Témoignage capital pour le procès : Ferran López crée la surprise en citant Puigdemont



La déposition de Ferran López casse la mise en scène d'une rébellion élaborée par l'Accusation et offre à cette dernière une nouvelle piste où fureter, la piste de la conspiration


Le président Marchena interrompt le procureur Zaragoza le sermonnant pour ses questions répétitives à Ferran López, commissaire du corps des Mossos d'Esquadra, témoin au procès contre le « procès ». Toutefois, il lance un bref commentaire qui passe un peu inaperçu mais montre à quel point la déposition d'aujourd'hui est capitale pour le magistrat. « Certaines des réponses du témoin sont répétitives, mais d'autres apportent du nouveau ». Du nouveau, a dit Marchena. Il est plus que probable qu'il avait en tête la stupéfiante révélation de López à propos de la fameuse réunion tenue au Palais de la Generalitat le 28 septembre 2017 entre l'état-major du corps des Mossos et le président Puigdemont, le vice-président Junqueras et le ministre Forn. López, après y avoir bien réfléchi, avait envie, semble-t-il, d'en parler. Les mains jointes sur la table, mains de policier puissantes et endurcies, regardant en coin le procureur, il a affirmé, droit dans le micro : « Puigdemont nous avait dit que si la situation que nous avions prévue se produisait, il déclarerait l'indépendance. Je m'en souviens parfaitement ».

Quelle était donc cette situation prévue par l'état-major du corps des Mossos ? López ne se rappelait plus des paroles exactes prononcées ce jour-là, au Palais – « tension sociale », « effervescence » ou toute autre expression – mais il se souvenait bien avoir indiqué aux membres du gouvernement que, le 1-O, le nombre impressionnant de personnes qui ne manqueraient pas de se mobiliser pour le référendum, face aux quinze mille agents de la police déployés pour l'empêcher, engendreraient quelques problèmes. Et c'est en effet ce qui s'est passé. Les autres membres de l'état-major du corps des Mossos présents à cette réunion du 28, Josep Lluís Trapero, Manuel Castellví et Emili Quevedo en avaient déjà parlé lors de leurs dépositions. Mais aucun d'eux n'avait jamais fait mention de la volonté exprimée par Puigdemont de déclarer l'indépendance en cas d'échauffourées ou de violence.

Pourquoi cette révélation ?
Pourquoi Ferran López a-t-il fait cette révélation ? Comme les autres commissaires avant lui, il a expliqué que Puigdemont, une fois prévenu, leur avait enjoint de faire ce qu'ils avaient à faire, mais que le référendum aurait lieu, que le 1-O serait mené à terme. Puis il a ajouté une autre phrase que Carles Puigdemont lui aurait dite. Le procureur Zaragoza en a profité pour lui demander si la position que le président avait ainsi exprimée était partagée par Junqueras et Forn : il a répondu « oui », que leur position était commune. Pourquoi avoir dit tout cela ? Le contenu de sa déclaration d'aujourd'hui a confirmé un élément très important que le major Trapero avait déjà révélé : le corps des Mossos à son plus haut niveau n'appuyait pas le plan du gouvernement concernant le référendum du 1-O.

Cette cassure, claire et nette, confirmée par tous les commissaires qui ont déposé, met à mal l'accusation de rébellion : littéralement, elle désarme l'argumentation ; elle fait tomber la théorie reprise tant de fois dans les chefs d'accusation et les décisions du juge d'instruction Pablo Llarena selon laquelle le gouvernement catalan aurait disposé d'un corps armé de dix-sept mille hommes à son service pour imposer par la force la déclaration d'indépendance. Avec des témoignages comme celui de Ferran López, tout s'écroule. Cependant les paroles de Puigdemont révélées aujourd'hui introduisent un élément nouveau dont on ne sait ce qu'il nous réservera. Le président Marchena l'a bien compris et les mots ou les considérations qu'il lâche mine de rien sont plus importantes que les remarques qu'il exprime solennellement. Sans même cette phrase qu'aurait dite Puigdemont, l'argument de la disjonction du corps des Mossos de la direction politique du gouvernement tenait la route. Elle pouvait renforcer la défense de Trapero et du reste de l'état-major des Mossos, jugés à l'Audiencia española sous les chefs d'accusation de rébellion et de sédition. Alors pourquoi López a-t-il dit cela ?

Puigdemont dans le prétoire
Durant toute la journée, les spéculations sont allées bon train au Tribunal suprême sur l'effet que pourrait avoir la révélation de cette supposée déclaration de Puigdemont. Aucun des avocats de la défense n'a, par la suite, interrogé López là-dessus. La tâche en aurait incombé à celui de Puigdemont. Mais le fait est que le président n'était pas dans le prétoire, le Tribunal suprême ayant refusé sa présence car il ne pouvait être jugé que pour malversation et non pour rébellion. Llarena, Marchena et compagnie voulaient éviter des situations comme celle d'aujourd'hui : l'accusation se focalisant sur Puigdemont et sa déclaration – selon laquelle il procéderait à la déclaration unilatérale d'indépendance, « DIU », en cas de violence – permettant de soutenir l'accusation de rébellion contre les membres du gouvernement. Et cela sans pouvoir le condamner lui-même, ni pour rébellion, ni pour incitation à la rébellion, ni pour sédition. Juste pour malversation, la justice allemande ayant dit que les faits ne permettaient pas de qualifier la rébellion.

Et maintenant, tout n'est que spéculation sur la portée juridique de ce commentaire de Ferran López. Incitation à la rébellion ? L'avocate Isabel Elbal avait expliqué il y a peu, dans l'interview qu'elle avait accordée à Josep Rexach (link en catalan), que la déclaration de Trapero au Suprême « allait comme un gant au délit d'incitation à la rébellion » et donc les révélations de Ferran López sur Puigdemont encore plus. Pour qu'il y ait rébellion, le tribunal a besoin que l'indépendance ait été proclamée dans la violence. Juridiquement, l'indépendance n'a pas été menée à son terme, elle n'a pas été rendue effective, il n'y a pas eu non plus de violence pour y parvenir. Le parquet essaye donc de rester sur le terrain de la conspiration et affirme que ce président, qui ne peut pas être jugé, aurait incité à la rébellion son gouvernement, dont certains ministres sont assis sur le banc des accusés. C'est insensé, mais avec les matériaux dont dispose le ministère public, c'est à peu près le seul chef d'accusation qui demeure. Et la violence ? Pour la prouver, il leur reste « la masse », ce mot que les agents de la Guardia civil répètent à l'envie, et la volonté du gouvernement – selon eux – d'une coordination entre les personnes mobilisées et les Mossos. Ceci est l'essence même du récit accusatoire.

Le face à face avec Pérez de los Cobos
Voilà pourquoi la déposition de Ferran López, aujourd'hui, est si importante : elle casse la mise en scène d'une rébellion élaborée par l'Accusation et offre, à cette dernière, une nouvelle piste où fureter, la piste d'une possible conspiration. Selon Marchena, la déposition de López atteint « le cœur nucléaire de ce procès ». C'est en ces termes que le magistrat s'y est référé quand il a dit à Me Xavier Melero que le tribunal se prononcerait ultérieurement sur un possible face à face entre le commissaire des Mossos et le lieutenant-colonel de la Guardia civil, Diego Pérez de los Cobos. Me Melero avait relevé la contradiction flagrante entre les témoignages de l'un et de l'autre sur cette question « explosive ». En effet, López, en tant qu'interlocuteur direct de Pérez de los Cobos durant les journées précédant le 1-O, avait affirmé qu'ils s'étaient mis d'accord sur le dispositif des Mossos d'Esquadra le jour du référendum : c'était, a-t-il dit, un dispositif conjoint avec la Guardia civil et la police espagnole. López l'avait déjà souligné lors de sa déclaration devant l'Audiencia española dans le cadre de la procédure ouverte contre Trapero. En revanche, Pérez de los Cobos, lui, avait déclaré, sous serment, que c'était un mensonge, que López ne l'avait pas informé du dispositif des Mossos et que, selon lui, le plan d'action était une farce. Il est important pour Marchena de déterminer qui dit la vérité parce que le récit de l'accusation peut se retrouver complètement bancal et pourrait, de ce fait, rendre définitivement inopérant le facteur « Mossos » pour la qualification de la rébellion.

Si c'est ainsi, et si tant est qu'il y ait eu une quelconque conspiration, quels arguments restera-t-il aux procureurs pour prouver qu'il y a eu une violence pouvant justifier le chef d'accusation de sédition : un petit quelque chose à gratter à propos des regards de haine, ou des drapeaux d'Omnium, ou des cris et des banderoles « Nous voterons », ou des gens assis par terre accrochés les uns aux autres par les bras ou encore les révélations de Ferran López à propos des paroles que lui aurait dites Carles Puigdemont mais que personne d'autre ne semble avoir entendues. Et c'est ainsi qu'additionnant quelques années de prison sanctionnant un délit de malversation, qu'il n'a toujours pas été possible de prouver, à une peine sanctionnant le supposé délit de sédition, ils finiront par arriver à un total qui correspondra assez bien à la peine exemplaire, but dès le départ de cette pantomime.

Vu et entendu
L'Islandaise Katrín Oddsdottir, avocate spécialisée en droits humains, qui avait participé à la rédaction de la nouvelle constitution de son pays, est arrivée hier au Tribunal suprême espagnol pour participer à la mission d'observation internationale d’International Trial Watch. Aujourd'hui, nous avons pu lui parler. Elle s'est dite alarmée à la fois par ce qu'elle a vu et par ce qu'elle a appris sur la façon dont se déroule cette procédure judiciaire. Ce qui l'a le plus indignée c'est, d'une part, l'arbitraire de la procédure, le juge Manuel Marchena fixant des règles d'utilisation des vidéos ou de tout autre document contradictoire destiné à démonter les témoignages à charge et les changeant quand il le veut, et, d'autre part, l'interdiction faite aux avocats de la défense de présenter des documents mettant en cause la crédibilité et la fiabilité des témoins.

« Le manque de clarté de la justice est une anomalie juridique », a dit Oddosdottir. L'arbitraire dans la procédure est une violation du droit : l'avocate islandaise a ajouté que les défenseurs avaient les mains liées. « Le ministère public a une épée, la défense en a une autre, mais cette épée-là est, à chaque fois, de plus en plus courte ». Cependant, il n'y a pas que cela : elle trouve ahurissant que les interrogatoires du ministère public soient si orientés, criminalisant des comportements relevant d'une protestation, d'une mobilisation ou de la liberté d'expression. Elle a expliqué que, dans son pays, le ministère public restait objectif et de neutre sur les faits quand il défendait l'intérêt de la collectivité. Elle ne retrouve pas cette attitude dans le comportement des procureurs du Tribunal suprême espagnol. Cette mascarade, conclut-elle, lui donne l'impression d'une condamnation programmée.

Plus d'informations :
Au cours de l'après-midi, un certain nombre d'agents de la Guardia civil qui avaient participé aux attaques contre plusieurs bureaux de vote le 1-O ont témoigné sous serment. L'un d'entre eux a expliqué comment s'était passée leur intervention à l'Ecole Juventut du village de Callús (Bages). L'agent a décrit un climat de violence envers les policiers n'ayant rien à voir avec la réalité, les votants étant assis par terre, les bras levés, pendant que la police les frappait à coup de boucliers et de matraques, comme chacun peut le voir sur cette vidéo :


Que se passera-t-il demain ?
Demain, le procès reprendra avec le témoignage du dernier commissaire du corps des Mossos d'Esquadra appelé à déposer, Joan Carles Molinero, l'un des hommes de confiance du major Josep Lluís Trapero. Puis une quinzaine d'agents de la Guardia civil qui avaient participé aux attaques contre les bureaux de vote le 1-O déposeront à leur tour.

Source :
Témoignage capital pour le procès : Ferran López crée la surprise en citant Puigdemont (catalan)

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