant dans son rapport du 24 septembre que dans sa déposition au Tribunal Suprême, a affirmé, comme dit plus haut contre toute évidence, que, tôt le matin du 20, les manifestants étaient déjà en train d'enfoncer la porte de l'édifice et qu'il fallut toute l'énergie des agents pour empêcher que cette attaque n'aboutisse. Or c'est ce rapport qui a amené le Procureur à demander que les deux "Jordis" soient mis en détention provisoire le 16 octobre 2017, détention qui court à ce jour ! En second lieu, c'est logiquement la construction accusatoire du Ministère Public qui se trouve taillée en pièces et décrédibilisée de A à Z.

Enfin le rapport, de 120 pages, fait une place au référendum d'autodétermination du 1er octobre 2017 : l'analyse de plus de 200 vidéos concernant l'action des policiers sur une cinquantaine de bureaux de votes, telle que recueillie, du côté de l'accusation comme de la défense, dans l'instruction judiciaire, montre indiscutablement, à une exception près où se produisirent des jets de pierres et des attaques contre les véhicules de la Garde Civile, que l'attitude des personnes présentes pour voter relevait de la "résistance passive" et "non-violente".

Les deux experts concluent en mettant en exergue "l'usage indiscriminé, violent et hors de toute proportionnalité" de la force par les effectifs de police. La raison en est, selon eux, qu'il n'y avait pas "d'instuctions claires" émanant du commandement. Il insistent également sur l'idée qu'il aurait été nécessaire, pour être en capacité de répondre aux ordonnances judiciaires émises pour que soit empêchée la tenue du référendum, de mobiliser 90 000 agents. Or, tous corps de police compris, soit les Mossos, la Police nationale et la Garde Civile, ne comptèrent ce jour-là que 13 800 agents. Posons à nouveau la question : y aurait-il eu volonté de créer l'irréparable aux fins d'une exploitation politicienne pour offrir à l'ensemble du pays l'explication qu'une horde de catalanistes avait contraint les forces de "l'ordre" à faire un usage, plus que légitime, de survie, de la violence extrême ?

Le document présenté ici ajoute au discrédit général d'un mégaprocès qui, dans l'acte même de le décréter irrecevable, s'expose toujours plus comme régi par un arbitraire par où le judiciaire se déclare, dans les écarts qu'il assume par rapport aux standards européens encore en place, appareil politique de premier plan au service d'un Etat se donnant à voir lui-même nu, comme on dit... "le roi est nu", à savoir comme pure puissance de coercition et de manipulation sans plus d'écran démocratique.

Les fins limiers de la perfide Albion auront apporté leur pierre à la démystification d'une Espagne prise en flagrant délit (oh le mot !), aux yeux de l'Europe et au-delà, mais aussi en-deçà, en direction de la population espagnole, de déroger grossièrement à ses postulats constitutionnels de liberté et de justice. Sans parler du postulat d'égalité qu'elle bafoue dans le prétoire (entre accusés et accusateurs) comme dans l'ensemble de la société (entre ceux d'en haut et ceux d'en bas comme, un temps, celui de "l'indignation", Podemos en avait fait son leitmotiv).

Qu'on se le dise, les accusé-es catalan-es, dans ce qui leur est imposé par une justice espagnole, assistée en son coeur, rappelons-le, par des représentants de l'extrême droite néofranquiste ("l'accusation populaire" !), sont la métaphore de la résistance démocratique qui s'oppose à la logique liberticide du régime en place au sud des Pyrénées.

(1) Très surprenant et risqué, en effet, au vu de l'importance de l'opération, était le fait que la Garde Civile, comme elle l'a reconnu devant le tribunal, n'ait pas averti, avant la perquisition, les Mossos : "Il aurait été raisonnable et adapté à la situation de mettre sous contrôle, dès le début, un périmètre réduit à l'extérieur du bâtiment perquisitionné et d'installer immédiatement un cordon de barrières".
Il est notoire, disent les deux enquêteurs, que la demande de la Garde Civile que les Mossos installent ce périmètre de sécurité fut trop tardive, beaucoup de manifestants étaient déjà rassemblés, et, au cas où ceux-ci auraient accédé à cette demande, l'opération aurait comporté des risques graves que les choses dégénèrent (posons la question : à qui aurait profité le cr..., pardon, l'intervention faite à contretemps ?). Les rapporteurs louent donc en termes de "bonne pratique en situation policière" le choix fait par les Mossos de faire intervenir des équipes de médiation pour éviter de tendre la situation.
Décidément sévères envers la Garde Civile, nos deux experts n'hésitent pas également à souligner que, si la situation était aussi intenable dans le bâtiment qu'elle la décrit, il y aurait matière à considérer qu'il y a eu, avant tout, de sa part, erreur manifeste d'appréciation des circonstances prévisibles dans lesquelles allait se dérouler l'opération, sous-estimation incompréhensible des risques courus et, en quelque sorte, incompétence dans la mise en oeuvre du dispositif. Je commente : heureusement les faits avérés démentent qu'il en ait été ainsi mais mettent en exergue le mensonge qui est à la base de ce que ce "prestigieux corps armé" a communiqué au tribunal !

(2) Le rapport s'étonne de l'incongruité qu'il y avait eu à laisser les véhicules de la Garde Civile, par ailleurs sans surveillance, devant le bâtiment alors qu'ils auraient très bien pu être garés à proximité à l'abri des regards des manifestants.

Source
Billet écrit à partir de EXCLUSIVA Un exmando de Scotland Yard ve "una multitud pacífica" el 20-S en Economía y concluye que el supuesto intento de asalto "no está respaldado por pruebas"

Note
Dans un encadré, ediarioes évoque le parcours "professionnel" des rapporteurs anglais qu'elle désigne comme "deux poids lourds de la police britannique".

Sir Hugh Orde a été, à la fin des années 90, "superintendant" de Scotland Yard. De 2002 à 2009, il était à la tête de la police en Irlande du Nord. Puis il a établi, entre diverses fonctions occupées, le dispositif policier des Jeux Olympiques mais aussi ceux qui ont permis de faire face à des grèves et à d'autres troubles. Pas vraiment un de ces gauchistes irresponsables portés à adouber les fauteurs de troubles !

Même chose pour Duncan McCausland : il a aussi occupé des fonctions en Irlande du Nord, "zone de conflit", pour y maintenir l'ordre public. Il a été conseiller en réformes de police et dans divers processus de paix aux Etats-Unis, en Irak, au Sri Lanka, au Liban, au Népal, au Bangladesh, en Géorgie, en Arménie, au Pakistan et à Oman.

Ces deux personnages ne raisonnent pas, dans leur rapport, en termes de démocratie (c'est moi qui commente sur cette base) mais de démarche répressive, selon eux, légitime. On n'est pas obligés, pour le moins, d'être d'accord avec eux. Mais tenons compte qu'ils prennent, en quelque sorte, l'Etat espagnol, à son propre jeu et à ses contradictions qui le décrédibilisent et que leur "professionnalisme" n'admet pas. Pas plus, pas moins, mais paradoxalement, sans le vouloir évidemment, ils ouvrent de gigantesques voies d'eau dans le système d'accusation opposé aux démocrates catalans. Il est de bonne guerre (très justement dit) que les armes de l'ennemi soient retournées contre lui...



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