Me Marina Roig prise en tenailles entre le président Marchena et la procureure Madrigal



Que doivent faire les avocats ? Se taire, présenter leurs excuses, éviter l'affrontement ? A quoi s'exposent-ils ? A ce que Marchena les expulse ? »

Incident préoccupant ce matin, dans la salle d'audience du Tribunal Suprême espagnol, au beau milieu de la pesanteur des sessions où l'on peut entendre les policiers venus témoigner rabâcher à l'envie les mêmes choses, répéter la même ritournelle – aujourd'hui, l'un d'entre eux a expliqué, horrifié, avoir reçu un coup sur le petit doigt de la main droite, « je ne sais pas comment » et avoir eu mal pendant plusieurs jours –. Nous avions déjà vu à plusieurs reprises Manuel Marchena réprimander les avocats lorsque ceux-ci veulent mettre en évidence les contradictions existant entre les dires d'un policier et les images d'une vidéo révélant son mensonge. Mais aujourd'hui le président est intervenu sur requête du ministère public. Regardez comme les policiers semblent être les méchants. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est le titre exact de la chronique du quotidien El País sur le procès dans son édition d'aujourd'hui : « On aurait dit que les méchants c'était nous »
(https://elpais.com/politica/2019/04/15/actualidad/1555338419_416904.html). Ce titre reprend à son compte l'expression d'un policier anti-émeutes dont nous avions entendu hier le témoignage. Il ne comprenait pas pourquoi les gens les regardaient méchamment ou les insultaient après avoir fait ce qu'ils avaient fait. Marchena a donc censuré Me Marina Roig à la demande du ministère public, lui-même l'ayant fait à la demande du quotidien El País qui avait lui-même répondu à la demande d'un policier. L'avocate de Jordi Sànchez voulait savoir si les policiers du groupe d'intervention dans un bureau de vote de Tarragona le 1-O avaient piétiné les gens. Question interdite.

L'incident est préoccupant : il apporte en effet la preuve, aujourd'hui plus qu'un autre jour, de la complicité entre le tribunal et le ministère public – et la presse espagnole – pour imposer le récit qui leur convient. Quand Jordi Pina, Benet Salellas, Àlex Solà ou Andreu Van den Eynde interrogent depuis un moment un agent de la police espagnole ou de la Guardia civil sur la façon dont la force avait été utilisée, le juge Marchena se penche vers le micro, approche sa main gauche de sa base, là où se trouve l'interrupteur, et interrompt l'interrogatoire. Les interrogatoires de la défense se déroulent toujours dans cette ambiance de « attention à tes demandes ou on te coupera la parole ». C'est rarement le cas pour les interrogatoires des procureurs dont les questions suscitent des réponses bien ficelées et orientées aux policiers.

Aujourd'hui, la procureure Consuelo Madrigal a elle-même prévenu Marchena que Me Marina Roig posait des questions qu'elle n'avait pas à poser. Son collègue, Jaime Moreno, venait d'interroger un policier venu au Tribunal suprême expliquer qu'il avait reçu une urne sur la tête dans un bureau de vote. Il ne peut y avoir rien de plus humiliant : tu ne les trouves pas et, par dessus le marché, ils te les jettent à la tête : rébellion. Puis ce fut le tour de Me Marina Roig.

– Avez-vous personnellement pu entrer dans le bureau de vote ?
– Oui.
– Tous les agents de la police judiciaire ont-ils pu y entrer ?
– Non. Nous avons été dix seulement à pouvoir y entrer. Au moment où le onzième essayait d'entrer, les gens ont bondi et les cris ont commencé. Il n'a pas pu entrer.
– Ne serait-ce pas plus exact de dire qu'il n'a pu entrer en se ruant – elle souligne le mot – sur les gens et en les piétinant ?

Consuelo Madrigal, l'ancienne procureure générale de l'Etat dans le gouvernement du Partido Popular, se précipite pour ouvrir le micro le plus vite possible :

– A entendre certaines questions, il semblerait que nous nous trouvions dans un procès contre l'action de la police exécutant les ordres judiciaires reçus.

Je retranscris, c'est important, les mots exacts de Manuel Marchena par lesquels, s'adressant à Me Roig, il a donné raison à la procureure : « Ne cherchons pas à poser des questions à partir de faits supposés réels à partir desquels l’avocat tente de recouper ou de contredire ce que le témoin a vu. Il s'agit, je l'ai déjà dit un peu plus tôt lors de l'intervention de l'un de vos collègues, de demander au policier ce qu'il a vu. Ne partons pas d'une hypothèse que le tribunal, qui plus est, devrait considérer comme prouvée, comme « et vous avez vu quelqu'un sautant sur une barrière ? », alors que nous ignorons si cela est exact. Nous le saurons. Nous le saurons. Mais nous ne le savons pas actuellement. Si vous considérez cette hypothèse prouvé et, qu'à partir de là, vous posez une question au policier, nous nous retrouvons évidemment avec deux versions. Mais avec une nuance : la version du policier a été faite sous serment et la vôtre non. Ce qui constitue un sérieux problème. C'est pourquoi, au cours des précédentes sessions, j'ai essayé, mais sans beaucoup de succès semble-t-il... Que vos questions, s'il vous plait, ne s'appuient pas sur une version considérée a priori comme absolument certaine. Je ne reviendrai pas sur le thème des vidéos. Je vous prie de ne pas prendre comme référence des faits que vous vous supposez réels ».



Deux versions, dit Marchena : celle du policier « qui déclare sous serment » et celle de l'avocate qui n'intervient pas sous serment. Sur son écran, Me Marina Roig regarde la vidéo de l'action policière au lycée Torreforta de Tarragona, ce qui lui permet de poser cette question. Si Marchena en interdit la projection dans la salle, que les avocats, au moins, puissent voir cette vidéo. Toutefois, le magistrat insinue que la déposition du policier, faite sous serment, pourrait avoir plus de valeur que les images de la vidéo. Il remet en effet directement en question la valeur de « la version » de Me Roig sur les faits, version construite bien évidemment à partir des images défilant sous ses yeux. La mystification, la perversion sont totales : on soupçonne de mentir celui qui accuse de mensonge celui qui ment. Voici la vidéo que regardait Me Roig : cette video n'a pas prêté serment.



Me Roig a dit a Marchena : « J'essayais de réinterroger le témoin sur l'une de ses affirmations à propos de l'action d'un policier. Je poursuis l'interrogatoire... » Et elle a poursuivi l'interrogatoire. Il n'y a pas eu de heurt avec Marchena malgré son évidente attitude arbitraire : l'avocate a refusé l'affrontement. Plus tôt, dans la matinée, son collègue Álex Solà avait reproché au président du tribunal d'appliquer des règles différentes au ministère public et à la défense. Solà voulait poser la question suivante à un agent anti-émeutes : « Avez-vous vu personnellement des agents de la UIP – unité anti-émeutes – poursuivre avec leurs armes de défense – les matraques – les gens et les rouer de coup... ? » Le magistrat a interdit cette question. Il a dit à l'avocat, le visage en colère : « Nous avons déjà, à plusieurs reprises, expliqué que les avocats devaient demander au témoin ce qu'il avait vu et non lui suggérer tout ce qu'il aurait dû voir et qu'il se limite à répondre par oui ou par non... D'accord ? » C'est précisément ce que fait constamment le ministère public. Solà a protesté et Marchena lui a répondu : « Non, cette voie n’est pas celle qu’il faut prendre ».

Que doivent faire les avocats ? Demeurer silencieux, présenter leurs excuses, éviter l'affrontement ? A quoi s'exposent-ils ? A ce que Marchena les expulse ? Peuvent-ils aller plus loin, durcir davantage le dialogue ? Les avocats semblent épuisés par le flot des témoignages de policiers rabâchant l'un après l'autre les mêmes mensonges, les mêmes outrances ; l'impossibilité de faire projeter les images dans la salle d'audience au moment où les policiers répètent leur récit, les amène, semble-t-il, à une certaine forme de résignation : d'autant que le président ne leur laisse désormais aucune marge de manœuvre, protégeant d'une extraordinaire impunité le témoignage des policiers espagnols et des agents de la Guardia civil, témoignages qui s'achèveront demain. « Cette voie n’est pas celle qu’il faut prendre », dit Marchena. Néanmoins, une chose a aujourd'hui été très claire : on ne peut continuer à prétendre que les forces policières apparaissent comme « les méchants ».

Que se passera-t-il demain ?
Demain, devrait s'achever le gros des dépositions de policiers espagnols et d'agents de la Guardia civil ayant chargé contre les bureaux de vote le 1-O ou ayant participé aux perquisitions du 20-S. Au jour d'aujourd'hui, environ deux cent trente témoins sont passés à la barre du Tribunal suprême, soit environ la moitié de ceux qui devront déposer. La grande majorité d'entre eux était des agents de la police espagnole. Demain de nouveaux agents anti-émeutes témoigneront.

Source :
Me Marina Roig prise en tenailles entre le président Marchena et la procureure Madrigal (catalan)

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